Voir et entendre au volant
Le 23 novembre 2017, l’Observatoire du groupement Optic 2000 dévoilait sa troisième étude. Après s’être intéressé à la vue et l’audition des adolescents, puis au vieillissement visuel et auditif dans le monde du travail, l’Observatoire s’est interrogé sur les interactions entre la conduite et les perceptions sensorielles. Prospective, cette étude nous propulse vers la voiture de demain, autonome et « intelligente ».
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Imaginerait-on un non-voyant conduire ? Pourtant, dans la voiture autonome que les chercheurs nous promettent à l’horizon 2030-2035, cette hypothèse n’aurait rien d’incongru. Le véhicule de demain, bardé de capteurs, sera capable de se diriger dans un environnement complexe, sans aide humaine.
Bien voir et bien entendre pour bien conduire
En attendant la voiture autonome, une bonne vue reste essentielle pour conduire. C’est en tous les cas la certitude des Français interrogés par l’institut OpinionWay pour l’Observatoire. À la question de savoir quels facteurs leur paraissent les plus importants pour la sécurité au volant, ils mentionnent « une bonne vision » en 3e position, juste après « ne pas avoir bu d’alcool » et « avoir un véhicule en bon état ». Le sondage montre par ailleurs que les conducteurs redoutent le brouillard, l’éblouissement et la conduite de nuit comme principaux risques liés à leur vision. La majorité des Français considère donc qu’il faut bien voir pour bien conduire. Le Docteur Jacques Chevaleraud, ancien chef du service d’ophtalmologie du Centre Principal d’Expertise du Personnel Navigant de l’Aéronautique, et actuellement membre du conseil médical de la Prévention routière, regrette néanmoins que « beaucoup de gens négligent de porter leurs lunettes de correction ou leurs lentilles au volant, alors qu’ils le devraient ». Le sondage OpinionWay confirme ce constat. Parmi les porteurs de lunettes, 66 % affirment les mettre systématiquement lorsqu’ils sont au volant, 13 % souvent, mais 9 % avouent ne les porter que rarement et 10 % ne jamais les avoir. Or, une mauvaise vue fait parfois perdre de précieuses secondes pour identifier un risque et réagir à temps.
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L’audition est, quant à elle, perçue comme d’une importance mineure pour la conduite. Pour le panel de Français questionné dans le sondage, elle n’arrive qu’en 8e et dernière position parmi les facteurs de sécurité au volant proposés. Il est vrai, comme le rappelle le Docteur Mary Daval, ORL à la Fondation Rothschild, spécialisée dans les troubles de l’audition et la chirurgie de l’oreille, que les personnes sourdes sont habilitées depuis 1959 à passer le permis de conduire pour les véhicules légers. Pour la conduite de poids lourds ou de véhicules de transports en commun, les choses sont différentes : une perte de 35 dB non compensée par une prothèse interdit la conduite. « Même si elle joue un rôle moindre que la vision, l’audition reste importante pour bien conduire, notamment pour entendre des signaux d’alerte (avertisseur sonore, sirène…), pour détecter des problèmes mécaniques (bruit du moteur), ou pour percevoir un deux-roues qui double juste dans l’angle-mort » souligne la spécialiste.
Lorsque la visibilité n’est pas bonne ou lorsque les conditions de conduite sont difficiles, 9 Français sur 10 affirment mettre en œuvre une pratique compensatoire. Le plus souvent, le conducteur choisit de faire une pause lorsqu’il ressent de la fatigue. Autre stratégie : mettre la musique moins fort ou arrêter la radio pour rester concentré. Le port de lunettes solaires ou le report d’un trajet quand les conditions météorologiques sont mauvaises sont également mentionnés par les conducteurs sondés.
La voiture de demain, entre rêve et inquiétude
Concernant la voiture de demain, une majorité des conducteurs français interrogés par OpinionWay (8 sur 10) pense qu’elle pourra anticiper les événements extérieurs. 51 % des personnes sondées imaginent un véhicule qui pourra être piloté sans les mains (« handless ») et 40 % envisagent même une conduite sans les yeux (« eyeless »). 46 % pensent que cela permettra aux déficients visuels de conduire et de retrouver une mobilité qui leur est actuellement impossible. En somme, une voiture totalement autonome où le conducteur ne serait qu’un passager comme un autre, libre de porter son attention sur autre chose que la route. Aussi, les Français interrogés imaginent que la voiture de demain offrira plus de sécurité pour 63 %, un habitacle moins bruyant pour 51 % et une moindre fatigue du conducteur pour 32 %.
Les sondés reconnaissent néanmoins que ce véhicule de plus en plus autonome les inquiète. Ils redoutent notamment une déresponsabilisation ou une perte de vigilance de la part du conducteur, qui deviendrait incapable d’éviter un accident si la machine commettait une erreur.
Un changement de paradigme
En pratique, le véhicule de demain sera bardé de capteurs qui communiqueront entre eux. La première étape repose sur les ADAS (Advanced Driving Assistance Systems) qui permettent de détecter des obstacles statiques ou en mouvement à l’extérieur du véhicule d’une part, et d’autre part de surveiller le conducteur (signes de fatigue ou d’inattention notamment). « L’étape suivante offrira des véhicules semi-autonomes, évoluant sans intervention humaine sur des portions de routes bien déterminées, nationales et autoroutes, et dans des conditions météorologiques optimales. Ainsi, sur ces périodes de trajets longs et monotones, le conducteur pourra déléguer la conduite à sa machine et se reposer. Il devra en revanche reprendre le contrôle de son véhicule si les conditions se dégradent » précise Jean-Luc Chabaudie, Directeur de la recherche chez Altran.
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L’ultime étape serait celle d’un véhicule totalement autonome, bardé d’intelligence artificielle, communiquant avec son environnement et les autres véhicules, et analysant une manne de données. Le conducteur n’aura alors plus qu’à indiquer sa destination et enclencher le pilote automatique.
L’arrivée de ces véhicules modifiera totalement notre manière de conduire. L’étape intermédiaire, celle du véhicule semi-autonome, est notamment étudiée de très près par des équipes de psychologues cognitivistes. Ces derniers s’interrogent sur les capacités du conducteur à passer rapidement d’une activité de passager passif à une activité de pilote en cas d’urgence. Professeur en psychologie et ergonomie cognitive à l’université Toulouse Jean Jaurès, Céline Lemercier s’interroge ainsi sur les difficultés à reprendre en main un véhicule alors qu’il est lancé à pleine vitesse sur la route : « Ce n’est pas la même chose de monter dans une voiture, démarrer et prendre paisiblement la route, que de débrayer un pilote automatique pour reprendre le contrôle d’une voiture en mouvement » souligne la chercheuse. Spécialisée dans l’étude des phénomènes attentionnels, elle explore cette poignée de secondes séparant la conduite autonome et la conduite active. Elle s’interroge également sur les capacités d’un conducteur à maintenir ses compétences de pilote s’il prend l’habitude de monter dans une voiture robot.
La voiture de demain pose une multitude de questions, dont beaucoup relèvent davantage de la cognition, de la psychologie ou du juridique que de problèmes technologiques. Tout d’abord, la question de l’acceptabilité de ces nouveaux véhicules par les conducteurs. Sur le plan juridique, tout est à construire : à qui incomberait la responsabilité en cas d’accident ? Et quid de la formation et du maintien des compétences du conducteur ? Catherine Garaude, docteur en neurosciences et chercheur à l’IFSTTAR (Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux) précise : « Le ministère de l’Intérieur réfléchit déjà à la formation des jeunes conducteurs à ces nouvelles façons de conduire ».