Les Français et l’activité physique et sportive
Les Français sont-ils sportifs et si oui, comment pratiquent-ils le sport ? Les données produites par les différents sondages et enquêtes réalisés depuis les années 1980 convergent vers le constat d’une importance accrue des pratiques sportives et physiques dans les loisirs des Français.
Patrick Mignon est sociologue. Il a été responsable du laboratoire de sociologie de l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance) de 1998 à 2015 où il a animé la réalisation des différentes enquêtes sur les pratiques sportives et les recherches sur la sociologie de la performance et le travail sportif. Il a également été chargé de cours à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (2005-2012) où il a animé un séminaire sur ces mêmes thèmes. Parallèlement, il a poursuivi ses recherches sur le spectacle sportif, notamment sur le supportérisme. Il a participé aux expertises de l’INSERM sur le cannabis et sur les activités physiques et la santé. Il est l’auteur de La Passion du football, paru chez Odile Jacob, en 1998, de Le dopage : état des lieux sociologique, Cahiers du CESAMES, 2002 et Les Pratiques sportives en France, (avec Guy Truchot), Editions INSEP, 2002.
Les Français sont-ils sportifs et si oui, comment pratiquent-ils le sport ? Les données produites par les différents sondages et enquêtes réalisés depuis les années 1980 convergent vers le constat d’une importance accrue des pratiques sportives et physiques dans les loisirs des Français. Il n’en reste pas moins que le niveau d’activité paraît encore éloigné de ce qu’il devrait pour être réellement bénéfique pour la santé.
Population sportive ou population physiquement active ?
Il existe plusieurs manières de mesurer le niveau de pratique physique et sportive d’une population.
- On peut partir des définitions institutionnelles du sport selon lesquelles les seuls sportifs sont les licenciés appartenant à un club.
- Ou bien on veut évaluer ce qui fait la nouveauté du fait sportif depuis les années 1970, au-delà des licenciés, la diversité des activités et le nombre d’individus qui jouent régulièrement au football, courent les bois et les parcs, s’exténuent physiquement dans les salles de fitness, parcourent les sentiers de grande randonnée, utilisent le vélo pour aller travailler ou montent volontairement à pied les escaliers, sans licence, sans participer à des compétitions.
- Ou encore, on veut savoir si les Français ont une dépense énergétique suffisante, par le sport ou toute autre activité physique, leur permettant de lutter contre les effets identifiés des pathologies de la sédentarité.
Les objectifs étant différents, ne posant donc pas les mêmes questions, les évaluations varient, mais constatent bien une croissance continue de l’activité physique et sportive tout en émettant un doute sur l’intensité de cette activité.
Ainsi, en 1967, l’INSEE évaluait à 39 % le taux de pratique sportive des individus âgés de plus de 14 ans vivant en France. La première enquête de l’INSEP (1985), pour le Ministère des Sports donnait elle, un taux de pratique d’activités physiques et sportives de 73 %, et la dernière (2010), de 89%. En 2015, l’INSEE constatait que le sport était l’activité de plein air pour laquelle les ménages consacraient le plus de budget. L’enquête plus récente (2018, INJEP-INSEE) proposait le chiffre de 75 % de pratiquants. Mais les organismes de santé publique s’accordent pour considérer que plus de la moitié des Français ont une activité physique insuffisante, prenant comme exemple le fait que les Français sont encore loin de l’objectif des 10 000 pas par jour recommandé par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) avec seulement 7 896 pas.
Cette massification de la pratique donne en fait lieu à des formes variées d’engagement. Car ces pratiques sont accomplies de façon plus ou moins régulières, plus ou moins intenses, plus ou moins assurées. On peut ainsi se représenter une pyramide de la pratique avec au sommet les quelques 10 000 à 12 000 sportifs à temps plein, qu’ils soient des sportifs professionnels ou des athlètes de haut niveau soutenus par des fonds publics ; de 6 à 9 millions de compétiteurs parmi les 22 millions qui pratiquent plus d’une fois par semaine. Quant aux 25 millions restants, ils se répartissent entre ceux qui déclarent pratiquer une fois par semaine (près de 12 millions), moins d’une fois par semaine ou uniquement pendant les vacances. Ce sont eux que les organismes de santé publique souhaiteraient, avec les non-pratiquants, voir pratiquer plus régulièrement.
Des pratiques diverses
A une question telle que, « Quelle (s) activité (s) avez-vous pratiqué ? Citez les », ce sont plus de 200 dénominations qui sont proposées par les personnes interrogées au cours des enquêtes menées par l’INSEP, allant des différents jeux de balles aux sports de glisse en passant par les sports collectifs et les différentes manières de marcher (de la balade au trekking) ou de faire de la gymnastique.
Selon les études officielles, les activités les plus populaires sont, dans l’ordre, « les » marches, « les » natations, « les vélos », avec chacune plus de 17 millions de pratiquants, suivies par les diverses formes de course à pied, les jeux de balles, les différentes gymnastiques et les sports d’hiver. Puis viennent le football avec plus de cinq millions de pratiquants (pour près de 2 millions de licenciés), le tennis avec quatre millions d’adeptes (pour un peu plus d’un million de licenciés), puis la famille des arts martiaux et des sports de combat, suivie par l’équitation et les autres sports collectifs.
Chacun des sports ou famille de sports cités se décline selon les différentes modalités de la pratique : ainsi, 600 000 coureurs ou joggers, sur la dizaine de millions qui déclarent pratiquer cette activité, le font plus de trois fois par semaine ; la gymnastique sportive, compétitive, se distingue des différentes formes de gymnastique d’entretien ; dans les marches, faire du trekking en montagne n’est pas se balader le dimanche en famille.
Préserver sa santé comme motivation première
Deux motivations dominent dans le choix d’une activité physique ou sportive et de ses modalités, se situant loin devant la recherche de la performance ou de la compétition et encore moins celle du risque. C’est d’un côté, la santé, la recherche du bien-être et l’équilibre personnel, ce qui correspond à la définition que l’Organisation Mondiale de la Santé donne de la santé, et de l’autre l’affirmation de l’autonomie et le refus des contraintes.
Cela ne signifie pas que la pratique est solitaire car c’est souvent le lien social qui amène à la pratique : ainsi une famille sportive aura des enfants plus sportifs que la moyenne. A partir de 15 ans, s’affirme plus nettement le goût d’une sociabilité choisie qui sera, selon les activités, celle des liens familiaux ou amicaux. On pratique volontiers les sports d’hiver en famille, le jogging ou le fitness avec ses collègues, le football, le VTT ou le skate avec le groupe de pair(e)s.
La pratique des sports les plus populaires n’impliquant pas de formation technique particulière, sauf pour la minorité de compétiteurs, elle ne nécessite pas l’appartenance à un club et la fréquentation des installations spécialisées. Les conseils des pairs et les aménagements des espaces urbains (rues, parcs, skate park,
parcours de santé ou équipements de street work out) et les espaces naturels, suffisent aux attentes de nombreux pratiquants. Le souci de santé et de bien-être, la sociabilité familiale ou amicale ont soutenu la progression de l’activité chez les plus de 45 ans.
Le sport comme facteur d’intégration sociale
Les facteurs explicatifs de la croissance sont connus : la réduction du temps de travail, l’augmentation du pouvoir d’achat, l’allongement de la durée des études, les politiques publiques d’équipement et plus récemment les innovations technologiques.
Toutefois, si la démocratisation des activités physiques et sportives est incontestable, il demeure de nombreuses inégalités dans l’accès aux différentes modalités de pratique physique et sportive. Ces inégalités conjuguent les facteurs d’âges, de revenus, de diplômes et de genres.
De façon générale, les moins de 18 ans pratiquent plus que les autres catégories d’âge, les urbains plus que les ruraux, les hommes un peu plus que les femmes, et les revenus les plus élevés et le fait d’être diplômé vont de pair avec une plus grande diversité de pratiques et un taux de pratique tout au long de la vie plus élevé.
Les études montrent que si pratiquement tout le monde marche, nage ou pédale, les préférences diffèrent. Des domaines demeurent plus masculins (football, rugby) et d’autres plus féminins (gymnastiques,
danses). Quant aux diplômes et revenus, et statut socio-économique qui va avec, ils font varier en taille et en variété le portefeuille d’activités des individus. Certaines activités restent des marqueurs sociaux : le handball, le judo, les sports de glisse ou la danse sont des sports de jeunes quand la voile, le golf, les sports d’hiver, le tennis et la marche sportive (comme la randonnée en montagne ou le trekking) apparaissent en haut rang dans les palmarès des groupes qui affichent les revenus les plus élevés ou le plus haut niveau de diplôme car ils supposent du matériel, un droit d’entrée élevé (coût du matériel ou inscription au club) et la possibilité de partir ou de profiter de ses vacances pour pouvoir pratiquer son activité.
L’activité physique mise en concurrence ?
Si les pratiques physiques et sportives sont devenues une part importante des loisirs des Français, en temps, en énergie et en budget, cette activité demeure insuffisante si on prend en compte la quantité d’activité considérée comme satisfaisante pour la santé.
On semble avoir atteint pour une majorité une limite ou un équilibre entre l’activité physique et sportive et les autres formes de loisirs, mais aussi les contraintes de travail. En 2000, parmi ceux qui pratiquaient une activité, un peu plus de la moitié ne souhaitaient pas en faire plus. L’enquête INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) de 2018 met en évidence la volonté des personnes interrogées de pratiquer plus.
Deux constats peuvent être faits illustrant le changement de statut des activités physiques et sportives dans la société. L’un peut être vu comme positif : il concerne l’allongement de la durée de vie physiquement active ; l’autre comme négatif : il s’agit d’un éventuel déclin de la pratique physique et sportive chez les jeunes.
La pratique sportive reste toujours associée à la jeunesse et au statut d’élèves ou d’étudiants, d’autant que l’éducation physique et sportive est enseignée à l’école. En effet, la quasi-totalité, 94 % des 15-29 ans ont pratiqué une activité physique ou sportive, 55 % des licenciés des fédérations ont moins de 20 ans, la moitié des personnes participant à des compétitions a entre 15 et 30 ans. Mais leur part n’a pas changé depuis quinze ans. La croissance de la pratique sportive entre 1985 et 2018 est due à l’allongement de la période de pratique. Les personnes âgées de plus de 50 ans participaient à 59 % en 1985 ; c’est maintenant 84 % de ces tranches d’âge qui déclarent pratiquer activité sportive. Relevons aussi que les différentes fédérations constatent un important turn-over parmi leurs jeunes adhérents et que se pose la question de la concurrence entre le sport et d’autres formes de loisir, avec les études et avec la sociabilité des pairs.
L’e-sport : une pratique compétitive en plein boom
La concurrence des jeux vidéo n’est pas seulement une tarte à la crème médiatique car ce sont des jeux qui reposent sur la convivialité, qui supposent, pour faire bonne figure, un entraînement sérieux et comportent
une dimension compétitive. Cela nuit-il à la pratique sportive des jeunes ? Le sondage réalisé en 2019 par France Esports, qui joue le rôle d’une fédération pour les adeptes du sport en ligne, annoncent le chiffre d’environ 14 millions de pratiquants, dont 1,3 million participent à des compétitions classées. Il dresse aussi un portrait de ce pratiquant qui va à l’encontre d’une image sédentarité : l’e-pratiquant ferait plus de sport et d’activités culturelles que la moyenne de la population française. On attend une enquête plus précise sur la question.
La démocratisation du sport est incontestable. Elle traduit la progression des préoccupations de bien-être sous tous ses aspects, physique, psychologique et social. Il convient aussi de retenir que la croissance des pratiques physiques et sportives dans la population a été un effet de l’amélioration des conditions de vie qui a permis de lui consacrer un temps et un budget.
Bibliographie
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Activité physique et pratique pour tous, France Stratégie, 2018.
Baromètre France Esports, Association France Esports, 2019.
Baromètre national des pratiques sportives, INJEP/CREDOC, 2018.
Etat des lieux de l’activité physique et de la sédentarité en France, ONAPS, 2017.
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