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Partage d’expérience avec deux champions de handisport

Leurs stratégies de compensation éclairent le rôle de nos sens dans la performance sportive

Si la vision et l’audition jouent un rôle important dans la performance sportive, les athlètes touchés par un handicap sensoriel parviennent pourtant à compenser leur trouble.  Deux sportifs de haut niveau nous expliquent comment : Trésor Makunda, champion handisport d’athlétisme pour non-voyants, et Lola Perrochon, championne d’athlétisme et athlétisme handisport pour malentendants.

Transformer la déficience sensorielle en atout

Lola Perrochon

Partage d’experience avec deux champions de handisport : leurs stratégies de compensation éclaire le rôle de nos sens dans la performance sportiveNée en mars 2001, cette jeune athlète sourde de naissance a déjà un joli palmarès. Sacrée championne de France catégorie minimes en 2016 sur le 60 m et 200 m en salle, elle cumule depuis les titres en handisport, en salle comme en extérieur (60, 100, 200 m). Lors des derniers championnats de France handisport Junior en 2020, elle est à nouveau montée sur la première marche du podium pour le 100 et 200 m en extérieur. Elle participe également à des épreuves avec des sportifs valides et s’est notamment classée 3e en course de relais en février 2020 au Championnat de France Jeunes.

 

Trésor Makunda

Partage d’experience avec deux champions de handisport : leurs stratégies de compensation éclaire le rôle de nos sens dans la performance sportiveNé en 1983 à Kinshasa (République Démocratique du Congo), Trésor Makunda a débuté l’entraînement à l’âge de 11 ans. A 21 ans, il obtient la médaille d’argent sur 100 m aux Jeux Paralympiques d’Athènes. Il cumule ensuite les récompenses : champion d’Europe handisport 100 m en 2005, 200 m en 2009, 4 médailles paralympiques (Athènes Pékin, Londres), et de nombreuses autres distinctions comme le record d’Europe du 400 m en salle. Il prépare actuellement le 400 m pour les Jeux Paralympiques de Tokyo (été 2021).

L’essentiel

Le handicap a pris une place grandissante ces dernières années dans le milieu sportif. L’expérience des athlètes handicapés permet de mieux comprendre le rôle de chacun de nos sens dans nos gestes, notre équilibre et nos performances.

Trésor Makunda et Lola Perrochon ont mis au point des stratégies de compensation pour pratiquer leur discipline sportive. Pour Trésor, non-voyant, il s’agit de parfaire son équilibre, sa posture, et de travailler la focalisation sur des éléments sonores, avec la complicité d’un guide voyant auquel il est relié par un lien. Lola, quant à elle, peut concourir aussi bien en catégorie handisport que valide. La différence repose sur le port ou non de son appareillage auditif. En fonction de cela, c’est un signal auditif ou visuel qui lui indiquera le départ de la course.

 

Ce matin de février 2021, Trésor Makunda, 37 ans, pédale sur son vélo d’entraînement tout en répondant à une interview. Et pour cause, le sprinter handisport se prépare pour les Jeux Paralympiques de Tokyo qui se tiendront — si la crise sanitaire le permet — à compter du 24 août prochain. Ce sera sans doute sa dernière compétition au niveau mondial. Rien ne prédisposait Trésor à un tel parcours. Né à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, il souffre d’une cataracte congénitale, une opacification du cristallin qui survient à la naissance ou pendant la très jeune enfance. Les traitements instillés dans ses yeux, inadaptés à sa maladie, entraîneront une altération de la rétine. Quand il arrive en France, à l’âge de 6 ans, pour soigner sa cataracte, il est trop tard. Ses yeux sont définitivement abîmés et l’acuité visuelle de Trésor est stabilisée à 1/20, soit la capacité à distinguer seulement quelques formes. Difficile dans ce contexte de devenir un athlète de haut niveau comme il le désire. Mais les rêves les plus fous peuvent devenir réalité quand l’envie est forte et que le soutien familial est sans faille. « Quand j’avais 10 ou 11 ans, ma mère a frappé à la porte de tous les clubs. Aucun ne se sentait capable de m’accueillir. Ce n’est pas qu’ils ne voulaient pas, mais ils ne savaient pas comment gérer un jeune sportif aveugle ». Jusqu’au moment où, miracle, un entraîneur prend le pari d’accompagner l’enfant en qui il pressent une graine de champion. Jean-Philippe Valery ne connaissait alors rien au handicap. Trésor et lui vont apprendre au contact l’un de l’autre. « La première fois qu’il m’a rencontré, il m’a demandé ce que je voulais faire. J’ai répondu : ‘je veux être Carl Lewis’. Il a été un peu surpris. Mais il n’a jamais renoncé. » La référence à l’athlète américain dix fois médaillé aux Jeux Olympiques et dix fois aux championnats du monde d’athlétisme, montre l’ambition et la volonté de Trésor.

Quand la mémoire compense la vue

Au fil des ans, Trésor Makunda met au point des stratégies de compensation. Il apprend à utiliser le peu de vision qui lui reste : « J’ai développé une mémoire visuelle extrêmement importante. C’est une base de données, une sorte de bibliothèque d’indices, de tout ce que j’ai vu, de tous les lieux où je suis passé. Avec quelques formes, quelques lignes, je reconstruis mon environnement. »

Il utilise également les autres sens de son corps pour combler sa vision déficiente. L’équilibre est essentiel pour un sportif, or la vue y contribue de manière fondamentale. ll a fallu travailler cet équilibre par des exercices adaptés, pour développer la « proprioception », ou perception du corps et de ses mouvements dans l’espace, afin de compenser partiellement le défaut visuel.

Ainsi des exercices en appui sur un seul pied ou des déplacements sur des surfaces meubles, difficiles sans points de repère visuels, vont lui permettre de trouver son point d’ancrage.

Trésor Makunda utilise aussi depuis son plus jeune âge la focalisation sur les éléments sonores de l’environnement : « quand je jouais au foot avec mes frères, ils mettaient le ballon dans un sac plastique afin que je l’entende mieux ».

Et puis il y a le fameux « guide ». Il s’agit de l’athlète voyant qui court aux côtés du non-voyant, relié à lui par une cordelette attachée à leurs mains. Par celle-ci, une multitude d’informations sont transmises entre les deux coureurs. La tension du lien, le mouvement du poignet du guide, sont autant de signes qu’il faut saisir. « On entretient une relation très forte avec le guide, on se connaît au-delà du lien ».

Partage d’experience avec deux champions de handisport : leurs stratégies de compensation éclaire le rôle de nos sens dans la performance sportive

© Florent Pervillé, Source : https://www.flickr.com/photos/franceparalympique/

Prendre le bon départ…

Trésor ne peut affronter les coureurs valides en championnat. C’est donc toujours dans la catégorie Handisport pour les malvoyants, et accompagné d’un guide, qu’il a gagné toutes ses médailles. Cette double casquette « handisport » et « compétitions pour athlètes valides », Lola Perrochon en dispose. La jeune sprinteuse, sourde de naissance, appareillée à l’âge de 1 an et implantée de l’oreille gauche à l’âge de 4 ans, a d’ailleurs commencé l’athlétisme à l’âge de 13 ans dans des clubs où elle était la seule porteuse d’une déficience. Ce n’est que plus tardivement qu’elle a découvert le handisport. « Pendant les courses handisport, je cours sans mes appareils, dans le silence, alors que je les porte pour les autres compétitions ». Ces appareils, un implant cochléaire d’un côté et une prothèse auditive de l’autre, lui permettent de communiquer avec les entendants mais également de prendre le départ des épreuves, habituellement donné par un coup de pistolet. « Je prends le départ comme tout le monde, sans aménagement particulier. En revanche, il est important pour moi que personne ne parle fort ». En cas de brouhaha, Lola risque de ne pas entendre le départ. Et quand une compétition se joue au centième de seconde près, rater son départ, c’est rater sa course.

En compétition handisport, diverses astuces sont trouvées pour que les personnes malentendantes et sourdes — confrontées à des sportifs entendants mais atteints d’autres handicaps — puissent percevoir le signal du départ. Cela peut être un toucher de l’entraineur, un drapeau ou tout autre signe visuel, comme un flash ou un signal lumineux émis par l’arbitre qui donne le départ. « Le drapeau n’est pas la meilleure solution, car pour un sprint, nous devons avoir une phase de poussée, qui se prépare en regardant le sol. Si je garde la tête levée pour voir le drapeau, je ne peux pas réaliser une poussée efficace. » Quant au signal lumineux, il nécessite beaucoup de concentration, car contrairement au son, la lumière n’induit pas une réaction immédiate du corps. « Mais on finit par s’y habituer ; je suis devenue très réactive à la lumière », explique Lola.

Hormis au moment du départ, Lola ne considère pas son audition défaillante comme un réel handicap pendant la course. C’est pendant l’entrainement que son handicap auditif lui joue parfois des tours. Car l’oreille interne est aussi impliquée dans l’équilibre. Endommagée, elle ne provoque pas seulement une perte d’audition mais aussi de stabilité. « Pour certains exercices, je suis moins stable que mes camarades. Tout le monde réussit à marcher droit sur la ligne, moi, quand je perds mes repères visuels, je vais de travers ! » Mais lors des épreuves, ces différences sont imperceptibles.

Partage d’experience avec deux champions de handisport : leurs stratégies de compensation éclaire le rôle de nos sens dans la performance sportive

Lola Perrochon
©Florent Pervillé, Source : https://www.flickr.com/photos/athlehandi/

Quels équipements pour courir… et au quotidien ?

A quoi servent les lunettes portées par Trésor Makunda lorsqu’il court ? A l’empêcher de voir. Cet équipement est réglementaire : comme il dispose d’1/20 de vision résiduelle, il porte un masque obscurcissant totalement sa vision, conçu pour sa pratique, pour n’avoir aucun « avantage » par rapport à ses concurrents totalement aveugles. A l’entrainement il lui arrive également de porter des lunettes de soleil. Cette fois, c’est pour éviter l’éblouissement, et parvenir, malgré une perception très dégradée des contrastes, à distinguer les lignes des couloirs. Au quotidien, Trésor est aidé par un équipement basse vision, comme des loupes, qui lui permet par exemple de discerner ce qui passe sur un écran TV.

De son côté Lola porte, outre son implant cochléaire, des aides auditives externes classiques, particulièrement résistantes aux chocs. L’association des deux lui procure un plus grand confort d’écoute. « A l’entraînement, pour entendre les consignes, cela me permet d’être moins concentrée et donc moins fatiguée ». Si elle porte ses appareils en compétitions « valides », elle les ôte cependant lors des compétitions handisport, car ils lui sont inutiles grâce aux alternatives possibles pour capter le signal du départ et pour ne pas avoir d’avantage sur ses concurrents.

Quand le handicap devient une force

Les stratégies de compensation développées et ses aides auditives, permettent aujourd’hui à Lola de courir comme si elle n’avait pas de déficience. Paradoxalement, c’est contre des compétiteurs valides que la jeune sprinteuse obtient les meilleures performances. Mais pour rien au monde elle ne renoncerait au handisport. « La surdité m’a apporté la chance de courir en « valide » et en handisport, de connaitre deux mondes différents, de rencontrer des personnes extrêmement diverses. Si je n’avais pas fait de handisport, j’aurais été trop ‘‘comme tout le monde’’ », explique la jeune femme qui a suivi toute sa scolarité en intégration complète avec des entendants. « Avec le handisport, j’ai beaucoup voyagé et je me suis ouverte à de nouvelles expériences ». Sa malentendance, elle la perçoit aussi comme une chance pour les sportifs valides qui la côtoient : ils ont appris à connaître et respecter son handicap. « Tout le monde fait un effort pour parler doucement et distinctement. Bien sûr, c’est pour moi qu’ils font cela. Mais ce calme est bénéfique pour tout le groupe. »

Dix-sept années séparent Trésor Makunda et Lola Perrochon. Un temps pendant lequel le regard sur le handisport a bien changé. « La majorité des clubs a désormais une section handisport », se réjouit Trésor Makunda. Un atout pour tout le monde. Dans les rencontres « Vis Mon Sport », soutenues par la Fédération des Aveugles de France, des athlètes de haut niveau apprennent à pratiquer aux côtés de sportifs handicapés, et dans les mêmes conditions qu’eux. Trésor, lui, a développé une activité de consulting et organise des conférences sur le thème de la performance pour les entreprises. « On ne se définit pas par ses manques, on se définit par ce qu’on a construit autour ». Aux managers il apprend à découvrir la force dans le handicap et à « voir » les choses autrement.  Car au-delà de l’humain, ces expériences permettent aussi de prendre conscience du rôle de chacun de nos sens dans nos gestes, notre équilibre et nos performances.

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