Arnaud Metlaine : « En perturbant le sommeil, le bruit fait perdre, tous les ans en Europe, 903 000 années de vie en bonne santé »
Le bruit peut avoir un impact négatif sur notre sommeil et sur notre état de santé en général. Un nombre important de personnes en souffre, notamment dans les grandes agglomérations. Le point avec le Docteur Arnaud Metlaine, spécialiste du sommeil, praticien hospitalier au Centre du Sommeil et de la Vigilance de l’hôpital l’Hôtel-Dieu (Paris).
Arnaud Metlaine
– Quel est l’impact du bruit sur le sommeil ?
Arnaud Metlaine : Plusieurs études scientifiques ont confirmé l’impact du bruit sur le sommeil. Le bruit peut en effet entraîner une réduction du temps total de sommeil à cause d’une plus longue durée d’endormissement et d’éveils prolongés pendant la nuit. Ainsi, le sommeil devient raccourci, instable et fragmenté, ce qui affecte considérablement sa qualité. Il a également été montré que la rythmicité interne du sommeil paradoxal peut être perturbée lors d’une exposition nocturne au bruit. Ces modifications ne sont pas toujours perceptibles par le dormeur.
À l’aide d’électrodes cérébrales implantables, il est désormais possible de suivre l’activité des réseaux neuronaux actifs au cours des différentes phases de sommeil. La relation avec le bruit est encore peu étudiée, néanmoins l’avenir est très prometteur dans ce domaine. Certaines études suggèrent par exemple que durant le sommeil lent et profond, le « bruit blanc » (un léger bruit de fond), pourrait favoriser le filtrage des informations reçues durant la journée par le cerveau, améliorant la consolidation de la mémoire.
– D’où provient le bruit ?
A. M. : Les causes des perturbations du sommeil d’origine sonore sont très diverses. Ce sont les bruits des transports terrestres et aériens qui constituent les sources de gêne et de perturbation les plus marquées. En raison de la multitude des sources sonores, l’exposition au bruit est très fréquente, en particulier dans les grandes agglomérations. Les bruits de voisinage sont également souvent incriminés. Les seuils de perturbations du sommeil sont très bas pour des niveaux de l’ordre de 50 dB, soit celui d’une rue résidentielle. Ces considérations montrent que tout un chacun peut être concerné.
« Durant le sommeil, le bruit blanc pourrait favoriser le filtrage des informations reçues durant la journée par le cerveau, améliorant la consolidation de la mémoire »
– L’état de santé en pâtit-il ?
A. M. : L’impact sanitaire du bruit peut être évalué à l’aide d’un indicateur quantitatif de charge de morbidité : le nombre « d’années de vie en bonne santé perdues ». Ainsi, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), au moins un million d’années de vie en bonne santé seraient perdues chaque année en Europe occidentale sous l’effet du bruit causé par les infrastructures de transport, dont 903 000 ans en raison des perturbations du sommeil.[1]
D’un point de vue physiologique, de nombreux travaux ont montré que les expositions au bruit génèrent un stress qui entraîne des réponses diverses de l’organisme, végétatives (notamment sur le système cardiovasculaire) et endocriniennes (élévation des sécrétions des hormones du stress : catécholamines, de cortisol).
©Mladen Zivkovic
– Certaines populations sont-elles plus exposées ?
A. M. : De façon générale, les bruits touchent plus fréquemment les catégories sociales défavorisées. Parmi les personnes les plus exposées, on trouve ainsi les personnes vivant dans des zones hyper agglomérées et certaines populations de travailleurs.
S’il existe peu de différences entre les sexes en ce qui concerne les effets objectifs du bruit sur le sommeil, l’âge est néanmoins un facteur influençant. Ainsi, les personnes âgées se plaignent plus souvent de perturbations de leur sommeil en lien avec le bruit environnant. On observe plus d’éveils intra-sommeil chez ces dernières. Il est possible qu’elles soient plus sensibles au bruit ambiant. À contrario, les enfants sont moins sensibles.
« Nous savons qu’il existe des liens entre acouphènes et troubles du sommeil, de même pour l’hyperacousie »
Certaines personnes, qui ont déjà des difficultés pour dormir, sont encore plus sensibles au bruit. Nous savons par exemple qu’il existe des liens entre acouphènes et troubles du sommeil, de même pour l’hyperacousie. Il est difficile de savoir si des troubles du sommeil réduisent les seuils acoustiques. Les facteurs psychologiques sont prédominants dans ce cas.
– Comment se prémunir du bruit pour retrouver un meilleur sommeil ?
A. M. : À l’échelle collective, la prévention consiste à réduire le bruit à la source. Les conclusions du Grenelle de l’environnement ont focalisé leur attention sur les bruits liés aux transports et à l’urbanisme. À l’échelle individuelle, les possibilités sont limitées, mais on peut réduire les perturbations des bruits extérieurs avec des bouchons d’oreille, fabriqués sur-mesure en silicone. Dans les situations plus complexes, il est préférable de consulter en centre du sommeil.
[1] Organisation mondiale de la santé (OMS). Burden of disease from environmental noise. Quantification of healthy life years lost in Europe. En ligne : http://www.who.int/quantifying_ehimpacts/publications/e94888.pdf?ua=1