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Autisme et troubles neurovisuels, les liaisons inattendues

Il ne regarde pas dans les yeux, ne se mélange pas aux autres enfants, semble vouloir rester dans sa bulle… Contrairement aux apparences, un enfant agissant ainsi n’est pas forcément autiste. Il peut souffrir de troubles neurovisuels. Explications avec Sylvie Chokron, neuropsychologue, directrice de recherche au CNRS, responsable de l’unité Vision et cognition à la Fondation ophtalmologique Rothschild, auteure d’Une journée dans le cerveau d’Anna (éd. Eyrolles).

Portrait de Sylvie Chokron, neuropsychologue

Sylvie Chokron, neuropsychologue

Les troubles visuels tels que la myopie, la presbytie ou l’astigmatisme sont bien connus. Quelle est la différence avec les troubles dits « neurovisuels » ?

Sylvie Chokron : Les troubles neurovisuels sont consécutifs à des lésions des aires visuelles dans le cerveau. Ces anomalies ne sont pas d’origine oculaire, mais bien neurologique. Autrement dit, on peut avoir une acuité visuelle parfaite, mais ne pas être capable de bien analyser ou comprendre les informations visuelles reçues. Car l’œil tout seul ne suffit pas à voir. Notre vision est une construction, dans laquelle le cerveau joue un premier rôle. Quand l’œil reçoit des images du monde extérieur, ces images vont transiter sous forme d’influx électrique jusqu’au cerveau. La tâche de ce dernier va être de reconstruire l’image qui avait été projetée sur la rétine. Quand le cerveau ne fonctionne pas comme il devrait, il devient incapable d’analyser, reconnaître, mémoriser les images qui lui parviennent. Ce qu’il nous traduit ne correspondra pas à la réalité extérieure. Certains par exemple pourront percevoir une seule partie du champ visuel, d’autres avoir des difficultés à retenir des informations purement visuelles. Même si les yeux marchent très bien, des lésions dans les aires visuelles du cerveau peuvent empêcher de voir.

Quelles en sont les causes ?

S. C. : Elles sont multiples. Chez l’adulte, cela peut par exemple venir d’un AVC, d’une tumeur cérébrale ou d’une hypoxie (diminution de la concentration d’oxygène dans le sang). Chez les tout petits, ces troubles peuvent être secondaires à un épisode de détresse respiratoire, un manque d’oxygène au moment de la naissance, ou à une grande prématurité. On sait que ces bébés ont un risque accru de développer un trouble neurovisuel, parce que les aires visuelles cérébrales sont celles qui consomment le plus d’oxygène. Donc un manque d’oxygène, même très court, peut entraîner l’apparition de lésions. L’enfant peut par la suite avoir du mal à voir. La perception, l’attention, l’analyse et la mémoire visuelle peuvent être impactées.

Ces troubles peuvent-ils être à l’origine de faux diagnostics d’autisme ?

S. C. : Oui, malheureusement. Car les enfants qui ont des troubles neurovisuels ont un risque accru de développer des traits autistiques. Certains sont donc diagnostiqués à tort autistes, alors qu’ils souffrent en réalité d’anomalies visuelles. Ne pas soutenir le regard d’autrui n’est pas toujours synonyme de trouble de l’interaction ! Parfois, c’est parce que l’enfant ne voit pas bien. Avant de pouvoir poser ce lourd diagnostic d’autisme, il faudrait déjà écarter de potentiels troubles neurovisuels. Des difficultés à lire, écrire ou compter peuvent aussi cacher des troubles neurovisuels.

« Il est important de dépister ces troubles au plus tôt, pour éviter qu’ils n’impactent les apprentissages. » 

Comment ces troubles invisibles lors d’un simple contrôle ophtalmologique peuvent-ils être dépistés ?

S. C. : Le patient peut ne pas être conscient de son trouble, d’autant plus quand il s’agit d’un enfant, qui ne réalise pas que sa vision, même dégradée, diffère de la normale. Et ce sont souvent les complications de ces troubles neurovisuels, comme des difficultés d’apprentissage (dyslexie, dysorthographie, dyspraxie…), qui amèneront les parents à consulter, pour trouver des réponses à leurs questions. La recherche d’un trouble neurovisuel doit être entreprise dès qu’il existe une plainte ou une gêne visuelle chez une personne ayant une acuité normale ou corrigée. Il est important de dépister ces troubles au plus tôt, pour éviter qu’ils n’impactent les apprentissages. Mais si l’on s’arrête à un simple examen ophtalmologique, aucun problème ne sera décelé. Heureusement, il existe aujourd’hui une série de tests très simples et rapides -une quinzaine de minutes- permettant de repérer ces troubles. Par exemple, le simple fait de demander à l’enfant de détecter un objet en périphérie de son champ visuel pendant qu’il regarde droit devant lui peut permettre d’évaluer son champ visuel. Chez certains enfants, les investigations neuroradiologiques permettront de révéler la lésion cérébrale. Ces tests sont réalisés par des professionnels formés comme des orthoptistes, orthophonistes ou neuropsychologues.

Ces troubles peuvent-ils être rééduqués ?

S. C. : Oui, absolument, ils ne sont pas irréversibles ! À condition, bien évidemment, d’être dépistés, ces troubles se rééduquent très bien. Car le cerveau a la formidable capacité de pouvoir réorganiser ses connexions neuronales. Quand on a une atteinte cérébrale, on peut réapprendre à voir, en passant par d’autres modalités sensorielles. L’idéal est de se tourner vers un spécialiste formé, comme les orthoptistes, orthophonistes, neuropsychologues, psychomotriciens, ergothérapeutes ou tout autre professionnel de santé formé. Chez des enfants que l’on pensait autistes, cela peut faire régresser certains signes. Autrement dit, ils vont se mettre à vraiment regarder les gens. Attention, cela ne fonctionnera que si ce sont bien des troubles neurovisuels qui sont à l’origine des atypies comportementales. Une rééducation permettra aussi souvent de rompre la spirale de l’échec scolaire. Dans tous les cas, réapprendre à voir demande un long travail de rééducation. Quand son champ visuel est incomplet, l’enfant fera par exemple des exercices pour le pousser à aller chercher des informations visuelles dans la zone « aveugle ». Le cerveau se modifie, apprend à reconnaître et traiter les informations visuelles qui lui parviennent. Il retranscrit plus fidèlement les images projetées sur la rétine. A force de patience, les résultats sont là.

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