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Ce que nos yeux dévoilent de nos émotions pendant que nous dormons

Il est psychiatre, spécialisé dans le sommeil. Et ce qui le passionne dans les rêves, c’est de savoir comment ils pourraient contribuer à maintenir notre bien-être et réguler nos émotions lorsque nous sommes réveillés. Le Dr Jean-Baptiste Maranci, accompagné d’Isabelle Arnulf et de leurs collaborateurs à l’Institut du Cerveau et à l’hôpital Pitié Salpêtrière (APHP) à Paris, a donc cherché à en savoir plus sur ce monde encore mystérieux. Il nous dévoile les résultats de sa dernière étude.

Homme qui dortComment est né votre intérêt pour ce sujet ?

Dr Jean-Baptiste Maranci : Depuis longtemps, je m’intéresse aux liens entre le sommeil et la dépression. Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, nous rêvons tout au long de la nuit, même si les rêves sont plus nombreux, plus riches, plus colorés pendant le sommeil paradoxal, cette phrase pendant laquelle l’activité cérébrale est intense. Sous les paupières closes, les globes oculaires se mettent alors à bouger. On sait que les patients qui connaissent un épisode dépressif, bougent plus les yeux que les autres pendant cette phase de sommeil paradoxal. On sait enfin que ceux qui sont à risque de dépression ont eux aussi ces marqueurs. Cela pourrait suggérer un lien entre cette période du sommeil et la régulation de l’humeur et des émotions. Il nous a donc semblé particulièrement utile d’étudier le lien entre les émotions des rêves et les différents types de mouvements oculaires observés au cours du sommeil.

Le sommeil paradoxal est surnommé REM en anglais, pour Rapid Eye Movement, car dans cette phase, les yeux se mettent à bouger, alors que le reste du corps est immobile. Quelles sont les hypothèses pour expliquer le rôle de ces mouvements rapides des yeux ?

Dr J-B. M. : Certains pensent que le dormeur suivrait le scénario du rêve, de la même manière qu’il regarde une scène quand il est réveillé. Mais les yeux bougeant sous des paupières closes, il n’y a en réalité rien à voir. Cela fragilise donc cette première hypothèse. D’autres experts pensent que lorsque nous bougeons les yeux la nuit, il peut y avoir une co-activation des zones cérébrales impliquées dans les émotions, notamment l’amygdale.

Les vingt patients qui ont participé à votre étude ont tous un point commun, ils souffrent du trouble du comportement en sommeil paradoxal (TCSP)…

Dr J-B. M. : En effet, si dans nos songes, nous courons de toutes nos forces, nous pédalons ou nous volons, dans notre lit, nous restons parfaitement immobiles. La responsable de cette paralysie temporaire pendant le sommeil paradoxal est le locus sub coeruleus, une zone du tronc cérébral. Les patients souffrant du TCSP, eux, « vivent » plus intensément leurs songes. Autrement dit, ils n’ont pas cette paralysie musculaire. Quand ils rêvent qu’ils se bagarrent, par exemple, ils donnent réellement des coups, pouvant même blesser leur partenaire, et quand ils rêvent qu’ils tombent, ils se réveillent au pied de leur lit. Ils peuvent aussi parler ou crier, traduisant l’émotion du rêve en cours. Leurs visages pendant le sommeil paradoxal sont un véritable livre ouvert sur les émotions en rêve, ce qui était intéressant dans le cadre de notre étude. Ici, nous ne nous contentons pas de récolter les contenus de rêves. Par ailleurs, ces récits peuvent être partiels, et parfois inexacts, car il est difficile de se souvenir parfaitement de nos rêves. Souvent, le dormeur ne se souvient que de bribes. Nous avons pu dépasser cette limite en faisant appel à ces patients souffrant de TCSP. Simplement en regardant leurs expressions, et leurs mouvements, nous avons eu accès à leurs émotions pendant qu’ils rêvaient.

« Les émotions négatives pendant les rêves étaient associées à des mouvements oculaires « en bouffées », c’est-à-dire groupés les uns à la suite des autres. »

Etude après étude, le rôle du sommeil pour réguler les émotions -et donc, apporter plus de bien-être aux individus- est de plus en plus évoqué comme une hypothèse solide par les chercheurs en neurosciences. Pour mieux comprendre ce lien entre le sommeil paradoxal et les émotions au cours des rêves, vous avez enregistré le sommeil des participants à l’aide de polysomnographie. Comment s’est déroulée votre étude ?

Dr J-B. M. : Nous avons filmé les vingt patients avec des caméras infrarouge, dirigées vers leurs visages et leurs corps. A leurs expressions, leurs paroles, et leurs mouvements, nous pouvions en déduire si leurs rêves étaient positifs ou négatifs. Nous avons constaté que les émotions négatives arrivaient plus tôt au cours des épisodes de sommeil paradoxal.

Vos résultats ont été publiés en novembre 2022 dans la revue Scientific reports. Quels sont-ils ?

Dr J-B. M. : Une théorie stipule qu’au cours des rêves, nous rejouons les éléments émotionnels de la journée passée, pas forcément de façon exacte. Le but serait, non seulement de mettre ces événements en mémoire, mais aussi de les digérer. C’est notamment parce qu’il modifie la réalité que le rêve apporte de la distance, réduisant ainsi la charge émotionnelle associée au souvenir. Passées aux filtres des rêves, la colère, la tristesse ou la peur s’estompent. Nous ferions donc chaque nuit notre propre thérapie nocturne grâce aux rêves. Ce que nous avons constaté lors de notre étude, c’est que les émotions négatives pendant les rêves étaient associées à des mouvements oculaires « en bouffées », c’est-à-dire groupés les uns à la suite des autres (par opposition à des mouvements plus isolés). Cela évoque de manière troublante l’EMDR, cette thérapie qui incite les patients à se remémorer des moments douloureux, tout en leur faisant bouger les yeux, permettant ainsi, très souvent, de les guérir. Le fait que les yeux bougent pendant les rêves pourrait, de la même manière, aider à digérer les émotions négatives. Il s’agirait, en quelque sorte, d’un EMDR nocturne. A l’inverse, nous avons constaté que lors des émotions positives, les yeux bougeaient aussi, mais plus lentement. Pour quelle raison, nous ne savons pas encore le dire.

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