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Dominique Gerbaulet : « La kinésithérapie vestibulaire prend en compte l’ensemble de la chaîne de l'équilibre »

Les chutes sont la seconde cause de mortalité accidentelle en France. Elles concernent chaque année 400 000 personnes âgées, dont 12 000 qui en décèdent. D’où l’importance de conserver, le plus longtemps possible, un bon sens de l’équilibre. À tous les âges de la vie, la rééducation vestibulaire permet de vaincre de nombreuses causes de vertiges et d’instabilité. Les explications de Dominique Gerbaulet, kinésithérapeute et Présidente de la Société Française de Kinésithérapie Vestibulaire (SFKV).

Portrait de Dominique Gerbaulet

Dominique Gerbaulet

– À quoi sert la kinésithérapie vestibulaire ?

Dominique Gerbaulet : L’équilibre est assuré par un système multisensoriel complexe qui combine des informations provenant des différents référentiels posturaux (yeux, vestibule, proprioception), à différents niveaux du tronc cérébral, du cervelet et du cortex cérébral, puis qui les transmet via les noyaux vestibulaires aux centres supérieurs. Ces informations vont permettre la perception consciente de l’orientation et du mouvement volontaire, ainsi que le contrôle automatique de la motricité oculaire et de la posture par trois voie de réflexes :

  • Le réflexe vestibulo-oculaire, qui maintient la stabilité du regard pendant les déplacements de la tête.
  • Le réflexe optocinétique, qui maintient l’image stable lors du déplacement de l’environnement.
  • Les réflexes vestibulo-spinaux, qui contribuent à la stabilité de la posture et à l’équilibre.

Toute discordance entre ces informations crée un conflit, un malaise. La kinésithérapie vestibulaire est là pour aider nos patients à compenser une entrée déficiente mais aussi à changer de stratégie et à faire disparaître ces conflits.

Le terme de « kinésithérapie vestibulaire » ou de « rééducation vestibulaire » n’est plus très adapté aujourd’hui, car nos thérapies ne concernent pas seulement le fonctionnement du vestibule, ce petit organe de l’oreille interne, mais l’ensemble des capteurs et des voies nerveuses impliquées dans la chaîne de l’équilibre. Pour aider les patients victimes d’instabilité et de vertiges, nous utilisons toutes les entrées sensorielles de l’équilibration, toutes les perceptions qui permettent à l’individu de s’orienter et d’être stable. Idéalement, on ne devrait donc plus parler de kinésithérapie vestibulaire mais de « rééducation neurosensorielle. »

– À qui s’adresse la kinésithérapie vestibulaire ?

D. G. : Initialement, cette rééducation a été développée pour des patients qui souffrent de pertes d’équilibre, de vertiges, de nausées dues à des lésions vestibulaires ou de problèmes avérés de l’oreille interne.

Vision qui se trouble

© YUCELOZBER

On rencontre maintenant de plus en plus de personnes affectées par des problèmes de stratégie sensorielle, pour lesquelles le fonctionnement des trois sources d’équilibre (yeux, vestibule, proprioception) est désorganisé. C’est particulièrement vrai pour les personnes qui utilisent en permanence les écrans au travail. Ils vivent en environnement confiné toute la journée, restent statiques, fixent l’écran, surutilisent leur vue et finissent par être atteints de « dépendance visuelle », c’est-à-dire qu’ils privilégient la vue en toutes circonstances. Dès qu’ils ferment l’ordinateur, ils commencent à se sentir instables, à avoir la sensation désagréable de perdre l’équilibre. Ce phénomène est accru par l’utilisation permanente de baladeurs MP3.

Enfin, la kinésithérapie vestibulaire permet de vaincre le « mal des transports. »

– De quand date cette thérapie ? En pratique comment se réalise-t-elle ?

D. G. : Les premières observations ont été faites aux Etats-Unis dans les années 1940 par Terence Cawthorne et F.S. Cooksey. Ils ont proposé à des patients souffrant de handicaps par atteintes neurosensorielles (polytraumatisés, post-AVC…) des exercices ayant pour but de mobiliser leur tête. Ils se sont rendu compte qu’en stimulant ces patients, ils récupéraient mieux.

Mais la naissance véritable de la kinésithérapie vestibulaire remonte aux années 1960 avec les travaux de deux français, le chirurgien Jean-Marc Sterkers et le kinésithérapeute Alain Semont. Jean-Marc Sterkers est parti de l’observation des danseurs et des patineurs qui, pendant leurs pirouettes, gardent miraculeusement leur équilibre et parviennent à s’arrêter pile au bon endroit. Alors que, nous le savons tous, lorsque nous tournons et virevoltons, nous finissons par avoir « la tête qui tourne ». Le secret de ces artistes : ils focalisent en permanence leur regard sur un point fixe. Sterkers a compris que cette fixation visuelle était un élément essentiel pour conserver l’équilibre. À partir de là, Alain Semont a développé des exercices de rotation avec un point de mire. Le plus connu est le fameux fauteuil rotatoire.

« La fixation visuelle est un élément essentiel pour conserver l’équilibre »

D’autres exercices sont ensuite apparus comme la stimulation optocinétique en champ visuel total. En pratique, le patient est dans le noir, des points lumineux défilent devant lui et il doit rester stable. On agit également sur la proprioception, c’est-à-dire la capacité du corps, et notamment des pieds, à percevoir sa position dans l’espace, en apprenant au patient à conserver son équilibre sur des plateformes mobiles

– Quelles sont les avancées récentes dans votre discipline ?

D. G. : Certains de nos outils comme le fauteuil rotatoire ont mauvaise réputation. On le voit comme un appareil de torture qui rend les patients malades et les fait vomir ! Dans les faits, la pratique a beaucoup évolué. Nous ne sommes plus obligés de faire tourner les patients à toute allure. C’est plus doux, plus progressif et aussi plus efficace. Nous avons d’autres outils pour la stimulation à plus haute vitesse. Un nouvel outil émergent est la réalité virtuelle immersive permettant de pratiquer de nombreux tests qui requéraient auparavant l’obscurité totale ou de recréer des situations conflictuelles mal vécues (mal des transports, syndrome de défilement, vertiges des hauteurs…)

Nous avons la chance en France d’avoir d’excellents laboratoires de recherche en neurocognition comme le centre de Marseille (CNRS), qui s’intéresse notamment à la plasticité neuronale, c’est-à-dire la capacité de notre cerveau à régénérer des connexions jusqu’à la fin de notre vie. Nous avons aussi des chercheurs qui travaillent conjointement avec l’industrie. Les fabricants de matériel mettent à notre disposition des outils de plus en plus pointus pour analyser les mouvements de l’œil en rapport avec l’oreille. C’est en étudiant ce réflexe que l’on met en évidence des anomalies de fonctionnement, des asymétries de fonctionnement entre les 2 cotés, etc.

Une autre avancée majeure concerne la possible récupération de l’organe périphérique qu’est l’oreille interne. Autrefois, on considérait que lorsqu’elle était altérée, les lésions étaient définitives. En réalité, l’organe peut dans un premier temps être « sidéré » puis redevenir partiellement fonctionnel. Nous adaptons nos techniques à cette récupération d’organe. L’industrie pharmaceutique s’y intéresse aussi.

Aujourd’hui, les deux sociétés savantes de rééducation vestibulaire travaillent conjointement avec des ORL, des neurologues, des laboratoires de recherche fondamentale, des industriels… Nos congrès sont multidisciplinaires et nos pratiques évoluent vite.

En pratique

– Les kinésithérapeutes pratiquant la rééducation vestibulaire sont regroupés au sein de deux sociétés savantes, la SFKV (Société Française de Kinésithérapie Vestibulaire, www.sfkv.fr) et la SIRV (Société Internationale de Réhabilitation Vestibulaire, www.vestib.org).
– Selon les cas, les séances de rééducation vestibulaire peuvent être prescrites par le médecin généraliste, l’ORL, le neurologue, le spécialiste en médecine physique et de réadaptation ou le gériatre.
– Les séances durent de 20 à 30 minutes et sont réalisées, en général, à raison d’une ou deux fois par semaine.
– Les résultats sont durables mais l’évolution de la pathologie peut conduire à refaire des séances.
– 50 % des vertiges sont des VPPB (vertiges positionnels paroxystiques bénins). Pour ces vertiges, d’origine mécanique, le traitement passe par une manœuvre libératrice qui peut également être réalisée par un kinésithérapeute.

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