Dr Jean-Luc Fauquert : « Les allergies oculaires graves, mal prises en charge, peuvent altérer la vision »
La plupart sont bénignes. Quelques-unes sont plus préoccupantes et peuvent entraîner des séquelles visuelles. Le Dr Jean-Luc Fauquert, allergologue et président du groupe d’ophtalmo-allergologie (GOA) et de l’international group for ocular allergy (IGOA), a mis en place en Auvergne une consultation unique pour la prise en charge des allergies graves de l’œil. Il fait le point sur ces pathologies de plus en plus fréquentes.
Jean-Luc Fauquert
– Quelles sont les allergies oculaires que vous observez le plus souvent ?
Dr Jean-Luc Fauquert : Les allergies oculaires sont des pathologies extrêmement fréquentes. On estime qu’elles constituent 25 % des motifs de consultations en période printanière pour la population pédiatrique. Un peu moins chez l’adulte (15 à 20 % de la population à l’échelle planétaire) [1]. Ces conjonctivites, habituellement bénignes, sont associées à des rhinites. Très souvent, les pollens sont en cause. Le diagnostic de ces allergies oculaires est évident. Un bon moyen mnémotechnique pour en retenir les symptômes est l’acronyme PLOER : P comme prurit, L comme larmoiement, OE comme œdème, et R comme rougeur. Le traitement des conjonctivites bénignes est bien codifié : on soigne les crises aiguës par des antihistaminiques et des antidégranulants locaux.
Il existe également des cas d’allergies oculaires de contact. Parmi elles, les allergies aux additifs de collyres (cf. encadré) et les allergies professionnelles, en particulier les allergies au latex. Ces allergies de contact apparaissent 2 à 3 jours après l’exposition à l’allergène. Les allergies de contact aux cosmétiques touchent plutôt les femmes et concernent des produits que l’on met sur son visage, ses cheveux, ou même sur ses mains. Les hommes, qui ont de plus en plus recours aux produits cosmétiques, peuvent être également concernés. J’ai soigné récemment un monsieur venu nous voir avec une kératoconjonctivite atopique. Il avait une atteinte cornéenne majeure ; nous avons testé tous les produits de soin qu’il utilisait et avons trouvé une réaction massive à la mousse de chêne présente dans son gel après rasage.
« Les allergies oculaires constituent 25 % des motifs de consultations en période printanière pour la population pédiatrique. »
– Vous avez créé une consultation d’ophtalmologie et allergie, quelle est sa mission ?
J-L.G : Ouverte au CHU de Clermont-Ferrand en 1993, cette consultation est dédiée spécifiquement aux allergies oculaires graves, comme les « keratoconjonctivites vernales » qui peuvent, si elles ne sont pas prises en charge correctement, entraîner des troubles visuels et une altération de la vision. Ces conjonctivites sévères s’expriment par une intolérance à la lumière (photophobie), des douleurs, un chémosis (conjonctive très rouge, paupières gonflées…) et des sécrétions plus épaisses entraînant une sensation de yeux collés. Il s’agit donc le plus souvent de pathologies rares, peu ou mal connues des médecins, et qu’il est difficile de diagnostiquer.
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– Comment détectetons les keratoconjonctivites ?
J-L.G : On peut confondre les keratoconjonctivites avec d’autres maladies oculaires comme la rosacée oculaire et surtout le syndrome de l’œil sec. Ces affections touchent à la fois la cornée (kératite) et la conjonctive. L’atteinte tarsale, c’est-à-dire de l’intérieur de la paupière, est un bon moyen de repérer ces conjonctivites allergiques. Il faut retourner la paupière pour faire un diagnostic : la présence de papilles géantes est un signe de cette maladie.
La cornée peut aussi être « percée » d’innombrables petits trous (kératite ponctuée superficielle), parfois même un ulcère de la cornée se développe, voire une « plaque vernale ». À ce stade, la maladie risque de laisser des séquelles visuelles importantes.
Pour voir une kératite ponctuée superficielle lors de l’examen, il faut être alerté par la photophobie intense ressentie par le patient. Il se présente en général avec des lunettes de soleil car il est incapable de supporter la lumière. Seule une coloration des larmes à la fluorescéine, suivie d’un examen à la lampe à fente sous lumière violette, permet de mettre en évidence les petits trous qui ponctuent la cornée. Au stade de l’ulcère, en revanche, il est difficile de passer à côté du diagnostic.
« Une bonne prise en charge de ces maladies doit associer traitement de crise et traitement de fond. »
– Comment traitez-vous les patients atteints de keratoconjonctivites ?
J-L.G : En période de crise, les collyres corticoïdes fonctionnent très bien. Mais ils ne guérissent pas la maladie. Le problème de ce traitement : il est tellement efficace que beaucoup de patients y ont recours de manière régulière, au risque d’entraîner des complications dues notamment aux corticoïdes. Une bonne prise en charge de ces maladies doit donc associer traitement de crise et traitement de fond. Dans notre consultation, nous avons mis au point un protocole que j’appelle la technique du mille-feuilles. C’est un traitement de fond qui associe des antihistaminiques et des anti-dégranulants locaux, des larmes artificielles, des antihistaminiques par voie générale… On utilise également de la cyclosporine ou d’autres immunosuppresseurs comme le tacrolimus. C’est la synergie de tous ces traitements qui va permettre la maîtrise de la maladie. Il faut savoir qu’un grand nombre de kératoconjonctivites vernales surviennent chez des enfants. En période de crise, ils sont totalement déscolarisés. Et quand la prise en charge n’est pas adaptée, ces jeunes risquent des séquelles visuelles, qui ont été chiffrées à 36 % des cas [2]. Avec le protocole que nous utilisons, nous parvenons à éviter la survenue de ces séquelles.
– D’où viennent les patients qui consultent votre unité ?
J-L.G : Aujourd’hui, la moitié des patients sont originaires de la région Auvergne-Rhône-Alpes, les autres viennent de toute la France, parfois même de l’étranger. Nous ne recevons que des patients adressés par un spécialiste. En soin primaire, ils ont été examinés par leur généraliste, qui les a orientés vers un spécialiste (ophtalmologiste, dermatologue ou allergologue). C’est ensuite ce spécialiste, qui après avoir reçu le patient, nous l’adresse pour avis complémentaire. La consultation au CHU est duelle : aucun patient n’est examiné sans que les deux spécialistes, allergologue et ophtalmologue, puissent donner et confronter leur avis.
Allergies aux collyres
Le traitement des allergies oculaires se fait par collyre (gouttes que l’on instille dans les yeux). Ces collyres sont très bien supportés lorsqu’ils sont utilisés de manière ponctuelle. Les travaux du Pr Christophe Baudoin ont néanmoins montré que lorsqu’on y a recours de manière trop répétée, les conservateurs présents dans ces collyres peuvent entraîner des effets secondaires, notamment des allergies oculaires de contact aux conservateurs. Pour les éviter, il est important d’utiliser des collyres sans additifs. C’est le cas des produits présentés sous forme de collyre « abak » dont le bouchon réabsorbe les additifs.
[1] Société Française d’Ophtalmologie, Surface oculaire, Chapitre 5 « Allergie oculaire ».
En ligne : http://www.em-consulte.com/em/SFO/2015/html/file_100017.html
[2] Serge Doan, L’œil de l’allergique.
En ligne : http://www.sp2a.fr/pdf/CFP2A-2012/oeil-allergique.pdf