Dr. Martin Teboul : « L’EMDR est une thérapie neuro-bio-psychologique »
Inventée en 1987 par la psychologue américaine Francine Shapiro, qui a reçu en 2002 le prestigieux prix Sigmund Freud pour ses travaux, l’EMDR permet de soigner les maux de l’âme par des mouvements oculaires provoqués, associés ou pas à une stimulation tactile ou auditive. Le Docteur Martin Teboul, neurophysiologiste de formation, médecin sexologue andrologue et président de l’association EMDR France, nous présente cette technique.
Dr Martin Teboul
– Qu’est-ce que l’EMDR et comment cette psychothérapie a-t-elle été inventée ?
Martin Teboul : L’EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires, en anglais) est un mode de traitement psychothérapeutique qui utilise la stimulation sensorielle des deux côtés du corps, soit par le mouvement des yeux soit par des stimuli auditifs ou cutanés, pour induire une résolution rapide des symptômes liés à des événements du passé. L’EMDR a été inventée en 1987 par Francine Shapiro. Cette psychologue raconte avoir réussi au cours d’une promenade à évacuer ses pensées négatives en faisant bouger ses yeux rapidement de droite à gauche. Il s’agissait d’une description sur elle-même, qu’elle a ensuite reproduite chez des patients. Elle a travaillé au début sur les abus sexuels et les troubles psychiques des vétérans de l’armée américaine. L’EMDR, codifiée aujourd’hui dans un protocole en 8 étapes, a montré des résultats très positifs pour les victimes de conflits, de violences sexuelles mais aussi d’attentats ou de catastrophes naturelles. De nombreuses études scientifiques, régulièrement publiées depuis 30 ans, ont confirmé son efficacité.
– Dans quels cas utilise-t-on l’EMDR ?
M. T. : Historiquement, l’EMDR a été utilisée pour traiter l’état de stress post-traumatique (ESPT) apparaissant après d’importants psychotraumatismes. Son usage a ensuite été élargi aux événements difficiles de la vie : séparation, deuil, avortement, accident, dépression. L’EMDR commence aussi à prendre sa place dans la prise en charge de pathologies médicales, comme en gastro-entérologie où 70% des problématiques sont d’origine psychologique. On peut également citer la dermatologie avec les allergies cutanées, la cardiologie en post-infarctus, ou la cancérologie où l’EMDR peut accompagner les traitements. Des résultats encourageants ont par ailleurs été apportés contre les acouphènes. Un souvenir identifié n’est pas nécessaire pour travailler en EMDR, d’où son utilité en cas de dépression ou d’obésité, parfois liées à des traumatismes comme des abus sexuels occultés. Des souvenirs fragmentés peuvent suffire à faire remonter une mémoire plus précise des événements.
« Au niveau cérébral, l’EMDR relance les mécanismes physiologiques qui permettent de digérer un stress. »
– Quel est le fondement scientifique de cette thérapie ?
M. T. : Il s’agit d’une thérapie neuro-bio-psychologique. Au niveau cérébral, l’EMDR relance les mécanismes physiologiques qui permettent de « digérer » un stress. Face à une situation de stress peu important, le souvenir est stocké comme un simple élément autobiographique et ne provoque pas de gêne particulière. Si le stress est trop important, le système est « dépassé » et les modalités de régulation ne fonctionnent plus. Le cerveau limbique, siège des émotions, et le cortex préfrontal, qui permet la pensée construite, ne fonctionnent plus ensemble. La charge émotionnelle ne peut plus être réduite par le fonctionnement de la pensée rationnelle. Cela peut aussi se traduire par une amnésie de certains éléments ou de la chronologie de l’événement. Avec l’EMDR, il a été montré que des liens fonctionnels entre ces deux structures cérébrales se recréent. À l’IRM, après quelques séances, on observe une diminution de l’activation de l’amygdale, zone du cerveau limbique, et une augmentation de celle du cortex préfrontal.
– Quel est le lien entre stimulation des sens et EMDR ?
M. T. : La mémoire fonctionne sur un mode très sensoriel : on se souvient des événements parce qu’on a vu, entendu, ou senti quelque chose de notre environnement. Dans le cas extrême d’un attentat par exemple, les témoins parlent de bruits, d’odeurs… Passer de nouveau par les sens favorise le retraitement de l’information. Cela permet un retour à une description correcte de l’épisode et un retraitement pour que les souvenirs négatifs ne continuent pas à s’imposer, sous forme de flashbacks, de cauchemars ou d’addictions. Au niveau physiologique, il semble y avoir une stimulation du système parasympathique de la détente. La question se pose de savoir s’il faut traiter le patient dès l’étape de stress aigu ou attendre qu’un stress chronique, voire un ESPT, se soit installé. Les recherches actuelles tendent à montrer qu’il vaut mieux privilégier une intervention précoce.
« Le patient en EMDR travaille dans un état d’attention double : il est à la fois ici avec le thérapeute et là-bas dans son souvenir. »
– Peut-on comparer l’EMDR au sommeil paradoxal pendant lequel des mouvements oculaires rapides sont observés ?
M. T. : Il est exact de noter que la mémoire est retravaillée pendant différentes phases du sommeil, et en particulier, mais pas seulement, lors des phases de sommeil paradoxal, celles pendant lesquelles nous rêvons. On note durant cette phase des mouvements oculaires rapides, dits « rapid eye movements » ou REM. L’EMDR, elle, utilise des mouvements plus lents. Par ailleurs, le patient en EMDR travaille dans un état d’attention double : il est à la fois ici avec le thérapeute et là-bas dans son souvenir.
©KatarzynaBialasiewicz
– Est-il plus efficace de stimuler plusieurs sens en même temps ?
M. T. : En EMDR, le praticien peut stimuler la vue, l’ouïe par l’émission de bips, le toucher en tapotant les genoux ou grâce à un vibreur tenu dans les mains. La stimulation se fait alternativement à gauche et à droite. Certains ont décrit une meilleure efficacité en stimulant plusieurs sens à la fois mais cela nécessite de s’équiper d’appareils, comme des rampes de LEDs, des casques pour les oreilles…
– Quel est le taux de réussite de la thérapie EMDR ?
M. T. : L’EMDR est reconnue par l’OMS et l’Inserm. En effet, il existe beaucoup d’études expérimentales qui l’ont validée. Dans diverses situations, le taux de réussite s’avère plus grand que d’autres approches, comme les thérapies cognitivo-comportementales ou l’hypnose. L’EMDR arrive parmi les thérapies qui fonctionnent le mieux et le plus rapidement après un attentat. D’où la recommandation de l’OMS de juin 2015 de l’utiliser dans ces situations en première ligne. L’EMDR n’est pas dangereuse, le seul risque est l’échec. L’important est vraiment d’être pris en charge par quelqu’un de bien formé. C’est le rôle de l’Association EMDR France, de vérifier la qualité de la formation des praticiens. Pour trouver un bon praticien, le mieux est de passer par le site internet emdr-france.org qui comporte une liste de praticiens accrédités, psychologues, psychiatres, médecins et psychothérapeutes.