Dr Subirana : « Les jeunes se plaignent de leur vue et n’y remédient pas »
Chaque été, l’Association nationale pour l’amélioration de la Vue (AsnaV) publie son baromètre de la santé visuelle, qui suit l’évolution des perceptions des Français sur le sujet. Le Docteur Xavier Subirana, Vice-président du Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) et membre de l’AsnaV, décrypte pour nous les résultats de l’édition 2019.
Les chiffres clefs du baromètre 2019 de l’ASNAV
• La vue devient en 2019 la première cause de préoccupation des parents pour leur enfant, devant la santé dentaire, les problèmes de peau et d’audition et les problèmes de poids, mais… 73 % des parents pensent que l’examen de la vue de l’enfant est inutile avant 3 ans (dont 30 %, pas avant 5 ou 6 ans).
• 86 % des adultes français déclarent faire attention à leur santé visuelle, mais… 23 % ne font contrôler que très rarement leur vue et 6 % (plus de 3 millions de personnes) ne le font jamais.
• 75 % des 16-24 ans ressentent souvent ou de temps en temps de la fatigue visuelle, mais… 34 % ne prennent aucune initiative pour y remédier.
• 15 % des 16-24 ans n’ont jamais consulté un ophtalmologue.
• Entre 2009 et 2019, la proportion de personnes réalisant un contrôle de routine chez l’ophtalmologiste (sans problème particulier) est passée de 74 % à 45 %.
• 39 % des Français se déclarent myopes (versus 29 % en 2014).
– L’édition 2019 du baromètre de l’AsnaV révèle, pour la première fois, que la vue devient une préoccupation centrale pour les Français. Que vous inspirent ces résultats ?
Xavier Subirana : Ce baromètre présente l’avantage de suivre une méthodologie très rigoureuse au niveau de la représentativité des échantillons. Cela fait maintenant 15 ans que cette enquête est réalisée. Nous disposons donc d’informations fiables et comparables pour estimer l’évolution des comportements. Le fait que la vue soit aujourd’hui une préoccupation importante pour les Français est probablement une conséquence de l’intérêt porté à ces problèmes par les médias. Qu’il s’agisse de l’« épidémie de myopie », des « risques de la lumière bleue » ou de l’« impact des écrans sur la santé visuelle », les articles et reportages sur ces thèmes fleurissent. La population s’interroge donc – à juste titre – sur les moyens de préserver sa vue.
Si la fréquence des visites de routine pour vérification de la vision diminue, il faut rappeler que les ophtalmologistes voient tout de même 40 % de la population française chaque année. Certes, il reste des patients qui ne consultent jamais, mais la situation s’améliore depuis trois ans, malgré le manque d’ophtalmologues.
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– Quelles évolutions observez-vous sur ces quinze dernières années ?
X. S. : J’observe deux évolutions contradictoires. D’un côté le comportement des patients a changé. Autrefois, les patients étaient plus respectueux des codes et suivaient correctement les parcours de soins… Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une ère différente, caractérisée par un « nomadisme » médical, surtout dans les grandes villes. On observe de la part des patients une forme de « consumérisme » qui ne va pas dans le sens d’une prise en charge optimale. De l’autre côté, les opticiens veulent de plus en plus être considérés comme de vrais professionnels de santé et sortir du simple rôle de vendeur de lunettes, ce qui de mon point de vue est une excellente chose.
– Le baromètre fait ressortir un suivi insuffisant chez les 16-24 ans…
X. S. : C’est en effet assez inquiétant. Ces dernières années, l’AsnaV s’est focalisée sur deux tranches d’âges à problèmes, les jeunes enfants à cause des risques d’amblyopie et les adolescents en raison de la flambée de la myopie. Cet automne, les « Journées de la Vision » que pilote l’AsnaV seront dédiées à ces jeunes de 16 à 24 ans. Ils se plaignent de leur vision et commencent à prendre conscience du caractère précieux de ce sens, mais pour autant et c’est paradoxal, ils ne font rien pour y remédier. D’un côté ils continuent de passer leurs journées devant des écrans (plus de 9 heures par jour selon le baromètre AsnaV) et de l’autre ils n’ont pas idée d’aller consulter !
Ce qui me frappe dans le baromètre de cette année c’est vraiment cette dichotomie entre la perception de symptômes gênants comme la fatigue visuelle, les yeux qui piquent, les céphalées et… l’absence d’action pour soulager ces symptômes.
« En 20 ans, nous sommes passés de 20 à 40 % de myopes toutes populations confondues. »
– Surconsommation d’écrans, lumière bleue, myopie… Quelles sont les principales menaces qui à votre avis pèsent sur notre vue et celle de nos enfants ?
X. S. : La lumière bleue des écrans d’ordinateurs présentait autrefois un risque mais ce n’est plus le cas depuis déjà nombre d’années. Le problème de la lumière bleue se pose surtout pour les enfants dont le cristallin, très transparent, filtre moins les longueurs d’onde potentiellement toxiques. La bonne attitude à avoir est encore en discussion.
Pour les adolescents, le problème le plus préoccupant reste l’épidémie de myopie. En 20 ans, nous sommes passés de 20 à 40 % de myopes toutes populations confondues. La surconsommation d’écrans est probablement un facteur important dans le développement de ce trouble. L’abus d’écrans et surtout de smartphones entraîne en effet un effort accommodatif constant qui retentit sur l’évolution de l’œil de l’enfant. L’œil n’est pas conçu pour regarder constamment à 20 cm de distance, ni pour focaliser en permanence. Le « punctum proximum », le point le plus proche que peut observer l’œil sans fatiguer, est situé à 33 cm. Il est donc essentiel de limiter le temps d’écran chez l’enfant et l’adolescent et lui demander d’éloigner son smartphone de son visage. Les résultats du baromètre ne vont hélas pas dans ce sens et on a même l’impression, quand on compare aux années précédentes, que les parents ont « lâché prise » dans la gestion du temps d’écran quotidien de leurs enfants. En 2018, ils étaient 63 % à demander à leurs enfants de faire des pauses régulières dans le visionnage d’écrans, ils ne sont plus que 48 % en 2019. Parallèlement, pour lutter contre la progression d’une myopie, il faut proposer aux enfants des activités en plein air car le rayonnement solaire a un effet favorable en ralentissant l’évolution de la myopie.
« Il faut un dépistage pour tous les enfants entre 3 et 4 ans. À 5 ans c’est déjà trop tard, car si un enfant souffrant d’amblyopie n’est pas corrigé avant l’âge de 6 ans, son handicap est définitivement installé. »
– Autre inquiétude, le manque de connaissance des parents sur la prévention des troubles visuels chez l’enfant. Le baromètre montre que pour la majorité des parents, l’âge optimal pour un premier bilan ophtalmologique est situé vers 5 ans…
X. S. : Il faut un dépistage pour tous les enfants entre 3 et 4 ans. À 5 ans c’est déjà trop tard, car si un enfant souffrant d’amblyopie n’est pas corrigé avant l’âge de 6 ans, son handicap est définitivement installé. Ce dépistage doit être réalisé par des professionnels spécialisés car les enfants ont un pouvoir accommodatif extraordinaire. Il nous arrive de voir en consultation des enfants capables de compenser des myopies de 5 à 10 dioptries. L’examen de routine peut donc revenir normal alors que l’enfant souffre d’un vrai problème réfractif. Pour éviter ce piège, il est essentiel de réaliser le bilan après avoir instillé des gouttes qui bloquent l’accommodation. Le dépistage de l’astigmatisme est également important au moment de l’entrée au CP. À côté des vrais dyslexiques, qui nécessitent des traitements longs et complexes, combien d’enfants a-t-on étiqueté à tort « dyslexiques » au motif qu’ils confondaient les b et les p, simplement parce qu’ils étaient astigmates. Une paire de lunettes … et cette « dyslexie » là disparaitra !
- Pour en savoir plus sur l’impact de la vue et de l’audition sur l’apprentissage de la lecture : http://observatoire-groupeoptic2000.fr/etudes/etude-4/
- Pour en savoir plus sur les résultats du baromètre 2019 de l’AsnaV : https://cmavue.org/actualite/sante-visuelle-des-16-24-ans/