L’hyperacousie, l’hypersensibilité aux sons
Certains bruits leur sont très désagréables, alors qu’ils sont pourtant à une intensité habituellement tolérable par les autres personnes. La vie des hyperacousiques est loin d’être un long fleuve tranquille. Explications avec le Pr Bruno Frachet, ancien chef du service ORL de l’hôpital Rothschild, à Paris (APHP).
Qu’est-ce que l’hyperacousie ?
Pr Bruno Frachet : C’est une perception anormale des bruits et des sons, même les plus banals. Le seuil de tolérance au bruit des hyperacousiques est plus bas que la moyenne. Toutes les fréquences sonores peuvent être concernées. Les pleurs d’un enfant, l’aboiement d’un chien, le bruit d’un aspirateur ou une sirène de pompiers peuvent leur être très pénibles. Cela va du simple inconfort à une douleur, parfois jugée insupportable. L’hyperacousie concerne le plus souvent les deux oreilles. Dans une oreille normale, il y a une progressivité entre un murmure et le bruit d’un marteau piqueur. L’hyperacousique perd cette progressivité. Il n’entend pas puis, soudain, il entend très fort, trop fort. Ce phénomène est très fréquent. L’hyperacousie est à distinguer de la misophonie, ces sons produits par les autres, que vous ne supportez pas. Cela peut être le glissement d’une craie sur le tableau, le crissement d’une fourchette dans l’assiette, ou le froissement d’un papier de soie. La misophonie, elle, n’entraîne pas de douleur.
Quelles sont les conséquences au quotidien pour les personnes qui en souffrent ?
Pr B.F. : Cet handicap, s’il est invisible, peut néanmoins empoisonner le quotidien de ceux qui en sont atteints. Il peut ainsi entraîner de la fatigue, des maux de tête, du stress, de l’irritabilité, mais aussi des troubles du comportement. L’hyperacousie peut parfois gêner plus que les acouphènes, qui sont déjà très désagréables. Au point de vouloir se surprotéger. Certains ne prennent plus les transports en commun, ne vont plus dans un centre commercial, refusent les dîners quand ils savent qu’il y aura trop de monde autour de la table… Ils ne peuvent plus sortir de chez eux sans bouchons d’oreilles, voire sans casque antibruit. Ils s’isolent, mettent en place des stratégies d’évitement. Dans les cas les plus extrêmes, ils peuvent ne sortir de chez eux que la nuit.
Les causes sont-elles connues ?
Pr B.F. : Contrairement à une idée reçue, les hyperacousiques n’ont pas une meilleure ouïe que la moyenne parce qu’ils perçoivent des sons plus forts qu’ils ne le sont en réalité. Bien au contraire ! L’hyperacousie est régulièrement associée à une perte auditive. Elle s’accompagne aussi fréquemment d’acouphènes. Elle peut venir d’un traumatisme sonore, suite à l’exposition à un son très fort (concert), ou à une exposition répétée (comme les bruits de machine dans le cadre professionnel, ou l’écoute trop forte de musique avec les écouteurs). Les médicaments ototoxiques, comme certains anti-inflammatoires ou antibiotiques, peuvent endommager l’audition. Tout comme le vieillissement. Parfois, il n’est pas possible de déterminer l’origine. Dans tous les cas, il faut consulter rapidement un médecin ORL, pour trouver une aide.
« L’hyperacousie est régulièrement associée à une perte auditive. »
Comment le diagnostic est-il posé ?
Pr B.F. : En faisant un bilan auditif complet, qui va comporter un audiogramme dans une cabine insonorisée. On augmente l’intensité progressivement, ce qui permet au patient d’indiquer à quel degré d’intensité les sons lui deviennent pénibles. L’échange avec le médecin permet également de juger l’impact que l’hyperacousie a sur la vie de son patient.
Y a-t-il des traitements ?
Pr B.F. : Il n’existe pas encore, malheureusement, de pilule miracle pour se débarrasser complètement de ce trouble. Mais il y a des solutions pour alléger l’inconfort. La rééducation sonore en fait partie. Il s’agit de se réhabituer progressivement à des sons un tout petit peu plus forts. L’utilisation d’un générateur de bruits blancs peut être proposé. Cet appareil va diffuser des « bruits blancs », des sons de la nature, apaisants. On propose une aide auditive quand l’hyperacousie s’accompagne d’une perte d’audition, ce qui est très souvent le cas. Le réglage de ces appareils demande un suivi régulier chez l’audioprothésiste , notamment quand il y a une hyperacousie, car certains sons font mal. L’appareil doit donc être réglé pour que la personne entende mieux, mais sans avoir mal sur certains sons. Enfin, il existe aussi des traitements non contre l’hyperacousie, mais contre ses conséquences psychologiques. Des médicaments peuvent ainsi parfois être prescrits quand l’anxiété induite par l’hyperacousie est trop forte. Le recours à un psychologue peut être utile. Tout comme la sophrologie, ou la méditation de pleine conscience.
Vous dites qu’il ne faut pas se surprotéger du bruit pour autant ?
Pr B.F. : En effet, car cela pourrait aggraver les choses. Les personnes atteintes d’hyperacousie doivent mettre fréquemment leurs oreilles au repos, certes, mais sans les surprotéger. Vivre dans un silence total, avec un casque ou des bouchons d’oreilles en permanence, ne fait qu’aggraver les choses, cela baisse encore le seuil de tolérance auditif. C’est comme quand on sort du cinéma et qu’on est alors ébloui par la lumière du soleil. Les oreilles, si elles sont privées de son pendant trop longtemps, y deviennent plus sensibles.
« Il est important, lors d’un concert ou en boîte de nuit, de faire des pauses sonores. »
Peut-on prévenir l’hyperacousie ?
Pr B.F. : Oui, dans la mesure où elle est souvent provoquée par une baisse d’audition. Les messages de prévention pour se protéger du soleil sont aujourd’hui bien passés auprès de la population. Il faudrait faire pareil avec le bruit. Par exemple, faire passer le message qu’il est important, lors d’un concert ou en boîte de nuit, de faire des pauses sonores. Avoir des bourdonnements en sortant de sa soirée, non, ce n’est pas normal ! Au quotidien, il est essentiel de se protéger des sons forts. Par exemple en portant des protections auditives quand on travaille dans un environnement bruyant.
Où en est la recherche ?
Pr B.F. : Certains s’intéressent au cumul de sons dans la journée, qui pourrait conduire à cette intolérance. D’autres chercheurs tentent d’identifier des molécules qui permettraient de traiter ce trouble, comme Susanna Pietropaolo, chercheuse à l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine. Sa cible : les canaux ioniques, nécessaires à la communication entre cellules nerveuses, qui fonctionnent mal chez des patients atteints de maladies génétiques rares et qui présentent une hyperacousie. Les études en cours visent aussi à mieux comprendre les mécanismes, encore mal compris, de l’hyperacousie.