Michel André : « La pollution sonore concerne toutes les mers »
Dans l’océan, les nuisances liées au bruit ont été ignorées pendant longtemps. Elles sont pourtant bien réelles. Michel André, bioacousticien, à la tête du Laboratory of Applied Bioacoustics (LAB) à l’Université Polytechnique de Barcelone, revient sur l’origine de cette pollution sonore et ses effets délétères sur les animaux marins.
Michel André, bioacousticien ©José María Rovirosa
– Quels types de sons peuplent le milieu marin ?
Michel André : Ils sont de trois types. À la formation de la Terre, les processus physiques – le bruit de la pluie, de la neige, des vagues ou encore des tremblements de terre – étaient la seule source de sons. Ensuite, les sons biologiques issus des êtres vivants sont arrivés. Cela a formé une harmonie pendant des millions d’années jusqu’à ce que l’Homme commence à explorer et exploiter la mer de façon industrielle et à y introduire des sources de sons artificielles. Les plus importantes sont le transport maritime, la recherche et l’exploitation du pétrole, les manœuvres militaires ainsi que la construction des éoliennes offshore.
Nous sommes capables de mesurer cette pollution sonore avec des hydrophones. Grâce à des techniques d’intelligence artificielle, nous pouvons également extraire des paramètres tels que la durée, la fréquence ou le rythme des sons qui permettent de caractériser et d’identifier en temps réel la source en cause.
– Pourquoi considérez-vous que la pollution sonore est la plus nuisible de toutes les pollutions marines ?
M. A. : Alors qu’on a longtemps pensé que la mer était un « monde du silence », du fait de notre incapacité à entendre correctement sous l’eau, on sait depuis une vingtaine d’années, grâce à des hydrophones adaptés, que le son est omniprésent dans les océans et que la pollution sonore concerne toutes les mers. Du fait des propriétés de propagation des ondes sonores dans l’eau, il n’y a en effet plus aucun recoin du monde qui ne soit pas touché par cette pollution. Si elle est aussi vieille que la pollution plastique, elle est invisible et c’est pourquoi on l’a ignorée si longtemps.
On a d’abord cru qu’elle perturbait seulement les cétacés, dont la survie dépend de l’échange d’informations acoustiques, pour se repérer, pour communiquer au sein de leur groupe, pour chasser, etc. En fait, la pollution sonore touche toute la chaîne alimentaire des océans, c’est un problème d’écosystème. Les invertébrés (mollusques, crustacés, coquillages, méduses) sont également impactés, alors qu’ils ne possèdent pas d’organe auditif. Ces animaux possèdent en revanche des organes sensoriels qui assurent leur équilibre dans la colonne d’eau. S’ils sont exposés à des niveaux sonores trop élevés, ils sont désorientés, et ne parviennent plus à se nourrir.
« La pollution sonore touche toute la chaîne alimentaire des océans, c’est un problème d’écosystème. »
On distingue trois catégories de sons polluants, selon la gravité des dommages engendrés. Du « moindre » au « pire », on trouve :
- le masquage des signaux de communication, quand des sons externes viennent recouvrir les signaux émis et reçus par les animaux pour se repérer ou communiquer ;
- les traumatismes acoustiques, dus à une exposition prolongée à des sources sonores qui entrainent des lésions du système auditif des animaux ;
- l’effet létal lié à l’implosion interne des structures auditives des animaux, lorsqu’un son particulièrement intense génère une onde qui agit comme une bombe.
– Comment a-t-on mis en évidence les effets de la pollution sonore sur les invertébrés ?
M. A. : Il faut d’abord noter que les cétacés sont capables de fuir les zones perturbées, car ils peuvent nager à grande vitesse, même si des sons très intenses peuvent entraîner leur mort. En revanche, les invertébrés sont en majorité incapables de se déplacer rapidement. En 2003, un échouage massif de calamars géants s’est produit sur les côtes espagnoles. Rien ne pouvait alors expliquer ce phénomène. Pour la première fois, l’hypothèse de la pollution sonore, qui s’avère être la plus probable, a été posée. En effet, quelques jours avant l’échouage avait eu lieu une campagne de prospection des fonds marins, avec l’utilisation de canons à air comprimé. En 2008, notre laboratoire a commencé à explorer cette hypothèse pour essayer de comprendre l’effet du bruit sur les invertébrés, représentant des milliers d’espèces. Nous avons ainsi mis à jour l’existence de traumatismes des organes sensoriels de ces animaux, qui servent à la perception de l’environnement et notamment à l’équilibre. Leur altération par des traumatismes sonores annulent leur capacité de vivre.
©Thomas Brck / EyeEm
– Y-a-t-il des moyens mis en œuvre pour lutter contre la pollution sonore ?
M. A. : Oui des solutions commencent à voir le jour. Cette nouvelle est d’autant plus bonne que contrairement à la contamination plastique, dès qu’on coupe l’émission sonore, ses effets néfastes s’arrêtent eux aussi immédiatement. Au niveau européen, un des points de la directive « stratégie pour le milieu marin » concerne le bruit sous-marin. Les États membres doivent notamment mesurer la pollution sonore des mers et remettre un rapport pour 2020. Par ailleurs, les bateaux nouvellement construits prennent déjà compte de cette réalité en isolant les salles des machines et en utilisant des hélices qui cavitent moins, c’est-à-dire qui créent moins de perturbations physiques sous l’eau. Avec le renouvellement des flottes, les bateaux vieillissants seront, je l’espère, remplacés par des bateaux plus silencieux. Quant aux éoliennes offshore, il existe aujourd’hui plusieurs systèmes pour enfermer le bruit et absorber les vibrations.