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Mouches noires, altération de la perception des couleurs, les signes du vieillissement oculaire

Comme tous nos organes, l’œil vieillit. Même s’il n’est pas pathologique, ce vieillissement tissulaire peut affecter la vision, nous explique le Pr Ramin Tadayoni, Professeur à l’Université de Paris et Chef des services d’ophtalmologie de l’Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild et des hôpitaux universitaires Lariboisière et Saint-Louis¹.

vieillissement de l'oeil

Crédit Image : Getty Images

Comment différencier le vieillissement pathologique de l’œil du vieillissement physiologique ? Quel impact ce dernier a-t-il sur l’acuité visuelle, la perception de la lumière, des couleurs ?

Pr. Ramin Tadayoni : Le vieillissement est un continuum. La frontière entre le normal et le pathologique est ténue et cette frontière a glissé avec le temps. La cataracte en est un bon exemple : jadis il fallait attendre que la vision soit vraiment très affectée pour que l’on porte le diagnostic de cataracte et propose une intervention chirurgicale en vue de corriger le trouble. Avant ce stade on parlait « d’opalescence » du cristallin et les médecins considéraient que c’était un état de vieillissement normal. Aujourd’hui, dès qu’un patient se plaint d’une baisse de vision même avec une acuité visuelle à 5/10, on considère qu’il est temps d’opérer.

Fort heureusement, nous ne sommes pas tous condamnés à développer une cataracte mais d’autres modifications de la vision —plus subtiles— peuvent être observées au fil des ans. Le cristallin perd de sa transparence, sa couleur change, peu à peu il prend une teinte légèrement jaunâtre, ce qui obère la distinction entre les couleurs (entre le bleu et le pourpre, entre le bleu marine et le noir au départ…). Le phénomène a été très bien décrit par le peintre Monet, dont les toiles se sont modifiées au fur et à mesure que sa vision se dégradait.

 

Certaines d’entre elles paraissent même proches de l’abstraction tant le choix des couleurs est inattendu. Le vieillissement de la rétine en revanche impacte peu la perception des couleurs. D’ailleurs, lorsqu’on opère les patients de la cataracte, ils retrouvent la capacité à distinguer toutes les nuances de l’arc en ciel. Certains se plaignent même de voir des couleurs trop crues, trop bleues !

A quoi sont dues les « mouches », les points noirs qui se déplacent dans notre champ de vision à partir d’un certain âge ?

Pr. R.T. : Le vieillissement du vitré est en cause. Le vitré est une sorte de gel à l’intérieur de la cavité oculaire, dont la cohésion est assurée par des fibres. A la naissance, ce mélange est clair et homogène, mais avec le temps les fibres font comme des petites « pelotes », le gel devient inhomogène. Cette transformation se manifeste par l’apparition de quelques « mouches » dans le champ visuel. Un autre phénomène peut survenir : le décollement postérieur du vitré. Au lieu d’être accolé à la rétine, le vitré va s’en séparer. Dans la grande majorité des cas, le décollement du vitré reste asymptomatique. Mais pour certains patients, il se traduit par l’apparition inhabituelle de mouches volantes, ou d’un anneau, ou d’un élément étrange paraissant flotter devant l’œil. Le décollement de vitré n’est pas grave en soi. En revanche, il peut déchirer la rétine et entraîner au passage un décollement de rétine, qui lui, est une urgence ophtalmologique. Pour cette raison, il est conseillé aux patients de faire un bilan ophtalmologique lorsque de telles gênes visuelles surviennent. Dans la majorité des cas l’examen sera normal, mais si l’ophtalmologue découvre une déchirure de la rétine, il va pouvoir traiter immédiatement cette déchirure au laser. Un geste salvateur car en réparant ainsi les tissus, le risque de décollement de rétine passe de 50 % … à 5 % ! Même si le décollement du vitré est le plus souvent un phénomène banal et normal, signe d’un vieillissement physiologique de l’œil, il est important de consulter ! Et bien sûr si d’autres signes anormaux se manifestent (vision troublée, impression de pluie de suie, flashs lumineux…), un rendez-vous en urgence chez l’ophtalmologue s’impose.

Qu’en est-il des tissus nerveux de l’œil (rétine, nerf optique…) ?

Pr. R.T. : Le nerf optique est constitué de très, très nombreuses fibres. Certaines dégénèrent au fil du temps, mais si aucune maladie n’altère le nerf optique, il a suffisamment de fibres nerveuses pour transmettre l’information visuelle au cerveau jusqu’à notre mort. Nous pourrions alors vivre 120 ans sans qu’il soit suffisamment endommagé par un glaucome (le glaucome est une maladie qui se caractérise par la dégénérescence de la tête du nerf optique liée à une tension trop élevée dans l’œil, le nerf optique se détruit progressivement et entraine une réduction irréversible du champ visuel) ! Quant à la rétine, dans la majorité des cas son vieillissement donne peu ou pas de signes visuels. Il peut toutefois arriver que des « drüsen », une accumulation de déchets, se forme sous la membrane qui tapisse la rétine. Si les drüsen se multiplient on entre dans la « maculopathie liée à l’âge », c’est-à-dire le stade qui peut chez certains évoluer vers la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge)². A ce stade-là, l’acuité visuelle n’est pas affectée mais la perception des contrastes est amoindrie, tout comme la capacité à s’adapter aux changements de luminosité. Les patients se plaignent d’être facilement éblouis en sortant d’un tunnel, de mal voir lorsqu’ils pénètrent dans une pièce sombre…

Ce vieillissement de l’œil, est-il possible de le ralentir ?

Pr. R.T. : Le meilleur moyen est déjà d’éviter tout ce qui accélère le vieillissement, en premier lieu le tabac qui multiplie par 7 le risque de DMLA. L’exposition à des lumières fortes —notamment au rayonnement solaire— est également un facteur de vieillissement, pour les yeux comme pour la peau. Le port de lunettes de soleil de qualité est donc recommandé. L’alimentation semble aussi jouer un rôle : des recherches américaines ont ainsi montré que le passage de la maculopathie liée à l’âge à une vraie DMLA est ralenti par la prise d’antioxydants (caroténoïdes, zinc, vitamine C et E…). En France, les ophtalmologues prescrivent volontiers des compléments alimentaires dans ce but. Même s’ils sont moins dosés que ceux utilisés dans le cadre des études américaines, ces compléments semblent protecteurs. De façon générale, une alimentation équilibrée et un mode de vie sain sont recommandés.

[1] Professeur à l’Université de Paris et Chef des services d’ophtalmologie de l’Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild et des hôpitaux universitaires Lariboisière et Saint-Louis, le Pr Ramin Tadayoni est membre du conseil d’administration et prochain Président d’Euretina (société européenne des spécialistes de la rétine) et ancien président du Club francophone des spécialistes de la rétine (CFSR). Spécialiste en chirurgie rétino-vitréenne, il est également à la tête du projet EVIRED évaluant l’apport de technologies d’imagerie nouvelles et d’algorithmes d’intelligence artificielle dans la prise en charge de la rétinopathie diabétique.
[2] Dégradation d’une partie de la rétine, la macula, qui se traduit par l’apparition de tâches sombres et une perte progressive de la vision centrale.

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