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« Plus la prévention des chutes est démarrée tôt, plus elle sera efficace »

En 2020, Jean-Pierre Michel, professeur émérite de la Faculté de médecine de Genève et Directeur du rapport européen « Transformons le futur du vieillissement » coordonnait le cycle de 5 débats « Société et vieillissement » de la FAM (Fondation de l’Académie de Médecine). Parmi les thèmes abordés, le second portait sur les « Chutes, troubles de la sensorialité et politiques publiques ».

– Pour quelle raison avez-vous inclus une rencontre autour des chutes de la personne âgée dans votre cycle de débats sur le vieillissement ?

Pr Jean-Pierre Michel : Il s’agit d’un sujet majeur de santé publique. Les chutes sont l’une des premières causes de décès chez les personnes âgées [1]. Et quand elles ne sont pas fatales, ces chutes entraînent bien souvent une longue hospitalisation et une perte d’autonomie. Dans un pays comme la France, on a compté 76 100 hospitalisations suite à une fracture de l’extrémité supérieure du fémur chez les seniors en 2014 [1].

– Quelles sont les principales causes de ces chutes ? Et quelle est la part des troubles neurosensoriels ?

Adolescente avec son grand-père équipé de lunettes de vue

©Westend61

J-P. M. : On identifie quelque 400 facteurs de risque, parmi lesquels des catégories :

  • liées à l’environnement et au mode de vie qui peuvent être aisément prévenues :
    – les obstacles susceptibles d’entraîner des accidents (tapis, les bordures de trottoirs…)
    – la sédentarité
  • liées à des causes médicales :
    – les médicaments altérant l’équilibre ou favorisant les vertiges,
    – les troubles de la mobilité liés à une sarcopénie – fonte musculaire – à des douleurs articulaires, ou aux modifications des appuis podaux (déformation des pieds),

Sans oublier les troubles cognitifs, les troubles de l’équilibre et les troubles visuels.

La vision est absolument essentielle pour conserver son équilibre. En effet, il est communément admis que 80 % des informations que nous récoltons dans notre environnement sont d’origine visuelle. C’est pourquoi, lorsque la vue est défaillante, l’équilibre devient instable. Il suffit pour s’en rendre compte de tenter un exercice simple : tenir sur un pied. Avec les yeux ouverts, l’exercice est aisément réalisable, du moins quand on est jeune. En revanche, si vous fermez les yeux, vous ne tiendrez que quelques secondes. Parmi les pathologies ophtalmologiques des adultes âgés, le glaucome, la cataracte, la rétinopathie diabétique et surtout la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) modifient considérablement la vision et favorisent les chutes.

« La vision est absolument essentielle pour conserver son équilibre. » 

Même en l’absence de maladie, la vue tend à décliner avec l’âge : le champ visuel se réduit, la perception des contrastes est moins bonne, les réflexes pupillaires sont altérés. Les lunettes corrigent certains défauts visuels, notamment l’acuité, mais sont inopérantes pour les autres formes de dégénérescence. Sans oublier que les lunettes ne sont pas toujours adaptées chez les seniors qui font peu contrôler leur vue et par conséquent qui ne renouvellent que très rarement leurs équipements optiques : quand une personne âgée est victime d’un accident, il n’est pas rare que l’on se rende compte que sa paire de lunettes, réalisée il y a plus de 10 ans, ne correspond plus du tout à sa vue et que les verres sont tellement rayés qu’on n’y voit guère au travers ! Enfin on ne saurait oublier la question de l’éclairage. Une luminosité insuffisante est un piège dans l’environnement d’un sénior. Or bien souvent, tant au domicile des personnes âgées, que dans les établissements hospitaliers ou les EHPAD, l’éclairage est insuffisant ou inadapté.

– Qu’en est-il de l’oreille ?

J-P. M. : Tous les organes sensoriels vieillissent. Ainsi, non seulement les organes de l’audition sont affectés par l’âge, mais aussi ceux de l’équilibre (vestibule). Lors de la session sur les chutes organisée à l’Académie de Médecine, le Pr Patrice Tran Ba Huy, ancien Président de la Société Française d’ORL (SFORL) a pu expliquer à l’assistance les mécanismes de l’équilibre. Ceux-ci passent par des « centres intégrateurs » au niveau cérébral pour comprendre et donner du sens à toutes les informations perçues par les capteurs sensoriels (yeux, vestibule…). Ensuite, des systèmes « effecteurs » (nerfs moteurs, muscles…) permettent de corriger et de stabiliser en temps réel la posture et la position des yeux de manière à stabiliser le corps et le regard.

Schéma de l'oreille

©Description anatomique de l’oreille. Dessin Michel Saemann – Archives Larousse.

Les capteurs sensoriels perdent de leur efficacité au cours du vieillissement. Les cellules ciliées du vestibule se raréfient, les otoconies (ou otolithes) ces petits cristaux situés dans les canaux semi-circulaires du vestibule se réduisent et voient leur structure altérée, la démyélinisation des neurones sensitifs (c’est-à-dire la dégénérescence des gaines entourant les neurones qui permettent d’acheminer plus rapidement l’information vers le cerveau) entraine une baisse de l’influx nerveux dans le vestibule. Tout cela conduit à une « presbyvestibulie », autrement dit à une sous-utilisation des informations qui sont captées par le vestibule. En parallèle, les mécanismes d’intégration de l’information (au niveau cérébral) et les mécanismes correctifs (réflexes oculomoteur, posture) sont eux aussi affectés.

Néanmoins il existe des moyens de lutter contre les effets de ce vieillissement. Des rééducations adaptées, comme celle mise au point par le Pr Tran Ba Huy, permettent de recouvrer le sens de l’équilibre. De façon générale, les interventions visant à prévenir les chutes sont d’autant plus efficaces qu’elles sont multidimensionnelles, c’est-à-dire intégrant à la fois la correction de déficits sensoriels, l’activité physique, l’entrainement des fonctions cognitives, et bien sûr la prise en compte de tous les facteurs de risque qu’ils soient médicaux ou environnementaux. Il existe également des applications que l’on peut télécharger sur son smartphone pour faire des exercices simples qui stimulent l’équilibre.

« De façon générale, les interventions visant à prévenir les chutes sont d’autant plus efficaces qu’elles sont multidimensionnelles. »

– Quel rôle peuvent jouer les dispositifs connectés lors d’une chute ?

J-P. M. : Ces dispositifs, généralement très discrets comme des montres ou des lunettes connectées, sont intéressants dans la mesure où ils peuvent limiter les conséquences d’une chute. Grâce à des capteurs embarqués qui analysent la situation, certains d’entre eux sont capables de détecter les chutes et envoient une alerte aux proches et aux secours pour une intervention en urgence.

Pour conclure, je voudrais ajouter que la prévention des chutes sera d’autant plus efficace qu’elle débutera plus tôt. Proposer des programmes de réhabilitation à des personnes à la limite de la perte d’autonomie permet de reculer un peu le moment où elles devront être institutionnalisées. Mais c’est bien avant qu’il faut travailler son équilibre et prévenir l’impact de la diminution des facultés sensorielles par un appareillage adapté. En Suisse nous avons la chance de bénéficier de la méthode Dalcroze, mise au point par un musicien et compositeur genevois, Jacques Dalcroze. Cette éducation rythmique, pratiquée dans un contexte convivial, mobilise plusieurs capacités telles que l’équilibre, la coordination, l’attention, la concentration ou la mémorisation. En parallèle elle est source d’épanouissement personnel en développant à la fois la musicalité, l’imagination, la relaxation, et peut être pratiquée à n’importe quel âge (Institut Jaques-Dalcroze). Lorsqu’on croise des personnes âgées qui ont pratiqué la méthode Dalcroze elles bénéficient bien souvent d’un excellent sens de l’équilibre.

 

[1] Santé Publique France – Thelot B, Lasbeur L, Pedrono G, La surveillance épidémiologique des chutes chez les personnes âgées, Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 2017, n°. 16-17, p. 328-35

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