Pr Alain Cantineau : « Le déficit auditif peut conduire à l’inaptitude professionnelle »
Bien vieillir au travail, c’est l’objectif des trois plans santé au travail (PST) qui se sont succédés depuis 2005. Parmi les organes qui perdent de leur acuité au fil du temps, l’oreille et l’œil. Cette diminution des facultés sensorielles peut engendrer des difficultés dans l’exercice des tâches professionnelles. En parallèle, certaines activités risquent de précipiter ou de révéler le vieillissement de l’audition et de la vision. Alain Cantineau, professeur honoraire de médecine, ancien directeur d’enseignement du DES de médecine et santé au travail à l’Université de Strasbourg, fait le point.
Dr Alain Cantineau
– Quelles sont les secteurs d’activité les plus exposés au risque de surdité professionnelle ?
Pr. Alain Cantineau : Selon l’enquête SUMER de 2010 , 20 % des salariés sont exposés au bruit, qui est la principale cause des surdités professionnelles. Ces surdités sont d’ailleurs reconnues et indemnisées depuis 1963 (tableau 42 des maladies professionnelles). Les secteurs où le bruit est excessif sont nombreux. Outre le BTP, certaines industries comme la métallurgie, l’imprimerie, la papeterie ou le secteur agroalimentaire sont touchées, ainsi que la filière bois, la réparation automobile, la collecte et le recyclage des déchets… Pour la génération qui arrive sur le marché du travail, un autre problème se surajoute, celui du bruit dans les loisirs. Car si l’exposition au bruit dans le contexte professionnel est de mieux en mieux maîtrisée, celle liée aux activités de loisir est en augmentation constante.
– Comment protéger les salariés contre ces nuisances ?
A. C. : La prévention collective des expositions au bruit passe par diverses mesures comme le remplacement du matériel, l’encoffrage des outils et engins, l’insonorisation des cabines, la gestion de la coactivité la réorganisation des ateliers, etc. Ces mesures ne sont pas simples à mettre en place et souvent très coûteuses. L’essentiel de la protection contre le bruit est donc individuelle, elle passe par le port d’EPI (équipement de protection individuelle). Un autre aspect de la protection individuelle est le suivi des salariés soumis au bruit. Des normes précises ont été établies (nombre d’heures d’exposition, niveau d’exposition…) au-dessus desquelles ces derniers doivent avoir des audiogrammes réguliers pour dépister une éventuelle baisse de leur audition.
« L’essentiel de la protection contre le bruit est donc individuelle, elle passe par le port d’EPI »
– Comment le handicap auditif est-il vécu sur le lieu de travail et comment aider ceux qui en souffrent ?
A. C. : Pour les métiers de la communication ou du secrétariat, le déficit auditif peut conduire à l’inaptitude. À la mairie de Chalon-sur-Saône, où j’exerce actuellement, le maintien en milieu de travail des personnes touchées par un handicap auditif est un des axes développés. Nous avons mis en place des équipements spécifiques avec des amplis, un micro, et le renvoi du son dans un casque auditif. C’est ainsi qu’une de nos secrétaires travaille. Quand elle va en réunion, elle garde son système sur elle. Tout fonctionne sur le principe d’un échange Bluetooth. Elle peut ainsi se débrouiller aisément. Par rapport aux audioprothèses, le système qu’elle porte est un progrès extraordinaire. Les bouchons moulés avec filtre ou avec filtre amplifié peuvent aussi aider les personnes presbyacousiques qui travaillent dans un milieu un peu bruyant.
© sebra
– Et pour la vision ? On incrimine souvent le travail sur écran….
A. C. : L’impact du travail sur la baisse des facultés visuelles est probablement faible et en tous cas difficile à mesurer. Quelques professions sont identifiées comme étant à risque comme les soudeurs ou les verriers. Elles entraîneraient un vieillissement prématuré du cristallin qui se manifeste par des troubles de l’accommodation, une moindre résistance à l’éblouissement et aux changements brutaux de luminosité. En revanche, l’activité professionnelle peut être le révélateur de troubles visuels existants, notamment ce que l’on nomme les « phories », c’est-à-dire les problèmes de convergence ou de divergence.
– Le vieillissement visuel peut-il obérer l’activité professionnelle ?
A. C. : Ce vieillissement se traduit pour chacun d’entre nous par l’apparition d’une presbytie au décours de la quarantaine. La vision de près devient de plus en plus floue. Cela gêne l’activité professionnelle notamment pour celles et ceux qui travaillent beaucoup sur écran, ou pour tous les métiers de précision. De même observe-t-on chez les presbytes une plus grande sensibilité à l’éblouissement et une altération de la perception des couleurs. Travailler avec une presbytie nécessite d’être appareillé (lunettes ou lentilles). On peut également jouer sur l’éclairage, les contrastes lumineux, modifier la taille des polices de caractère… Pour les personnes qui doivent porter un équipement visuel, le développement d’EPI confortables et compatibles avec les lunettes est un grand progrès.2 Les autres atteintes de l’œil liées au vieillissement surviennent plus tardivement et sont rarement gênantes pendant la vie active.
Pour en savoir plus, consultez l’analyse du Professeur Cantineau pour la deuxième étude de l’Observatoire sur le vieillissement de la vue et de l’audition chez les actifs après 50 ans.