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Pr Baillif : « Les baisses de vision de la grossesse ne perdurent pas »

La grossesse entraîne de multiples bouleversements hormonaux responsables de modifications du fonctionnement de l’organisme. Elle a notamment un impact sur les yeux et la vue. Dans la majorité des cas, ces signes ne sont pas inquiétants et ne perdurent pas après la naissance.

grossesse

©Anca Brinzan / EyeEm

Entretien avec le Professeur Stéphanie Baillif, professeur d’ophtalmologie au CHU de Nice et contributrice du rapport de la Société française d’Ophtalmologie (SFO) de 2016 sur les œdèmes maculaires.

– Certaines femmes constatent des baisses de vision durant leur grossesse. À quoi est-dû ce phénomène ?

Professeur Stéphanie Baillif : Ces baisses de vision sont bien réelles mais la bonne nouvelle est qu’elles ne perdurent pas après la naissance de l’enfant. Les femmes enceintes le savent, la grossesse favorise les œdèmes : les jambes gonflent, parfois le visage… Tous les organes peuvent être concernés, y compris l’œil. Un petit œdème de la cornée peut donc rendre la future mère un peu myope. De même, le cristallin sera moins souple et les muscles responsables de sa déformation moins toniques. Par conséquent, l’accommodation permettant de passer d’une vision de loin à une vision de près sera moins performante. Mais tout rentre dans l’ordre dans les mois qui suivent l’accouchement. C’est la raison pour laquelle on conseille à une femme enceinte d’attendre au moins trois mois après l’accouchement pour faire vérifier sa correction optique.

En revanche, certaines grossesses pathologiques sont susceptibles d’entraîner de fortes baisses visuelles. C’est notamment le cas pour la pré-éclampsie, une pathologie de la grossesse se manifestant par une hypertension artérielle majeure, ou de l’éclampsie, forme aggravée de la préeclampsie (lorsque cette hypertension entraîne des crises de convulsions).

– Que se passe-t-il dans ces cas-là ?

S. B. : La pré-éclampsie et l’éclampsie sont des complications sévères de l’accouchement qui présentent un risque important pour la mère et l’enfant. Cette pathologie touche environ 5 % des grossesses. Les très fortes poussées tensionnelles accompagnant la pré-éclampsie ont un impact sur tous les tissus organiques et notamment sur ceux de l’œil. La patiente peut voir flou, souffrir de photophobie (sensibilité accrue à la lumière), avoir une hémorragie rétinienne ou intravitréenne, un œdème intrarétinien, un œdème papillaire, ou encore une compression du nerf optique.

Tous les organes des sens sont submergés : l’œil mais aussi l’oreille, avec l’apparition d’acouphènes. La pré-éclampsie peut aussi entraîner des atteintes rénales, hépatiques ou cérébrales. Plus elle sera sévère et plus les symptômes le seront également. La prise en charge vise à maitriser la tension artérielle de la future mère, de manière à poursuivre la grossesse lorsque cela est possible. Heureusement, dans l’immense majorité des cas, l’œdème se résorbe spontanément et tout se normalise en quelques semaines. Néanmoins, certaines femmes doivent bénéficier d’un suivi ophtalmologique après l’accouchement.

« Les très fortes poussées tensionnelles accompagnant la pré-éclampsie ont un impact sur tous les tissus organiques et notamment sur ceux de l’œil. »

– L’accouchement augmente-il réellement le risque de déchirure rétinienne ?

S. B. : Pendant longtemps, les médecins conseillaient aux femmes très myopes d’opter pour une césarienne au motif que les poussées lors de l’accouchement par voie basse étaient susceptibles de provoquer un décollement de rétine. Nous savons aujourd’hui que cette précaution n’a pas lieu d’être. Nous communiquons d’ailleurs beaucoup avec les gynécologues pour qu’ils rassurent leurs patientes myopes : il n’y a aucune raison de choisir la césarienne si la future mère ne présente pas de contre-indication gynécologique à un accouchement par voie basse. Pas plus qu’il ne faut faire d’intervention au laser sur la rétine de manière préventive.

– Selon vous, d’où venait cette crainte ?

S. B. : On redoutait l’impact des efforts de poussées sur l’organisme. Comme tous les efforts « à glotte fermée », c’est-à-dire en retenant sa respiration, tels que jouer du trombone ou soulever un objet lourd, les poussées de l’accouchement peuvent provoquer une hyper pression dans l’œil. L’excès de pression intraoculaire risque alors d’entraîner de petites hémorragies, soit dans le gel vitréen – la substance transparente et gélatineuse qui remplit l’intérieur de l’œil – soit entre la rétine et le gel vitréen, ou encore dans la rétine. Ces hémorragies se manifestent notamment par une baisse de l’acuité visuelle et une sorte de « pluie de cendre » dans le champ visuel, due à la présence de globules rouges dans le vitré.

Ces petites hémorragies peuvent également survenir pendant la grossesse, notamment lors d’efforts physiques. Dans la plupart des cas, l’hémorragie se résorbe d’elle-même. Toutefois, si elle est trop importante, il faudra la drainer par chirurgie laser. Mais cela reste extrêmement rare.

« Une patiente diabétique qui souffre déjà d’une atteinte oculaire peut ainsi avoir une progression plus rapide de sa rétinopathie diabétique du fait de sa grossesse. »

– On sait que le diabète fragilise la rétine. Cette maladie présente-t-elle des risques supplémentaires pour les femmes enceintes ?

S. B. : Il existe deux situations : d’un côté, le diabète gestationnel, qui apparaît à l’occasion de la grossesse et qui disparaît ensuite, et de l’autre, la survenue d’une grossesse chez une femme diabétique. Pour ce qui est du diabète gestationnel, nous pouvons rassurer les femmes : cette situation est très fréquente mais elle n’entraîne toutefois pas de lésion de la rétine.

Pour une femme diagnostiquée diabétique avant sa grossesse, la situation se revèle en revanche plus préoccupante. Tout ce qui déstabilise un diabète de façon aigüe est nocif pour la rétine. Or, une grossesse risque d’induire un tel changement. Une patiente diabétique qui souffre déjà d’une atteinte oculaire peut ainsi avoir une progression plus rapide de sa rétinopathie diabétique du fait de sa grossesse. Chez ces patientes, un fond d’œil par trimestre est nécessaire. Si la rétinopathie est plus sévère, un fond d’œil mensuel sera requis. En cas d’aggravation, il ne faut pas hésiter à traiter au laser.

– Quels conseils donneriez-vous à une femme diabétique souhaitant devenir mère ?

S. B. : Idéalement, une grossesse chez la femme diabétique se planifie. Il faut équilibrer la glycémie avant le début de la gestation et bien expliquer aux patientes les spécificités du suivi du diabète chez la femme enceinte : le taux de sucre sanguin ne va pas être le même du fait de la présence du bébé, les risques d’hypoglycémie ne doivent pas être négligés. D’un autre côté, un rééquilibrage trop rapide du diabète n’est pas bon pour l’œil non plus. Même si l’objectif d’une personne diabétique est de descendre à 7 % d’hémoglobine glyquée (HbA1c), c’est-à-dire de réguler de manière extrêmement fine sa glycémie (taux de sucre dans le sang), il ne faut pas non plus passer brutalement de 10 à 7 %. La vitesse d’équilibrage se détermine au cas par cas en fonction des impératifs cliniques.

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