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Pr Bakhos : « Plus la surdité s’installe, plus le cerveau est paresseux »

Comment les aires cérébrales se réorganisent-elles après la pose d’un implant cochléaire ? C’est un des axes de recherche du Professeur David Bakhos, ORL au CHU de Tours, et qui permet d’améliorer le pronostic de patients sourds avant leur implantation. Immersion dans un domaine de recherche actif : la neurophysiologie de la surdité.

Schéma de cerveau

©pukrufus

– Après la pose d’un implant cochléaire, comment réagit le cerveau ?

David Bakhos : L’implant cochléaire est un dispositif médical électronique que l’on propose aux patients atteints de surdité profonde ou totale (cophose), c’est-à-dire qui ne parviennent pas du tout à comprendre la parole. Après la pose de l’implant et la rééducation orthophonique, il y a une réorganisation des aires cérébrales dédiées à l’audition. C’est ce qu’on appelle la plasticité cérébrale. Plus cette plasticité est importante, meilleures seront les performances des patients implantés, notamment la compréhension et le développement du langage oral pour les surdités pré-linguales. La plasticité cérébrale est dépendante de la durée de privation auditive.

Grâce à des électroencéphalogrammes, la Professeure Anu Sharma, aujourd’hui en poste à l’université Boulder du Colorado (États-Unis), a démontré il y a déjà plus de dix ans l’existence de cette réorganisation cérébrale chez des enfants implantés cochléaires. Actuellement, des études utilisant la TEP-Scan s’intéressent aux moyens de prédire cette plasticité. Nos études ont montré qu’un an après la pose d’un implant, les zones auditives du cerveau des patients avec une surdité unilatérale se réorganisaient, et que la fonction d’écoute bilatérale était restaurée.

– Cette réorganisation cérébrale est-elle toujours possible ?

D. B. : Oui, mais plus on laisse la surdité s’installer dans le temps sans prise en charge, plus les aires cérébrales dédiées à l’audition seront difficiles à mobiliser suite à une réhabilitation auditive. Aussi, quand les enfants nés sourds sont implantés tardivement, la réorganisation des aires du cerveau est moins efficiente que s’ils avaient été implantés précocement. C’est pourquoi dans le cas de surdités évolutives, dès que les aides auditives ne sont plus efficaces, la question d’une implantation cochléaire se pose.

« Plus on laisse la surdité s’installer dans le temps sans prise en charge, plus les aires cérébrales dédiées à l’audition seront difficiles à mobiliser. »

– Existe-t-il des marqueurs neurophysiologiques qui permettent de présager des performances futures liées à l’implantation ?

D. B. : C’est le but de nombreux travaux de recherche en cours : identifier des ondes cérébrales permettant de prédire le bon développement du langage et les performances auditives une fois que l’enfant sera implanté. Il s’agit donc de trouver des marqueurs pronostiques. On s’intéresse beaucoup à une onde spécifique, appelée « P1 », qui permet de suivre la maturation du cortex auditif. Chez les normo-entendants, cette onde P1 se raccourcit durant l’enfance, jusqu’à l’âge de 12 ou 13 ans, ce qui permet un traitement plus rapide de l’information auditive. Suite à une implantation cochléaire chez un enfant sourd, avant l’âge de 6 ans, l’onde P1 va pouvoir se raccourcir comme chez les normo-entendants, ce qui signifie que le processus de maturation du cortex auditif est normal. En revanche, si l’implantation se fait tardivement, au-delà de 6 à 7 ans après la naissance, la maturation du cortex auditif est incomplète, ce qu’on observe par l’apparition retardée de l’onde P1.

– Et pour les adultes ?

D. B. : Pour les adultes implantés, il y a une réorganisation cérébrale mais pas de maturation du cortex auditif. Pour ces adultes, le succès de l’implantation va dépendre des capacités de plasticité cérébrale. On aimerait avoir un marqueur qui nous prédirait ces capacités, cela permettrait de savoir si un adulte sourd bénéficierait de l’implant. Un axe de recherche est l’utilisation avant l’implantation de l’IRM fonctionnelle (Imagerie par Résonance Magnétique), l’idée étant d’évaluer la plasticité cérébrale grâce à d’autres stimulations sensorielles. Par ailleurs, il faut souligner les intérêts de l’orthophonie après l’implantation, qui favorise la plasticité cérébrale et permet aux personnes implantées de reconnaître les sons et de mieux comprendre les mots.

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