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Retrouver la vue grâce à l’optogénétique, une thérapie révolutionnaire combinant génétique et stimulation lumineuse

Un patient aveugle a retrouvé des capacités visuelles grâce à une thérapie associant génétique et photonique. Cette grande première constitue un espoir pour les millions de patients atteints de maladies neurodégénératives de la rétine. Le point avec le Pr José-Alain Sahel, fondateur de l’Institut de la Vision, qui a dirigé ces travaux.

optogenetique Un patient aveugle a retrouvé des capacités visuelles grâce à une thérapie associant génétique et photonique

crédit image « Unsplash »

En quoi l’optogénétique pourrait-elle révolutionner les stratégies thérapeutiques pour les maladies dégénératives de la rétine ?

Pr José-Alain Sahel : Cette technique vise à introduire dans les cellules de la rétine le gène d’une protéine photosensible, c’est-à-dire sensible aux stimulations lumineuses, version ancestrale des protéines qui y sont naturellement présentes, les opsines. Dans cette thérapie génique, le gène introduit n’est pas humain, il provient d’une algue. Cette protéine photosensible génère un signal électrique lorsqu’elle reçoit une stimulation lumineuse : un fonctionnement en analogie avec ce qui se passe dans la rétine. L’idée est d’utiliser cette technique dans les cas de neurodégénérescence des photorécepteurs de la rétine. Cela peut survenir dans le cas de certaines pathologies (rétinopathies pigmentaires et DMLA).

Comment fonctionne la méthode que vous avez mise au point ?

Pr J.-A.S. : Nous avons testé plusieurs types cellulaires de la rétine avant de trouver les bons candidats. Nous avons testé une première méthode qui consistait à cibler les cellules bipolaires de la rétine qui activent normalement le signal sensoriel puis les photorécepteurs dormants qui ont perdu leurs propriétés photoréceptrices. Mais l’expression de la protéine thérapeutique injectée n’était pas satisfaisante dans les cellules.
Nous avons décidé de cibler le nerf optique, en particulier les cellules ganglionnaires, qui forment le nerf optique et relient les photorécepteurs rétiniens au cerveau. Les cellules ganglionnaires ne sont pas photoréceptrices (à l’exception de la mélanopsine, un pigment qui règle le cycle circadien dans l’organisme, c’est-à-dire les rythmes biologiques calés sur le jour et la nuit mais n’intervient pas dans la vision). Pour ce qui est de la protéine, nous avons sélectionné un pigment, Chrimson R développée au Massachusetts Institute of Technology (États-Unis). Lorsqu’il est activé par une lumière ambrée faiblement énergétique, le pigment Chrimson R rend sa cellule hôte sensible à la lumière (fonction perdue dans les maladies de la rétine entraînant la dégénérescence des photorécepteurs). Il est activé dans la couleur ambre, ce qui le rend utilisable de manière sûre, sans risque de phototoxicité.
Afin de stimuler les cellules porteuses de cette protéine, la start-up GenSight Biologics que nous avons créée, spécialisée dans le développement de traitement de thérapies géniques pour les maladies de l’œil, a développé des caméras qui détectent des changements de lumière dans l’environnement, pixel par pixel et à la microseconde près. Celles-ci ont été montées sur des lunettes qui convertissent ce signal en lumière à la bonne longueur d’onde. Il est important de noter que suite au traitement, le protocole de rééducation est très important : les patients doivent apprendre à aligner le faisceau optique sur la partie traitée de leur rétine. De plus, les images obtenues étant inhabituelles, puisqu’elles s’apparentent à des vibrations lumineuses, il est fondamental d’apprendre à les faire correspondre avec des objets.

Quels résultats avez-vous obtenus ?

Pr J.-A.S. : Nous avons traité 9 patients atteints de rétinopathie pigmentaire, maladie héréditaire qui se manifeste par une perte progressive et graduelle de la vision (cécité nocturne, perte de la vision périphérique, trouble dans la vision centrale et des couleurs) évoluant généralement vers la cécité, dans différents centres (Paris, Londres, Pittsburgh) en leur injectant un virus modifié inactivé porteur du gène Chrimson R. Il a fallu attendre plusieurs mois avant que l’expression de la protéine soit suffisante. Un de nos patients, qui a fait l’objet d’une publication¹ a pu, suite à sa rééducation, voir les bandes blanches d’un passage piéton, puis compter des objets comme des gobelets sur une table. Les tests de détection visuelle ont été complétés par des électroencéphalogrammes à haute résolution qui ont bien montré en parallèle l’activation du cortex visuel au cours de cette tâche. Il y a donc bien eu un réel décodage visuel, ce qui constitue une première pour ce type de thérapie chez un patient atteint de cécité. En revanche, nous ne communiquons pas encore sur le cas des autres patients, leur rééducation ayant pris du retard à cause de la crise de la Covid-19, mais comptons le faire prochainement. La récupération du premier patient est en tout cas très significative.

Comment votre approche s’insère-t-elle dans les différents essais visant à restaurer la vue chez des patients atteints de cécité ?

Pr J.-A.S. : Différentes approches sont en cours de développement dans le monde, mais elles ne s’adressent pas toutes aux mêmes situations cliniques. Il semble que l’Université de Columbia et celle de Détroit ou encore la société Nanoscope Therapeutics aient aussi en cours des essais assez similaires de thérapie optogénétique, mais leurs résultats n’ont pas encore été publiés, ce qui rend l’analyse difficile. Ces essais concerneraient les mêmes indications thérapeutiques que le nôtre. D’autres thérapies sont indiquées dans d’autres situations, comme la stimulation directement appliquée sur le cerveau, dans le cas où le nerf optique n’est plus fonctionnel, ce qui est un prérequis pour notre approche. Cette thérapie sur le cerveau, développée également à l’Institut de la Vision, est encore aux stades initiaux. Aux stades précoces de la rétinopathie pigmentaire ou d’autres neuropathies optiques héréditaires, avec des neurones encore en partie fonctionnels, d’autres thérapies géniques sont développées.

Quelles sont les étapes suivantes pour vous ?

Pr J.-A.S. : Nous sommes en train de conduire les analyses sur les autres patients que nous avons traités. GenSight Biologics a aussi obtenu récemment un feu vert du comité indépendant de surveillance et de suivi (Data Safety Monitoring Board ou DSMB) pour élargir le nombre de patients, ce qui nous permettra de recruter beaucoup plus de patients et d’avancer vers une phase III, une phase au cours de laquelle le rapport bénéfice/risque global est évalué auprès de plusieurs milliers de patients. Nous pourrons aussi augmenter la dose de protéine. En même temps que nous optimiserons cette étape du traitement, nous allons aussi travailler à améliorer les performances et le confort des lunettes, en prenant en compte le retour des utilisateurs.

Sources :

Pour aller plus loin, interview du Pr José-Alain Sahel.

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