Stéphane Guetin : « Music Care diminue la consommation d’antidouleurs »
La crise des opiacées actuelle, avec l’augmentation alarmante des personnes touchées par une addiction à ces analgésiques, oblige à mieux penser la prise en charge des douleurs, et notamment à considérer avec attention les thérapies non médicamenteuses. Parmi elles, la musique est celle dont l’efficacité est la mieux démontrée depuis des années.
Stéphane Guetin ©Music Care
Convaincu des bienfaits de la musique chez les patients depuis des années, Stéphane Guetin a imaginé l’application Music Care en 2008. Utilisée aujourd’hui dans plus de 1 000 services hospitaliers, elle comptabilise une vingtaine de spécialités médicales.
– Pouvez-vous nous présenter Music Care ?
Stéphane Guetin : Il s’agit d’une technique non médicamenteuse de prise en charge des douleurs. C’est une application disponible depuis un ordinateur, une tablette ou encore les télévisions des chambres d’hôpitaux. Réservée aux hôpitaux, c’est un soin à part entière. Plus de vingt ans de recherches cliniques et une revue de la littérature internationale nous ont permis de déterminer les facteurs de réussite d’une séance musicale reposant sur les principes de l’hypnoanalgésie (traitement des douleurs par l’hypnose). Parmi les principaux paramètres, on trouve le tempo, la fréquence, le style de musique, le fait que la musique soit instrumentale ou chantée…
Music Care a un intérêt chez les patients souffrant de douleurs chroniques (lombalgie, fibromyalgie, arthrose, polyarthrite rhumatoïde), de douleurs aiguës et de douleurs liées aux soins mais aussi chez les patients présentant des troubles du sommeil, une grande anxiété ou une dépression.
« Comme dans les techniques d’hypnose, les séquences de Music Care sont composées de trois phases en « U » : l’induction, la relaxation et l’éveil. »
– Comment se déroule une séance ?
S. G. : Le patient doit s’installer dans une position confortable et fermer les yeux ou utiliser un masque oculaire. Si c’est possible, nous recommandons également d’utiliser un casque audio. Ensuite, le patient n’a plus qu’à se laisser guider par la musique. Comme dans les techniques d’hypnose, les séquences de Music Care sont composées de trois phases en « U » : l’induction, la relaxation et l’éveil. D’abord, la phase d’induction utilise un tempo stimulant et un nombre élevé d’instruments. Cela permet de synchroniser l’activité cérébrale du patient avec la musique. Puis le tempo ralentit pour entrer progressivement dans la phase de relaxation qui se caractérise par un grand calme, c’est-à-dire un rythme très bas et peu d’instruments. Enfin, dans la phase d’éveil, le patient retrouve son état de conscience habituel.
©FS Productions
Ce que la pratique nous a montré, c’est qu’une relation d’écoute entre le patient et l’équipe médicale se met alors en place. Quand le médecin ou l’infirmière demande au patient un retour sur l’expérience qu’il vient de faire avec Music Care, cela crée du lien social. On est dans l’humanisation et la personnalisation de la médecine, deux notions essentielles pour une prise en charge globale des patients.
– Pourquoi vous définissez-vous comme « compositeur de soin » ?
S. G. : Une des caractéristiques importantes de Music Care est le fait que nos séquences musicales – on en totalise une cinquantaine aujourd’hui – sont composées spécialement par des compositeurs reconnus. C’est fondamental que le patient puisse choisir en fonction de ses goûts et de ses envies sur le moment. Cela permet de déclencher le système cérébral de plaisir. C’est ainsi que l’on parvient à stimuler le système de récompense du cerveau et la sécrétion d’endorphines et de dopamines aux propriétés antidouleur. Pourquoi les musiques sont-elles originales, pourquoi ne pas reprendre des morceaux existants ? Parce qu’un morceau trop connu peut raviver des souvenirs personnels, ce qui n’est pas propice dans le cadre de la gestion de la douleur.
« En 2007, nous avons validé la séquence en U chez des patients en réanimation pour lesquels on a constaté une diminution de la douleur d’environ 60 % grâce à Music Care. »
– Comment mesurez-vous les effets de Music Care sur les patients ?
S. G. : Nous menons des études cliniques contrôlées randomisées depuis 1999. On compte maintenant près de 150 publications scientifiques à propos de Music Care. En 2007, nous avons validé la séquence en U chez des patients en réanimation pour lesquels on a constaté une diminution de la douleur d’environ 60 % grâce à Music Care [1]. Autre résultat validé : chez les patients douloureux chroniques, l’application Music Care diminue la consommation de médicaments antidouleur [2].
Les résultats préliminaires d’une étude sur des patients qui font une coronarographie montrent que ceux qui écoutent Music Care pendant l’examen ont besoin de moins de benzodiazépine (composé chimique utilisé comme anxiolytique et hypnotique) pour parvenir au même état de sédation. Cela signifie que le patient récupère mieux et que sa sortie est plus rapide.
Plus récemment, on a évalué Music Care dans des EHPAD pour des patients ayant la maladie d’Alzheimer, pour lesquels les soins quotidiens sont très difficiles. Avec Music Care, les aides-soignants parviennent plus facilement à faire la toilette et l’habillage des pensionnaires car ceux-ci sont moins agités.
[1] Jaber S et al, Effects of music therapy in intensive care unit without sedation in weaning patients versus non-ventilated patients, Annales francaises d’anesthesie et de reanimation, 2007.
[2] Guétin S, et al, Effect of music intervention in the management of chronic pain: a single blind randomized, controlled trial. Clinical Journal of Pain, 2012.