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Traumatisme auditif : des symptômes trop souvent ignorés

Lors de l’explosion survenue à Beyrouth le 4 août dernier, des témoins ont subi un traumatisme auditif aigu, qui peut être irréversible. Des traumatismes chroniques peuvent également endommager l’audition, pourtant il est possible de s’en prémunir. Le tour de la question avec le Dr Didier Bouccara, ORL à l’Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP).

Femme qui a mal à l'oreille

©Robert Niederbrach / EyeEm

– Pouvez-vous nous rappeler la différence entre traumatisme auditif aigu et chronique ?

Dr Didier Bouccara : Il faut bien noter que dans les deux cas la cible principale du traumatisme réside dans un organe de l’oreille interne, la cochlée. Celle-ci est tapissée de cellules ciliées, qui permettent de convertir le signal sonore en impulsion nerveuse envoyée vers le cerveau. Suite à l’exposition à un niveau sonore trop important, ces cellules ciliées, fragiles, sont détruites et elles ne se regénèrent pas. Le traumatisme ainsi subi peut donc provoquer une baisse de l’audition, parfois définitive. Dans le cas d’un traumatisme aigu, du type explosif comme à Beyrouth, mais aussi en France lors de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001, l’intensité sonore très élevée s’est combinée à un effet de souffle. La destruction des cellules ciliées est importante et irréversible et le souffle provoque aussi des dommages au tympan, à l’oreille moyenne et au compartiment liquidien de l’oreille interne. Cela ne va jamais aussi loin lors d’une exposition chronique, dite « comportementale », comme lors d’une exposition à de la musique amplifiée, et la réversibilité des dommages va beaucoup dépendre de l’intensité sonore.

L’oreille ne se protège-t-elle pas naturellement contre ces traumatismes ?

D. B. : Il existe un réflexe dit « stapédien », avec la contraction d’un muscle de l’oreille moyenne, le muscle de l’étrier, qui limite l’amplification des ondes sonores pour protéger l’oreille interne contre le bruit intense. Cependant, il ne faut absolument pas compter là-dessus pour se protéger d’un traumatisme auditif ! Son effet est très limité, il ne peut pas protéger contre des expositions prolongées à des intensités sonores élevées. En plus, la sensibilité individuelle au bruit, tout comme l’efficacité de ce réflexe, varient beaucoup d’une personne à une autre. Il existe des échelles de risque en fonction du type, du niveau et du temps d’exposition mais il ne faudrait pas être faussement rassuré. Les dommages peuvent être plus ou moins rapides selon la sensibilité individuelle.

– Quels sont les symptômes qui doivent alerter suite à une exposition ?

D. B. : La sensation d’oreilles bouchées, le bourdonnement, les acouphènes, une baisse de l’audition, sont autant de signes qui doivent amener à consulter s’ils ne disparaissent pas au bout de 24h. S’ils se répètent, ils peuvent être accompagnés de signes extra-auditifs, comme une fatigabilité accrue, une irritabilité, de l’hypertension artérielle, un manque de concentration, et cela est fréquent chez les enfants vivant près des aéroports par exemple, avec un retentissement sur les résultats scolaires. Trop souvent, ces symptômes sont considérés comme mineurs, notamment par les jeunes amateurs de musique, en concerts ou amplifiée (écouteurs…). Une oreille qui siffle le lendemain d’un concert, ce n’est pas normal, il faut consulter et réaliser un audiogramme pour objectiver une éventuelle perte auditive.

« Les traitements sont d’autant plus efficaces qu’ils sont administrés tôt, dans les 48h après le traumatisme s’il est aigu. »

– Existe-t-il des traitements ?

D. B. : Oui et ils sont d’autant plus efficaces qu’ils sont administrés tôt, dans les 48h après le traumatisme s’il est aigu. Le traitement de référence est à base de cortisone, dont l’efficacité a été démontrée contrairement à d’autres thérapies qui ont pu être testées (caisson hyperbare, vasodilatateurs…). La chirurgie n’a pas lieu d’être en phase aiguë, même en cas d’atteinte au tympan, car celui-ci peut cicatriser seul. Elle n’est envisagée que dans des situations exceptionnelles, avec des dégâts très importants, comme des fistules (communications anormales entre le compartiment de l’oreille moyenne et celui de l’oreille interne) ou des ruptures du conduit auditif. Consulter et traiter rapidement a des conséquences positives aussi du point de vue psychologique, car les remords sont fréquents quand on a trop attendu. La consultation est aussi un bon moment pour faire de la prévention et adapter les comportements par la suite.

– Justement, quels sont les conseils pour diminuer son risque de traumatisme auditif ?

D. B. : Le plus évident est de protéger ses oreilles par des bouchons d’oreille en cas de niveau sonore élevé, que ce soit dans un cadre de loisir ou au travail. Lors de l’écoute de musique amplifiée, il faut prendre une pause de quinze minutes toutes les heures. Dans un cadre professionnel, par exemple dans les transports ou l’industrie, la prévention est maintenant bien codifiée, avec des visites de contrôle et des mesures de protection du personnel par les services de Médecine du Travail. Je dirais que le risque reste non négligeable pour les intermittents du spectacle, car ils sont sans doute moins bien suivis par la médecine du travail. Les nouvelles limites règlementaires dans les lieux de concerts, à 85dB, sont assez protectrices et cette réduction du bruit doit s’accompagner d’actions de sensibilisation du public. Je suis plutôt optimiste car de nombreuses campagnes de sensibilisation sont organisées par différents acteurs, en plus des trois campagnes annuelles que nous organisons avec la Journée Nationale de l’Audition (JNA) en octobre, mars et juin, autour des risques, notamment professionnels ou liés à la musique.

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