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Une mémoire qui serait plus visuelle ou plus auditive : mythe ou réalité ?

Tour d’horizon avec le « neuromythe » des profils d’apprentissage avec un expert, Jean-François Camps, chercheur en psychologie.

Quand on évoque des profils d’apprentissage plutôt visuels, auditifs ou kinesthésiques (mémoire basée sur les sensations physiques ou émotionnelles), à quels processus neuronaux prétend-on faire référence ?

Jean -François Camps : Le modèle de l’apprentissage et de la mémoire opère en fait à différents niveaux, de la perception à la mémorisation et jusqu’au rappel de cette mémorisation. Un travail de rappel permet aux connaissances stockées dans la mémoire à court terme de rentrer dans la mémoire à long terme. Schématiquement, les informations sensorielles aboutissent dans les aires primaires du cerveau et elles sont extrêmement éphémères : la mémoire sensorielle visuelle ne dure qu’un quart de seconde, la mémoire sensorielle auditive au maximum un peu plus de deux secondes. Très rapidement donc, cette information passe dans les aires secondaires où les différentes informations sont combinées, traitées, puis stockées, par exemple dans les mémoires sémantiques, lexicales, autobiographiques. La mémoire sémantique est celle du langage, des connaissances sur le monde et sur soi. Elle se construit avec l’apprentissage et la mémorisation de concepts génériques tels que le sens des mots et le savoir sur les objets. Ensuite, la mémoire lexicale est une mémoire perceptive qui stocke la structure des mots (caractéristiques phonétiques et orthographiques) tandis que la mémoire autobiographique permet de se souvenir d’évènements spécifiques de notre vie. Ainsi, la forme visuelle des mots n’est-elle pas traitée dans les aires visuelles de la mémoire : le mot n’est plus un mot « lu », c’est un mot qui sera mémorisé de façon plus abstraite, notamment grâce à la comparaison avec des mots que nous connaissons déjà. La mémorisation suppose en effet de comparer les informations nouvelles avec ce que nous maitrisons déjà. Or pour cela, il est démontré que plus les informations sont riches et de différentes natures, meilleur sera le traitement des données. Ainsi, tous les modèles de recherche montrent qu’avoir accès simultanément à une information visuelle et à une information auditive est plus efficace pour apprendre que d’avoir accès à l’une ou l’autre uniquement. C’est pourquoi prétendre que certains seraient plus visuels et d’autres plus auditifs est un « neuromythe » au niveau perceptif.

 

Certaines expériences de neurosciences montrent que le cerveau sélectionne parfois des informations captées par l’audition ou la vision lorsqu’elles ne concordent pas entre elles. Ce processus peut-il aussi s’appliquer en situation d’apprentissage par exemple en lisant oralement un texte écrit ?

J-F.C. : . Mais ces expériences ne reflètent pas la façon dont les apprentissages se font dans des situations réelles, par exemple en milieu scolaire, où le but n’est pas de créer des difficultés particulières pour les élèves ! En situation de vie réelle, les sujets s’adaptent aux types d’informations disponibles, par exemple visuelle s’ils regardent un tableau, auditive s’ils écoutent un morceau de musique. Toutes les expériences menées sur l’apprentissage qui ont essayé de tester l’hypothèse de profils préférentiellement visuels ou auditifs ont montré que l’on n’obtient pas de meilleures performances lorsque l’on adapte le type de document en fonction du profil « supposé » de l’apprenant.

 

Est-ce qu’une certaine « préférence » ne pourrait pas intervenir à un autre niveau de traitement de l’information, comme le rappel des informations mémorisées ?

J-F.C. : Nous disposons de trois façons pour retrouver une information en mémoire : soit le rappel est immédiat, soit il est « indicé », c’est-à-dire que nous nous appuyons sur des indices pour faire remonter cette information stockée en mémoire, soit le rappel se fait par reconnaissance d’informations parmi d’autres. Dans le cas des rappels « indicés », certains vont préférentiellement s’appuyer sur des indices visuels (via une image mentale reconstruite), d’autres sur des indices auditifs (ils vont par exemple se répéter un cours à l’oral). Mais il faut bien comprendre que cela n’a rien à voir avec la façon dont l’information avait été amenée au départ. Il s’agit d’une reconstruction « abstraite » a posteriori, qui part de notre mémoire. Il s’agit donc non pas d’un profil d’apprentissage sensoriel mais d’une stratégie de mémorisation de rappel construite par les individus au fil du temps. Partant de cela, il est possible de proposer de travailler sur ces indices, comme par exemple avec des cartes mentales, qui permettent de visualiser les connaissances en mémoire et de favoriser la mémorisation. Ce type de travail sur les « indices » est développé aussi bien avec les enseignants que dans des ateliers mémoire pour des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

 

Alors que 9 enseignants sur 10 croient encore au neuromythe des profils d’apprentissage visuel, auditif, kinesthésiques, que pourrait-on leur proposer de plus efficace ?

J-F.C. : Même si des fiches sur les profils VAK (Visuels/Auditifs/Kinesthésiques) peuvent encore être proposées aux enseignants sur certains sites de l’Education Nationale, ces théories ont officiellement été abandonnées depuis longtemps. Ce que nous expliquons aux enseignants, et qui est démontré, c’est l’intérêt de créer du lien entre les informations et de stabiliser la mémorisation par la répétition. Pour améliorer les apprentissages, il est nécessaire de réviser régulièrement afin de contrer la tendance naturelle des élèves à ne le faire qu’à l’occasion des contrôles. . En effet, pour que les réseaux neuronaux liés aux apprentissages perdurent dans le temps, ce qui compte le plus est de les stabiliser par la répétition. Il n’y a pas de mystère, pour apprendre et mémoriser, il faut pratiquer !

 

[1] http://www.labneuroeducation.org/publications/prvalence-et-origine-de-certains-neuromythes-chez-les-enseignants-du-qubec

[2] https://www.cortex-mag.net/neuromythe-n1-les-styles-dapprentissage/

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