DMLA sèche : la vitronectine une nouvelle cible du traitement ?
Selon une étude américaine¹ publiée en 2020, une protéine sanguine, la vitronectine, pourrait constituer une cible intéressante pour empêcher le développement de la DMLA sèche. Cette protéine est en effet impliquée dans la formation des « drusen », dépôts situés au centre de la rétine, qui sont à l’origine de la maladie. Un traitement prometteur afin de ralentir la progression de la DMLA.
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Une protéine comme cible thérapeutique contre la DMLA sèche dans sa forme précoce ? Un espoir pour les 1,5 million de personnes concernées en France. La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) constitue en effet la première cause de handicap visuel chez les plus de 50 ans : elle touche 1 % des 50-55 ans, 10 % des 65-75 ans et 25 à 30 % des plus de 75 ans². Au cours de l’évolution de la maladie, les personnes atteintes peuvent perdre la vision centrale mais conservent la vision périphérique, ce qui entraîne des difficultés pour la lecture, la conduite et la vision fine, mais les personnes restent suffisamment autonomes pour se déplacer. Le nombre de personnes touchées ne va cesser de croitre dans les prochaines années du fait du vieillissement de la population, ce qui en fait un réel enjeu de santé publique.
En l’absence de traitement, une bonne hygiène de vie est recommandée pour retarder l’évolution de la DMLA sèche
La DMLA débute par une phase précoce appelée Maculopathie liée à l’âge (MLA ou « sèche précoce »). Cette phase se caractérise par l’apparition de dépôts sous-rétiniens, les « drusen », visibles sur le fond de l’œil, qui s’élargissent et entraînent des déformations visuelles, sans perte de la vision centrale. Dans la moitié des cas la MLA évolue en formes dégénératives tardives. La maladie peut évoluer en deux formes : la DMLA atrophique ou sèche et la DMLA exsudative ou humide.
- La première forme sévère est la forme humide. Dans cette forme, on assiste à la formation de néovaisseaux qui se développent dans l’espace sous-rétinien. Ces vaisseaux anormaux sont fragiles et laissent diffuser du sérum ou du sang qui entrainent un décollement de la rétine et une perte visuelle très rapide. « En réalité, si l’on pratique un OCT³, un examen du fond de l’œil, chez une personne atteinte d’atrophie géographique, on peut parfois constater la présence de néovaisseaux quiescents, qui peuvent se réveiller et faire évoluer la phase précoce de la maladie vers la forme humide, ce qui arrive dans 10 à 15 % des cas », explique le Dr Yannick le Mer, ophtalmologue à la Fondation Rothschild. La présence de néovaisseaux quiescents, c’est à dire au repos, permet au patient de conserver encore plus longtemps son acuité visuelle et ainsi de limiter l’apparition d’une DMLA humide. La forme humide de la DMLA est aussi fréquente que la forme sèche dans la population européenne âgée de plus de 65 ans⁴. Son évolution peut être particulièrement rapide, conduisant à une perte de la vision centrale en quelques semaines. Des traitements existent depuis une dizaine d’années pour la DMLA humide permettant de ralentir ou d’arrêter son évolution tels que des anti-angiogéniques (Anti-VEGF), des médicaments qui empêchent la formation de nouveaux vaisseaux sanguins, administrés par injections intra-vitréennes.
- La seconde forme sévère est la forme sèche (aussi appelée atrophie géographique), c’est la destruction des cellules pigmentaires et des photorécepteurs qui entraîne la perte de la vision. A l’inverse de la DMLA humide, il n’existe actuellement aucun traitement pour traiter la forme sèche. « Pour le moment, dans la forme sèche, le fait est que nous n’avons rien à proposer », confirme le spécialiste. Pour éviter l’évolution de la maladie, des conseils d’hygiène de vie sont délivrés : une nourriture saine, riche en antioxydants, de l’activité physique, pas de tabac ou d’exposition des yeux au soleil sans lunettes de soleil, sont vraiment des prérequis. Certains compléments alimentaires pourraient aider mais n’ont pas complètement fait la preuve de leur efficacité. Ils éviteraient partiellement la progression vers des formes humides mais pas vers les formes sèches. « Différentes molécules ou approches sont aussi en tests, sans rien de probant, c’est le cas de certains antidiabétiques (atorvastatine et metformine), d’un antidépresseur (Prozac), ou encore d’une approche dite de photobiomodulation, thérapie qui utilise la lumière de faible intensité. Les études sont contradictoires et ne semblent montrer que des frémissements statistiques ou une diminution de la formation de « drusen » sans effet sur le risque de progression de l’atrophie géographique » pointe le Dr Le Mer. En réalité, il existe deux formes de DMLA mais il pourrait s’agir de la même maladie avec une frontière de moins en moins claire entre les deux formes.
Empêcher la formation de dépôts dans la rétine ?
Or, des chercheurs d’un institut de recherche en Californie (Sanford Burnham Presbys Medical Discovery Institute) ont décrypté le mécanisme de formation des « drusen »⁵. Ces dépôts sont constitués de substances variées comprenant des protéines, des lipides, des sucres et des cellules dendritiques (cellules du système immunitaire). La vitronectine, une protéine sanguine qui a la forme d’une hélice collante, orchestre la formation de ces dépôts et vient se positionner en couche de finition pour assembler toutes les pièces des dépôts au même endroit et constituer cet assemblage complexe. L’étude, en décryptant ce mécanisme, suggère qu’il serait possible de le cibler pour le désamorcer. « Il faut vraiment rester très prudent cependant », nuance le Dr Le Mer. « Cela fait vingt ans que l’on parle de la vitronectine dans la DMLA, même si cette étude est la première à décrypter le mécanisme en jeu. Or cette protéine est impliquée dans des processus tout à fait physiologiques assurant notamment la cohésion de la rétine, la cibler pourrait donc détruire les dépôts mais aussi la rétine ! ». Une tentative de cibler une protéine voisine, la fibronectine, s’était d’ailleurs soldée par l’absence d’amélioration de la pathologie mais surtout une augmentation des décollements rétiniens, chez des patients atteints de traction vitréomaculaire⁶. Ce phénomène qui entraine une baisse de la vision ainsi que des déformations visuelles résulte d’une adhérence trop forte entre l’humeur vitrée, qui correspond à la substance transparente qui remplit la cavité oculaire, et la macula, qui représente la zone centrale de la rétine. « La seule stratégie serait de pouvoir cibler un isoforme particulier, forme quasiment identique d’une protéine, ou un rouage précis du mécanisme de formation des « drusen ». C’est théoriquement possible mais le chemin est encore long à parcourir, d’ailleurs il n’y a en ce moment aucun essai clinique dans le monde sur la vitronectine», estime le spécialiste. Un isoforme est une protéine qui appartient à une famille dont les composants possèdent une structure très proche et ont des fonctions voisines de la vitronectine. Ces derniers seraient impliqués dans la formation des « drusen » mais pas dans les fonctions physiologiques normales. Néanmoins, pour l’instant, rien ne dit qu’un tel isoforme existe.
De la génétique à la thérapie génique : des essais encourageants
D’autres voies pourraient s’avérer prometteuses. De larges études de séquençage de centaines de milliers de patients ont été menées et ont permis d’identifier environ 50 gènes dont des variants pourraient être impliqués dans la DMLA sèche⁷. « Certains étaient impliqués dans un système de lutte contre les infections appelé le complément (le système du complément est composé de différentes protéines participant à la défense de l’organisme contre l’infection). Ce complément pourrait, lors de l’inflammation qui accompagne l’apparition des « drusen », créer les lésions de l’épithélium pigmentaire de la rétine. Les « drusen » sont les conséquences possibles de l’inflammation chronique en rapport avec l’activité du complément. D’où l’idée d’injecter des médicaments qui bloqueraient l’hyperactivation du complément », développe le Dr Le Mer. Des essais de phase I ou II sont en cours. Certaines montrent sur des résultats partiels une diminution de l’évolution de l’atrophie géographique de l’ordre de 20 à 30 %⁸ ⁹. Ces résultats doivent être confirmés, d’autres séries avec les mêmes composés montrant au contraire une absence d’effet, même quand les patients sont sélectionnés sur la base de leur profil génétique.
Parallèlement, sont menées au Japon des expériences de thérapie génique utilisant des cellules souches reprogrammées¹⁰. « Les essais sont encourageants car ils montrent non seulement un arrêt de la progression de la maladie mais aussi la capacité de ces cellules à régénérer des cellules rétiniennes », estime le Dr Le Mer. Les essais devraient reprendre avec une amélioration de la technique chirurgicale.
« Même si de gros efforts sont en cours pour tenter de ralentir ou stopper la progression de la maladie, rien n’est encore concrètement disponible pour les patients. Il faut bien insister sur l’importance de la rééducation basse vision, qui permet aux patients d’apprendre à bien utiliser les zones de la vision encore fonctionnelles, et sur certains dispositifs basse vision qui peuvent aussi avoir leur utilité tant que la perte visuelle n’est pas trop importante », conclut l’ophtalmologue.
Sources :
[1] https://www.pnas.org/content/117/31/18504
[2] https://www.inserm.fr/dossier/degenerescence-maculaire-liee-age-dmla/
[3] Optical Coherence Tomography = Tomographie par Cohérence Optique
[4] https://www.inserm.fr/dossier/degenerescence-maculaire-liee-age-dmla/
[5] https://www.sbpdiscovery.org/news/scientists-identify-a-new-drug-target-for-dry-age-related-macular-degeneration
[6] Schatz et al., Effect of Ocriplasmin on objectively assessed retinal function after treatment of vitreomacular diseases, Acta Ophtalmol, 2019.
[7] Lambert NG, Elshelmani H, Singh MK, et al. . Risk factors and biomarkers of age-related macular degeneration. Prog Retin Eye Res 2016;54:64102.
[8] Wykoff et al., Characterizing New-Onset Exudation in the Randomized Phase 2 FILLY Trial of Complement Inhibitor Pegcetacoplan for Geographic Atrophy, Ophtalmology, 2021.
[9] https://ichgcp.net/fr/clinical-trials-registry/NCT03362190
[10] https://www.genethique.org/japon-un-premier-essai-clinique-mondial-avec-ips-positif/