Imagerie en ophtalmologie : des révolutions techniques aux parcours de soin
Ces dix dernières années, l’imagerie en ophtalmologie a connu une véritable révolution tant pour l’acquisition d’images que pour leur interprétation. Aujourd’hui, les dernières techniques de pointe, la haute résolution d’image et l’aide de l’intelligence artificielle ouvrent de nouvelles possibilités de prise en charge pour les patients.
©Os Tartarouchos
Au fond de l’œil se trouvent à la fois les photorécepteurs sur la rétine, ces cellules nerveuses sensibles à la lumière, mais aussi des réseaux de vaisseaux sanguins capillaires et de neurones qu’on ne peut observer aussi facilement dans aucune autre partie du corps humain. « Ceci explique en partie le développement intense de l’imagerie en ophtalmologie. Une autre raison étant qu’elle permet à la fois d’obtenir de bons résultats dans notre discipline mais aussi pour la santé en général », explique le Professeur Michel Paques, clinicien et chercheur en imagerie à l’Institut de la Vision et à l’hôpital des Quinze-Vingts.
En effet, l’imagerie est décisive pour évaluer et suivre le glaucome, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), ou encore la rétinopathie diabétique, qui sont parmi les causes majeures de cécité à travers le monde. De plus, les capillaires présents au fond de l’œil, notamment sur la choroïde, le tissu situé derrière la rétine et qui irrigue celle-ci, peuvent servir de marqueurs à d’autres pathologies qui ne sont pas uniquement liées à l’œil. La rétine est par exemple touchée dans l’hypertension artérielle. « Il pourrait donc y avoir des applications en cardiologie. L’imagerie ophtalmologique pourrait également être utile en neurologie, puisque par exemple, après une opération du cerveau, la pression peut être transmise au nerf optique », détaille le spécialiste.
Une cadence et une résolution de plus en plus performantes
Au niveau de l’acquisition d’images, la principale révolution des vingt dernières années a incontestablement été le développement et la démocratisation de la tomographie par cohérence optique. Appelée « OCT », cette technique d’imagerie médicale capture des images tridimensionnelles grâce à une onde lumineuse. Cette technique est proche de celle de l’échographie, mais envoie une lumière laser à faible énergie, au lieu d’ondes sonores. Cette technique produit des images en coupes de différentes profondeurs. L’OCT ne nécessite pas de dilatation de la pupille et présente donc l’avantage d’être indolore et très confortable pour le patient. Aujourd’hui l’OCT est présent dans la grande majorité des cabinets d’ophtalmologie avec une résolution de 12 à 15 µm, permettant aux ophtalmologues d’obtenir un bon niveau d’information et de détecter d’éventuelles anomalies sur le nerf optique ou la rétine dans plusieurs types de pathologies, comme le glaucome, la DMLA ou la rétinopathie diabétique.
Différentes innovations sont en cours de développement pour continuer d’améliorer la définition et la cadence d’obtention des images. « En 5 ans, la vitesse d’acquisition a déjà été multipliée par quatre », explique le Professeur Jean-François Korobelnik, chef du service d’ophtalmologie du CHU de Bordeaux et ancien Président de la Société Française d’Ophtalmologie. Des prototypes permettant une acquisition à haute cadence, de plus de 100 images par seconde, sont développés à l’Institut de la Vision. « Ces prototypes permettent, par exemple, de mieux guider la chirurgie au laser de la rétine chez le patient diabétique. Nous remarquons notamment une diminution des dommages dus au laser grâce à cette technologie », précise Michel Paques.
L’équipe du Pr Paques travaille aussi sur un dispositif se rapprochant du Doppler, un examen permettant d’explorer le flux sanguin dans les artères et les veines, qui pourrait mesurer le flux sanguin dans les vaisseaux sanguins capillaires situés au fond de l’œil. Il s’agit d’une étape supplémentaire après l’angiographie-OCT, une technique qui permet de visualiser l’architecture et l’épaisseur des vaisseaux de la rétine.
Enfin, une technique dérivée de l’astrophysique semble également être intéressante pour une utilisation sur l’œil : l’optique adaptative. Cette technique offre la possibilité d’observer des cellules nerveuses, les photorécepteurs, ou même théoriquement tous les types cellulaires présents au fond de l’œil à l’échelle de la cellule individuelle, soit une résolution de 3 µm environ. Une telle innovation pourrait permettre de détecter d’éventuels défauts de façon bien plus précoce, bien avant l’apparition des premiers symptômes de perte visuelle. Un progrès intéressant notamment pour la DMLA, une pathologie qui reste longtemps asymptomatique, malgré une perte rapide, jusqu’à 25 %, des photorécepteurs de l’œil. Cette nouvelle innovation pourrait également s’avérer bénéfique concernant la rétinopathie diabétique, ainsi que pour le suivi personnalisé des thérapies géniques de l’œil. « Dans ces thérapies en développement, les symptômes visuels sont difficiles à objectiver et les financeurs publics sont en demande d’évaluations précises, justifiant de l’intérêt des thérapies », explique le Pr Paques.
Vers l’automatisation de l’analyse grâce à l’intelligence artificielle
Avec des technologies qui permettent d’acquérir de plus en plus d’images, de types parfois très nouveaux, l’intelligence artificielle (IA) a déjà commencé à révolutionner le diagnostic. « Dans la technique de Doppler que nous développons, l’intelligence artificielle permet de reconstruire directement l’image de fond d’œil en temps réel, avec une très bonne précision sur le flux sanguin », illustre le Pr Paques. Les capacités d’analyse doivent être vastes et l’enjeu est ici d’obtenir des résultats concrets chez des patients en situation réelle.
Le premier logiciel ayant obtenu un marquage CE dans ce domaine en France est OphtAI, actuellement commercialisé par les sociétés Evolucare et Adcis. Ce logiciel homologué pour un usage sur des rétinophotographies couleurs, permet de dépister les stades d’évolution de la pathologie rétinienne chez le patient diabétique. « OphtAI ne peut être utilisé que par un ophtalmologue, comme aide au diagnostic et en aucun cas pour un tri automatique des patients sans contrôle médical en raison de la législation actuelle en Europe », précise Mathieu Lamard chercheur de l’Inserm, travaillant au LaTIM à Brest (Laboratoire de traitement de l’information médicale) et ayant participé au développement d’OphtAI. La précision du dispositif est pour autant très bonne, avec une sensibilité de 99 %, un taux supérieur à celui classiquement obtenu par un spécialiste de la rétine [1]. Ce logiciel apporte une aide précieuse et stable aux cliniciens. Sa force réside dans la qualité des images brutes injectées pendant la phase d’apprentissage et la bonne qualification de ces images par des spécialistes, une qualification que la machine apprend ensuite à reproduire. « Nous disposons d’une base de données de départ de très bonne qualité pour les personnes diabétiques, OphtDiaT, qui est issue d’un réseau de dépistage parisien, avec des centaines de milliers d’images interprétées par des spécialistes », précise Mathieu Lamard.
Vers un tri des patients et un suivi à domicile
Ces nouvelles technologies devraient aussi bientôt investir la problématique du pronostic. « Il est plus délicat d’obtenir une échelle de gravité de manière automatique, ce genre de prédiction d’évolutivité de la maladie reste encore en dehors du champ de l’IA », estime le Pr Paques. Le LaTIM vient d’ailleurs de lancer avec l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) un projet baptisé Evired, pour tenter de prédire des évolutions de rétinopathie sur des patients diabétiques à 6 mois, avec une combinaison d’analyses d’angiographies-OCT et de rétinophotographies grand champ.
« À ce jour, de nombreux outils ont été développés par la recherche et sont prêts. La grande question est de savoir qui va en disposer et pour quels patients, dans quelles conditions et avec quel financement », pointe le Professeur Béatrice Cochener, chef du service d’ophtalmologie du CHU de Brest et ancienne présidente de la Société française d’Ophtalmologie (SFO). La communauté médicale devra nécessairement être associée au développement et à la mise en place de tels outils. « L’IA par exemple peut aider à trier les patients pour les orienter vers les médecins mais cela doit encore être évalué et accepté par la communauté médicale, au contraire de ce qui se fait aux États-Unis, où le logiciel IDx-DR a déjà été approuvé par la FDA ( « Food and Drugs Administration » équivalent américain de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de sante (ANSM)), pour un mode totalement autonome et peut être utilisé par des non-médecins », estime la spécialiste. La question de l’intégration de ces logiciels aux parcours de soin reste donc entière en France.
En tout état de cause, la miniaturisation et la simplification des dispositifs sont bien en cours, avec à terme la perspective d’un OCT à domicile. « Cela ne devra se faire que dans un cadre restreint, par exemple pour le suivi de traitements longs qui sont en train d’arriver sur le marché. Avec une transmission automatisée et sécurisée au médecin, cela permettra d’espacer les visites qui ont lieu tous les mois actuellement », imagine le Pr Korobelnik. « D’ici 3 ou 4 ans, l’IA sera omniprésente. La supervision par l’humain sera de moins en moins nécessaire. Son développement pourra sans doute permettre aux spécialistes de se focaliser sur d’autres tâches. Il ne faut pas oublier que si la démographie des ophtalmologues en France n’est pas catastrophique, ce n’est pas le cas d’autres pays, comme l’Inde ou la Chine, qui vont certainement servir de locomotives pour ce genre de développements », conclut le spécialiste.
Imagine Eyes, une entreprise française à la pointe
Créée en 2003, Imagine Eyes, propose une solution d’imagerie à échelle cellulaire intégrant de l’optique adaptative. « Cette technique est dérivée de l’astrophysique », explique Marine Durand, chef de produit imagerie rétinienne chez Imagine Eyes. « Comme les télescopes corrigent les défauts sur les images dus à l’atmosphère, notre dispositif, grâce à un miroir déformable, corrige les défauts optiques qui limitent habituellement la résolution des images de fond d’œil ». Le résultat donne une très bonne résolution, non pas en profondeur sur des couches de tissus comme avec l’OCT mais en latéral, ce qui permet théoriquement de distinguer toutes les cellules de la rétine. « En pratique, nous visualisons surtout les photorécepteurs, car certaines cellules restent transparentes malgré la très bonne résolution. Nous travaillons à combiner optique adaptative et OCT pour avoir accès à d’autres types cellulaires », précise Nicolas Chateau, directeur général délégué d’Imagine Eyes.
Pour en savoir plus (en anglais) : https://www.imagine-eyes.com/products/rtx1/
[1] OphtAI : https://www.ophtai.com/fr/solution-depistage-maladie-oeil/