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La sonogénétique, une thérapie révolutionnaire pour retrouver la vue

Associer génétique et ultrasons pour rendre la vue à des personnes l’ayant perdue, l’idée peut sembler audacieuse. Elle a pourtant été testée avec succès sur des rongeurs, ce qui permet d’espérer qu’elle puisse un jour profiter aux humains. Les explications de Serge Picaud, directeur de recherche Inserm et de l’Institut de la vision (Sorbonne Université / Inserm / CNRS), co-auteur de cette étude très prometteuse, publiée le 3 avril dans la revue Nature Nanotechnology [1].

La thérapie sonogénétique

© Alexandre Dizeux- Physics for Medicine Paris – INSERM

Qu’ont en commun le glaucome, la rétinopathie diabétique et les neuropathies optiques héréditaires ou alimentaires ? Au-delà de faire baisser dangereusement l’acuité visuelle de celles et ceux qui en souffrent, et d’être une des principales causes de cécité, « ce sont des pathologies qui font perdre la connexion entre les yeux et le cerveau », répond Serge Picaud. Les fibres du nerf optique sont peu à peu détruites, ce qui entraîne une baisse de la vision. Si l’évolution de ces maladies peut être ralentie quand elles sont prises en charge précocement, la perte d’acuité visuelle, elle, est irréversible. Sera-t-il un jour possible de récupérer ce qui a été perdu ? L’espoir repose sur un mot en 13 lettres : sonogénétique.

Sonogénétique, mode d’emploi

Faire communiquer le cerveau et la machine, cela a déjà été tenté. Notamment avec des électrodes, implantées dans le cerveau, pour projeter une image en stimulant les zones dédiées à la vision. Mais le cerveau, mou, bouge à l’intérieur du crâne. Avec le temps, ces mouvements pourraient provoquer une fibrose cicatricielle autour des électrodes. De fait, les inquiétudes soulevées par la possibilité que ce procédé puisse, à terme, abîmer le cerveau, n’ont pas encore été levées. Cela a permis d’intensifier la recherche d’une autre piste moins invasive pour activer à distance les circuits neuronaux. La sonogénétique semble plus sûre sur le long terme, car sans contact.

« Avec cette thérapie, ce que nous proposons, c’est de modifier génétiquement certains neurones, afin de pouvoir les activer à distance par des ultrasons. » Concrètement, le code génétique d’un canal ionique est d’abord introduit dans les cellules. Car les canaux ioniques, des protéines, ont un don : comme un petit tunnel, ils ont la capacité de s’ouvrir ou de se fermer pour laisser entrer des ions dans la cellule, ou les en faire sortir. Pour ouvrir ce tunnel ? Les chercheurs ont utilisé des ultrasons de faible intensité. Cela a permis, dans un deuxième temps, d’activer à distance les neurones qui expriment ce canal. « Ces ultrasons sont appliqués à la surface du cerveau, mais sans aucun contact. Depuis la surface de la dure-mère, qui entoure le cerveau, ils peuvent ensuite atteindre des tissus en profondeur, notamment le cortex visuel. » Le cortex visuel, c’est cette zone du cerveau chargée de traiter les informations visuelles. Seuls les neurones responsables de la vision pourraient être ciblés par le faisceau ultrasonore, de manière extrêmement précise.

Echographie, face B

« Ce sont ces ondes qui sont utilisées pour l’imagerie du cerveau à haute résolution, ou lors d’une échographie. Cela permet d’obtenir de très jolies images du bébé dans le ventre de sa maman. Nous voulons faire l’inverse, c’est-à-dire créer une image directement dans le cerveau. » Les images de l’environnement seraient ainsi converties sous forme d’ondes ultra sonores, pour stimuler le cortex visuel. Appliquée sur les neurones de rongeurs, la sonogénétique peut activer une réponse comportementale normalement associée à une perception lumineuse. Dans le cas présent, l’animal avait appris à associer la réception d’une récompense -ici, la mise à disposition d’eau- dès qu’il percevait de la lumière. La réponse équivalente pour la stimulation sonogénétique à la présentation d’un flash lumineux suggère que la stimulation ultrasonore de son cortex a bien induit une perception lumineuse, seulement si le canal ionique mécanosensible est exprimé dans le cortex visuel.

Transposée à l’homme, cette thérapie « permettrait de projeter des images dans le cerveau à une cadence suffisamment rapide -plusieurs dizaines d’images par seconde- pour que le patient ait une vision continue de son environnement. Il porterait une paire de lunettes faisant des images de ce qui l’entoure, et cet environnement serait transformé en images ultrasonores projetées par la suite sur son cortex visuel. » Autrement dit, cela permettrait de produire des images 3D dans le cortex visuel. « De plus, l’étude a montré que cette approche thérapeutique est très versatile puisqu’elle fonctionne sur différents types de neurones, qu’ils soient situés dans la rétine ou dans le cortex visuel des rongeurs, ce qui ouvre d’autres perspectives en neurologie », se réjouit Serge Picaud.

Des essais chez l’homme, une mission (pas du tout) impossible

« Maintenant que nous avons apporté la preuve de concept de cette thérapie chez les rongeurs, rats et souris, nous voulons montrer que si l’animal peut percevoir la lumière, il est aussi capable de percevoir une forme, comme une lettre par exemple, ou qu’il peut détecter un mouvement. Pour une tâche aussi complexe, nous devons la développer sur le primate non humain, et vérifier en parallèle, bien évidemment, que ce n’est pas toxique pour les neurones. » Si ces obstacles sont franchis avec succès, les études chez l’homme pourront alors démarrer. Il faudra bien sûr s’armer de beaucoup de patience -probablement plusieurs années- avant d’en arriver là. Mais assurément, c’est un véritable espoir pour les personnes aveugles atteintes d’atrophie du nerf optique.

« C’est une approche très innovante, parce qu’elle fonctionne sans contact, à la différence des dispositifs avec électrodes. » Le projet a été co-dirigé par deux hommes aux univers habituellement bien distincts : Serge Picaud, biologiste de la rétine, et Mickael Tanter, physicien des ondes pour la médecine. Si les résultats se confirment, les patients pourraient retrouver la vue « de manière stable, et en toute sécurité. L’objectif, c’est qu’ils puissent à nouveau lire, reconnaître des visages, se déplacer de manière autonome. »

[1] https://www.nature.com/articles/s41565-023-01359-6

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