La voix, reflet de notre état de santé
Poser un diagnostic de cancer, de dépression ou de diabète à une personne, simplement en l’écoutant parler quelques secondes. L’idée paraît folle, pourtant des chercheurs y travaillent sérieusement, et leurs premiers résultats sont très prometteurs. Explications.
La somnolence diurne excessive ? C’est un besoin irrépressible et incontrôlable de dormir, plusieurs fois par jour. Un problème loin d’être anodin, parce qu’il peut par exemple entraîner des accidents de la route. Jusqu’à présent, pour le diagnostiquer, il fallait se rendre dans un centre du sommeil, passer une nuit couvert d’électrodes, pour réaliser une polysomnographie, enregistrement du sommeil. Le Dr Vincent Martin a eu une autre idée : identifier des biomarqueurs vocaux spécifiques à la somnolence. « À partir d’une base de données d’enregistrements vocaux de plus de 120 patients, nous avons identifié des biomarqueurs spécifiques aux personnes souffrant de somnolence diurne excessive », détaille Jean-Luc Rouas, chercheur au CNRS qui a dirigé la thèse du docteur. Ces biomarqueurs sont des paramètres issus d’un enregistrement vocal, pouvant être mesurés de manière objective : l’intonation de la voix, le volume, le rythme, la longueur des pauses… « A terme, nous aimerions intégrer notre outil dans une application dédiée aux troubles du sommeil, pour suivre l’évolution des patients à domicile. »
Donner sa voix pour faire avancer la recherche
C’est un projet très ambitieux. Permettre aux médecins d’utiliser la voix du patient pour le diagnostic et le suivi à distance de maladies chroniques (diabète, cancer, sclérose en plaques, maladies inflammatoires de l’intestin…) mais aussi pour surveiller la santé mentale (stress, anxiété…). C’est le projet Colive Voice. « Nous cherchons à identifier des biomarqueurs vocaux pour améliorer et simplifier le suivi régulier de nombreux malades. Nous avons déjà récolté des milliers de voix à travers le monde, et nous continuons à chercher des volontaires », explique le Dr Guy Fagherazzi, directeur du département santé de précision au Luxembourg Institute of Health, chercheur principal de cette étude de santé. « Faire don de sa voix (sur le site www.colivevoice.org) ne prend que 20 à 30 minutes, mais permet de faire réellement avancer la recherche. » Toutes les personnes de plus de 15 ans peuvent donner, qu’elles soient en bonne santé ou malades. Il leur est demandé de répondre à un questionnaire détaillé sur leur état de santé puis d’effectuer 5 courts enregistrements vocaux différents. Cette banque audio servira à identifier les biomarqueurs vocaux de différentes maladies, qui seront ensuite validés au cours de protocoles cliniques. « Nous espérons, dans les années à venir, donner aux médecins un moyen simple et efficace de surveiller à distance les maladies de leurs patients, en utilisant uniquement leur voix. »
Identifier des biomarqueurs vocaux
C’est imperceptible pour l’oreille humaine. Mais un algorithme entraîné sur des centaines/milliers de cas de patients, pourra détecter de minuscules variations dans la voix. Or, quand une personne est malade, sa voix se modifie. Pourquoi ? Parce que la fabrique de la voix dépend de plusieurs organes (poumons, larynx…) qui, lorsqu’ils sont touchés par une maladie, modifient cette voix (la personne peut par exemple moins bien articuler, ou allonger les voyelles), et reflètent ainsi les changements de notre état de santé. Par exemple, la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson peuvent affecter les nerfs qui contrôlent les cordes vocales. L’intelligence artificielle a déjà montré comme elle était douée pour poser un diagnostic, par exemple de cancer du sein, en regardant des mammographies. Elle pourrait faire de même ici : poser un diagnostic, en analysant des paramètres vocaux. Les outils évalués jusqu’à présent ne sont pas infaillibles, mais leur niveau de précision reste très honorable, « à hauteur de 80-90 % » selon le Dr Guy Fagherazzi « Nous sommes par exemple en train de développer des biomarqueurs vocaux pour évaluer la sévérité des symptômes dépressifs. Il suffit pour cela que la personne parle 25 à 30 secondes. »
La voix, facile à collecter
« 80 % de la population mondiale est équipée d’un smartphone », rappelle le Dr Fagherazzi. Ce qui permet d’enregistrer très facilement la voix. Et ce sont les algorithmes utilisant l’intelligence artificielle qui permettent d’extraire de nombreuses informations à partir d’un enregistrement de la voix de quelques secondes, et de le comparer à des centaines/milliers de voix de patients, permettant in fine de poser un diagnostic. « C’est un formidable outil pour suivre des patients à distance. Notre activité de recherche a d’ailleurs pris une ampleur sans précédent pendant la pandémie de Covid 19. Nous avons monitoré de cette manière la fatigue des patients souffrant de la Covid-19. »
Mille et une pathologies concernées
« Historiquement, ces études sur la voix ont démarré avec les maladies neurodégénératives », rappelle le Dr Fagherazzi. « Car au-delà de la perte de mémoire, la maladie d’Alzheimer et les autres pathologies neurodégénératives sont associées à un affaiblissement des cordes vocales, modifiant la voix des patients. Nous essayons aujourd’hui d’élargir l’approche. Par exemple en évaluant grâce à la voix les symptômes et des effets secondaires liés aux traitements du cancer (fatigue, douleur, anxiété…). Cela permettrait aux médecins de personnaliser le traitement, en fonction des besoins du patient et de son état de santé. Utiliser des biomarqueurs vocaux pour faire un dépistage à grande échelle du diabète a aussi beaucoup de sens, car le diabète est vraiment associé à des signatures vocales très spécifiques, nous l’avons démontré dans nos recherches. Or, 50 % de la population diabétique s’ignore. Proposer un dépistage avec la voix permettrait une prise en charge plus précoce. »
Une place à part dans la médecine du futur
Alors que les déserts médicaux progressent et que les téléconsultations se développent, l’ambition de certains serait d’intégrer une analyse de la voix à des plateformes de télémédecine, pour donner au médecin de plus amples informations sur la santé de son patient. Un peu comme une prise de sang. La méthode a plusieurs avantages pour elle : elle est rapide, non invasive, peu onéreuse.