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L’intelligence artificielle : une révolution pour traiter les pathologies de l’œil

Le diagnostic en ophtalmologie repose en grande partie sur l’imagerie. Les progrès en optique, ainsi que le recours à l’intelligence artificielle — capable d’analyser un cliché et de le comparer immédiatement à des millions d’autres — pourraient être de précieux auxiliaires dans ce domaine. Tour d’horizon de quelques innovations en cours.

L’intelligence artificielle : une révolution pour traiter les pathologies de l’œil

Crédit image : UNSPLASH

Une nouvelle voie d’approche de l’œil

Dans tous les domaines, changer d’angle de vue permet de découvrir des aspects méconnus de la réalité. C’est le choix fait par des chercheurs de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) qui, au sein du Laboratoire de dispositifs photoniques appliquée (LAPD) dirigé par le Pr Christophe Meyer, ont développé une nouvelle approche optique. Cette méthode très innovante permet de détecter des anomalies cellulaires au fond de l’œil, indécelables autrement. Au lieu d’observer la rétine en envoyant de la lumière par la pupille, l’appareil passe par la sclère, c’est-à-dire le blanc de l’œil, ce qui lui permet d’observer la rétine selon un autre axe et notamment de distinguer toutes les couches de la macula, cette zone centrale de la rétine nécessaire à la vision de précision.

Oeil

© Larousse

La technique est capable de détecter des anomalies de structures bien avant les premiers signes de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ; elle permettra donc de réaliser des diagnostics ultra précoces de la maladie. Elle pourrait également contribuer à évaluer l’efficacité de nouveaux traitements préventifs de cette pathologie qui touche 8% de la population en France, principalement des personnes âgées de plus de 65 ans. Cette découverte a fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Nature Photonics¹.

Des intelligences artificielles pour assister les ophtalmologues

Dès les années 2000, des travaux ont été menés pour tenter d’automatiser le diagnostic de certaines lésions ophtalmologiques : microanévrysmes rétiniens (éclatement de vaisseaux sanguins dans la rétine), microhémorragies (saignements dans la partie interne de l’œil), exsudats dans la rétine (infiltration de liquide dans la rétine se déposant dans la macula)… En période de pénurie d’ophtalmologistes, cette automatisation, fondée sur les algorithmes adaptés, serait assurément appréciable.

« Dans le réseau de télémédecine OPHDIAT que nous avons mis en place en Ile de France, la lecture des photographies est réalisée par 6 ophtalmologistes certifiés » écrivait le Pr Pascale Massin en 2019 dans les Cahiers d’Ophtalmologie. « Une automatisation de l’interprétation devrait permettre d’alléger cette charge et d’augmenter les capacités de dépistage ».

Divers projets sont actuellement en cours.

L’intelligence artificielle pour améliorer le diagnostic

Le LATIM, laboratoire de traitement de l’information médicale, issu de l’INSERM, de l’Université de Bretagne occidentale, de l’IMT Atlantique et du CHRU de Brest, travaille sur des algorithmes de détection automatique de la rétinopathie diabétique (OphtAI). La rétinopathie diabétique est une complication du diabète qui se caractérise par des lésions qui touchent les capillaires rétiniens pouvant entrainer des œdèmes rétiniens, des hémorragies et la prolifération de vaisseaux anormaux. L’algorithme permet non seulement de diagnostiquer la maladie mais également de déterminer son niveau de sévérité. Partant de ces travaux, le projet EVIRED (Évaluation intelligente de la rétinopathie diabétique), conduit sous la houlette du Pr Pascale Massin et du Pr Ramin Tadayoni à l’hôpital Lariboisière, va développer un algorithme d’IA capable de prédire l’évolution de la rétinopathie diabétique. L’algorithme sera fondé à la fois sur des données médicales générales du patient et sur des examens spécifiques de la rétine tels que OCT (Tomographie à Cohérence Optique), rétinophotographie… Un travail de fusion de données que seule une IA peut réaliser. « Ce sera la première fois qu’une classification médicale est remplacée par un système expert évolutif permettant de mesurer la sévérité de la maladie et de déterminer ses suites potentielles au cas par cas, selon le profil médical de chaque patient » expliquent les responsables de ce projet. Ce diagnostic par IA permettrait à la fois de traiter sans retard des patients qui actuellement passent entre les mailles du filet mais également d’éviter les traitements inutiles chez d’autres patients. A terme, l’objectif est que le diagnostic soit utilisé largement et que la majorité des opthalmologues puisse en disposer et soient en mesure de s’en servir dans le suivi de ses patients diabétiques chroniques.

L’intelligence artificielle est aussi en mesure d’aider au diagnostic d’autres pathologies de l’œil. Ainsi l’analyse d’une coupe d’OCT B-Scan, outil d’imagerie permettant d’obtenir des coupes horizontales et verticales du fond d’œil, pourra être utilisée pour identifier une DMLA néo-vasculaire et celle d’une rétinophotographie couleur centrée sur le nerf optique pour détecter un glaucome.

L’intelligence artificielle pour améliorer la pose des implants dans la chirurgie de la cataracte

A la Fondation Rothschild, le Dr Damien Gatinel, chef du service de chirurgie réfractive et
Du segment antérieur de l’œil, et le Dr Guillaume Debellemanière, ophtalmologue, ont quant à eux travaillé sur la chirurgie de cataracte. « Quand on pose un implant pour la cataracte, on choisit ce dernier de sorte que le paient ait la meilleure vision possible. » Il faut tenir compte des qualités optiques de l’implant mais aussi des caractéristiques de l’œil du patient, pour améliorer la prédiction de la position qu’occupera l’implant dans la chambre postérieure de l’œil située en arrière de l’iris — De cette position dépend grandement le résultat optique, et la précision requise est de l’ordre du dixième de millimètre.

Plusieurs équipes ont développé des algorithmes adaptés pour prédire la puissance optimale de l’implant oculaire à choisir en fonction de tous ces paramètres, dont la position prédite finale de l’implant dans l’œil. Particularité de l’algorithme conçu à la Fondation Rothschild, il est en open-source, c’est-à-dire que tout praticien peut l’utiliser librement. Autre caractéristique : la qualité d’une IA est très liée à la qualité des données intégrées. « Lors du processus de développement, notre équipe a vérifié manuellement les données relatives à la chirurgie, et nous avons également travaillé avec les données d’autres équipes ayant eu cette démarche. » précise le Dr Debellemanière, ce qui fait de cet algorithme un très bon outil de prédiction. Ces travaux ont été publiés dans la revue scientifique American Journal of Ophtalmology².

Un aberromètre pour améliorer la correction optique des patients

Un autre projet a été développé à la Fondation. Il s’agit d’une intelligence artificielle permettant de mieux choisir la correction optique d’un patient. En pratique, quand on se rend chez l’ophtalmologue, il estime la puissance de l’œil à l’aide d’un auto-réfractomètre qui est un appareil permettant de mesurer les caractéristiques optiques de l’œil et d’évaluer s’il existe un défaut de réfraction, puis il teste divers types de verres pour déterminer avec lequel le patient se sent le plus confortable et obtient une vision nette. Mais les auto-réfractomètres ne mesurent pas toutes les imperfections de l’œil. Certaines d’entre elles ne peuvent être détectées qu’au moyen d’un aberromètre. Cet instrument émet un faisceau infrarouge, qui traverse les différents milieux oculaires. L’aberromètre analyse le rayonnement réfléchi par la rétine et en déduit les différentes « aberrations » dont est porteur l’œil. Dans le cadre de sa thèse de mathématiques appliquées, le Dr Gatinel a commencé il y a plus de dix ans à classifier ces types d’aberrations. Puis, en collaboration avec le Dr Debellemanière, il a mis au point des algorithmes performants de Machine Learning (apprentissage automatique) permettant d’étudier ces aberrations et d’évaluer leur impact sur la correction en lunettes. Aujourd’hui, l’algorithme est capable de prévoir la correction optique optimale. Ce travail, qui est encore de l’ordre de la recherche, a été publié l’année dernière dans la revue scientifique Nature Scientific Report³. A terme, il pourrait devenir un outil de routine simplifiant considérablement la prescription de lunettes et lentilles.

L’intelligence artificielle pour améliorer la précision des mesures par lampe à fente

La lampe à fente est une sorte de microscope extrêmement complexe, muni de diverses optiques, lui permettant d’inspecter toutes les structures de l’œil, aussi bien la surface oculaire (conjonctive, cornée, iris), que les organes internes (rétine, cristallin, vitré…). C’est donc un élément clef du diagnostic en ophtalmologie. Pour rendre l’interprétation des images plus simple et plus fiable, La Forge, startup studio spécialisée dans le développement de produits utilisant l’intelligence artificielle, a collaboré avec le laboratoire de Connaissance et Intelligence Artificielle Distribuée (CIAD) de l’Université de Bourgogne pour mettre au point un algorithme capable d’assister l’équipe en ophtalmologie. Cet algorithme est aujourd’hui exploité par la startup iSlit Médical. Il ne s’agit pas de remplacer l’ophtalmologue, mais seulement de l’assister, insistent les fondateurs d’Islit. Du moins pour le moment. L’objectif ultime serait l’automatisation complète du diagnostic, qui permettrait à des non-spécialistes de réaliser des dépistages ou des « prédiagnostics » via divers supports comme nos smartphones. L’enjeu étant de répondre au problème des déserts médicaux. « Nous avons déjà 180 maladies oculaires modélisées dans notre base de connaissances et nous comptons proposer la base la plus complète » explique Christophe Tricot, cofondateur de la Forge.

La Forge développe aussi une IA visant à choisir l’implant le plus adapté en chirurgie de la cataracte (WeOptimeye). « Nous intégrons d’autres valeurs comme la lecture automatique des biométries, la gestion des stocks d’implants, et tout ce qui peut permettre au chirurgien d’intervenir avec le plus de facilité possible ».

Lampe à fente

© Sanotek

In fine, l’Intelligence Artificielle, est susceptible de révolutionner totalement la pratique ophtalmologique de multiples manières. Elle permet de :
Anticiper le diagnostic de nombreuses pathologies de l’œil (segment antérieur comme segment postérieur)
Évaluer l’évolution probable d’une affection oculaire
Aider le chirurgien dans le choix d’implants et dans leur positionnement
Proposer la meilleure correction possible d’un trouble réfractif.

Sources :
[1] Transscleral optical phase imaging of the human retina
[2] Debellemanière G, Dubois M, Gauvin M, Wallerstein A, Brenner LF, Rampat R, Saad A, Gatinel D. The PEARL-DGS Formula: The Development of an Open-source Machine Learning-based Thick IOL Calculation Formula. Am J Ophthalmol. 2021 May 13;232:58-69. doi: 10.1016/j.ajo.2021.05.004. Epub ahead of print. PMID: 33992611
[3] Using Artificial Intelligence and Novel Polynomials to Predict Subjective Refraction

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