L’optogénétique pour soigner les maladies neurodégénératives de la rétine
Des chercheurs de l’Institut de la Vision ont publié une étude prometteuse sur l’utilisation de l’optogénétique, qui couple génie génétique et optique, pour restaurer la vision de patients atteints de rétinite pigmentaire ou de DMLA.
© John Carnett/Popular Science
L’optogénétique, « avancée de la décennie », selon la revue Science en 2010, n’en finit pas d’offrir des perspectives thérapeutiques. Cette technique, qui utilise la lumière pour intervenir sur le système nerveux, promet de contrôler à l’avenir les troubles obsessionnels, compulsifs (TOC), de retrouver la mémoire perdue après une amnésie, de guérir Parkinson et Alzheimer, et même de rendre la vue.
Les maladies neurodégénératives de la rétine sont en effet en première ligne de l’effort de recherche. Celles-ci, comme la DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l’Âge) ou la rétinite pigmentaire, entraînent la destruction progressive des cellules photoréceptrices de la rétine, sensibles à la lumière, les bâtonnets puis les cônes. Elles conduisent à terme à la cécité. Introduites dans les années 1990, les rétines artificielles ont pu bénéficier à certains patients. Depuis une dizaine d’années, la piste optogénétique est également explorée pour tenter de restaurer la vision chez ces patients.
Une protéine d’algue photosensible
L’optogénétique vise à introduire dans les cellules de la rétine le gène d’une protéine photosensible de la même famille que celle des protéines qui y sont naturellement présentes : les opsines. Cette protéine agira alors comme un « interrupteur » photosensible sous l’effet d’une stimulation lumineuse. Le candidat historique découvert par l’optogénétique est le pigment ChR2 (channel rhodopsine), issu d’une algue. Problème : il réagit à la lumière bleue d’une longueur d’onde de 470 nm, une intensité forte qui peut endommager les cellules de la rétine à terme.
Le pigment Rea ChR (red-activable ChR), est un variant du ChR2, obtenu en 2013 à l’université de Californie. Beaucoup plus prometteur, il est sensible à la lumière rouge jusqu’à 600 nm, sur des longueurs d’onde beaucoup moins dangereuses. Des chercheurs de l’Institut de la Vision (Inserm-CNRS-UPMC) ont montré que cette protéine serait un bon candidat pour restaurer la vision de patients atteints de maladies neurodégénératives de la rétine[1]. « Tout l’enjeu technique est de réussir à faire correctement synthétiser cette protéine issue d’une algue, un organisme très simple, dans la rétine d’un organisme plus complexe comme une souris et à terme un homme », précise le Docteur Deniz Dalkara, qui a conduit l’étude à l’Institut de la Vision[2]. Les chercheurs de son équipe et de celle du Docteur Jens Duebel ont testé ReaChR sur des souris ainsi que sur des rétines post-mortem de macaques et d’humains. « Nous avons opté pour l’introduction de cette opsine dans les cellules ganglionnaires de la rétine, car elles restent vivantes une fois les photorécepteurs et la couche intermédiaire des cellules bipolaires détruits », explique Antoine Chaffiol, co-auteur des travaux. « Cela correspond au stade avancé de la maladie. Par ailleurs, ces cellules présentent l’avantage d’être faciles à atteindre via une injection dans le vitré de l’œil, car elles forment la couche interne de la rétine. L’acte ne présente pas de risque de décollement de la rétine. »
Découvrez en image les travaux menés par Deniz Dalkara et Jens Duebel à l’Institut de la Vision sur l’optogénétique, une stratégie thérapeutique à l’étude pour restaurer la vision. © Universcience
Des lunettes monochromes orangées
L’expérience a prouvé la capacité de ReaChR à restaurer un potentiel électrique dans les cellules ganglionnaires et à produire une réponse neuronale au niveau du cortex visuel lors d’une stimulation lumineuse. Un comportement d’évitement de la lumière a pu être observé chez les souris. Une réponse a également été observée sur les rétines de macaques et d’humains post-mortem.
Des études in vivo chez l’homme sont encore nécessaires et les chercheurs développent déjà des lunettes spéciales qui permettront de stimuler la rétine avec des images monochromes orangées. « La précision sera meilleure qu’avec les implants rétiniens actuels mais la question du ciblage neuronal reste centrale. Ici, on cible des cellules ganglionnaires en sortie de rétine, puisque les cellules primaires photoréceptrices ont été détruites. Il y a forcément une perte importante de signal. La récupération de la vision ne sera pas optimale : nous allons commencer par transformer des aveugles en malvoyants, mais nous pouvons espérer affiner ensuite le ciblage d’autres catégories de cellules pour aller vers une vision naturelle », anticipe Deniz Dalkara.
La recherche est en tout cas multiple en ce domaine, puisque la start-up GenSight Biologics, également en partenariat avec différentes équipes de l’Institut de la Vision, notamment celle du Docteur Dalkara, espère lancer des essais cliniques de phase I/II avant la fin 2017 pour un traitement optogénétique de la rétinite pigmentaire avec une autre opsine sensible au rouge, le gène ChrimSonR.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter en ligne la publication complète de l’étude dans la revue de l’EMBO Molecular Medicine.
[1] A. Sengupta et al. Red-shifted channelrhodopsin stimulation restores light response in blind mice, macaque retina, and human retina. EMBO Molecular Medicine, publication en ligne du 27 septembre 2016.
[2] Unité 968 Inserm/CNRS UMR 7210/Université Pierre et Marie Curie (Institut de la Vision, Paris), en collaboration avec l’hôpital des Quinze-Vingts (Paris) et l’Université de Tasmanie (Australie).