Optogénétique : nouvelle piste pour améliorer les implants cochléaires
Utiliser la lumière plutôt que l’électricité pour activer les neurones auditifs via un implant cochléaire, c’est l’idée révolutionnaire de chercheurs de l’Université de Göttingen, en Allemagne. L’optogénétique, une discipline au croisement de l’optique et de la génétique, permettrait de multiplier le nombre de canaux présents dans ces prothèses et d’améliorer considérablement leur qualité auditive. Les études sur l’animal sont très prometteuses.
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500 000 personnes dans le monde bénéficient d’un implant cochléaire. Ces dispositifs ont métamorphosé la vie des sourds profonds en leur permettant de recouvrer, moyennant une intervention chirurgicale et une rééducation orthophonique adaptée, la capacité à interagir avec les normo-entendants.
Mis au point dans les années 1990, et sans cesse améliorés depuis, les implants cochléaires sont composés de cinq parties :
– d’un contour d’oreille muni d’un microphone, qui capte l’information sonore ;
– d’un processeur, qui transforme l’information sonore en signaux électriques ;
– d’une antenne, placée sur le cuir chevelu, qui transforme ces signaux en ondes électromagnétiques ;
– d’un récepteur interne, placé sous le cuir chevelu, qui capte les ondes et les transforme en impulsions électriques ;
– et d’un porte-électrodes, placé à l’intérieur de la cochlée, qui reçoit les impulsions électriques. Ces électrodes, au nombre de 8 à 22 selon les modèles, stimulent les terminaisons nerveuses de la cochlée.
La cochlée, un piano à 3 500 touches
La qualité de la stimulation demeure néanmoins très perfectible. Jusqu’à peu, les fabricants butaient sur un obstacle apparemment infranchissable : les interférences électriques. En effet, la zone stimulée dans la cochlée est de taille très réduite. Le courant envoyé par les électrodes se dispersant dans les tissus, il n’est pas possible dans un aussi petit espace d’insérer plus de 22 électrodes sans créer des chevauchements de zones stimulées (interférences) qui perturberaient le signal sonore. Or, qui dit 22 électrodes dit 22 fréquences, ce qui est très peu par rapport aux milliers de fréquences qu’une oreille humaine peut normalement percevoir.
Antoine Huet, chercheur en neurosciences auditives à l’Université de Göttingen, compare la cochlée humaine à un piano à 3 500 touches, là où un implant cochléaire de dernière génération n’est qu’un piano à 22 touches. Qui plus est, comme les impulsions électriques stimulent au-delà de la portion de neurones ciblés « c’est comme si on jouait sur ce piano à 22 touches avec des moufles ». Autre limite des implants actuels : « ils ne peuvent activer qu’une seule fréquence à la fois. Pour améliorer la qualité de la stimulation, il faut donc réaliser un très grand nombre de stimulations sur différents canaux en alternance. » Les implants cochléaires actuels ne permettent donc ni de profiter des plaisirs de la musique, ni de capter une conversation dans un environnement un peu bruyant.
La solution de l’optogénétique
L’équipe allemande de l’Institut for Auditory Neuroscience[1], dirigée par le Professeur Tobias Moser et à laquelle le belge Antoine Huet contribue, travaille actuellement à la mise au point d’implants cochléaires recourant à l’optogénétique. En pratique, l’optogénétique consiste à intégrer dans des cellules, généralement des neurones, un gène codant une protéine qui réagit à la lumière, l’opsine. « Naturellement, les neurones auditifs ne sont pas sensibles à la lumière », explique Antoine Huet. « Pour les rendre sensibles, on peut utiliser différentes approches, la principale recourt à un virus inactivé. Celui-ci va rentrer dans les neurones, et les forcer à produire une opsine ». Quand on éclaire le neurone génétiquement modifié, il réagit et génère un influx nerveux. Des premiers essais de thérapie génique fondée sur l’optogénétique ont été réalisés pour traiter des patients souffrant de cécité[2].
Pour les implants cochléaires, le principe est le même. On introduit, à l’aide d’un vecteur viral, le gène de l’opsine dans la cochlée afin qu’il s’intègre dans les neurones auditifs de cet organe. Une fois que les neurones de la cochlée sont génétiquement modifiés, ils réagissent à la lumière. Il faut alors pouvoir apporter de la lumière à l’intérieur de la cochlée pour activer les cellules porteuses du gène. Expérimentalement, cela se fait au moyen de fibres optiques. Cette méthode permet de contourner les cellules ciliées détruites, mais elle nécessite que les neurones auditifs soient toujours fonctionnels.
Les premiers travaux réalisés sur de petits rongeurs ont dépassé la preuve de concept : on peut introduire le gène de l’opsine dans les cellules de la cochlée, puis activer ces dernières par la lumière et ainsi restaurer l’audition[3]. Comme la lumière se focalise beaucoup plus facilement que l’électricité, les interférences sont réduites : on peut « allumer » une cellule sans stimuler sa voisine.
Ces premiers travaux ont été réalisés avec un canal de stimulation unique, et donc entraînant la stimulation d’une seule fréquence. Les chercheurs travaillent désormais à la mise en place d’un dispositif comptant 120 canaux et permettant de stimuler autant de fréquences. On passerait ainsi d’un piano à 22 touches à un piano à 120, tout en évitant les interférences.
[1] Institute for Auditory Neuroscience & InnerEarLab (Georg-August-Universität Göttingen)
[2] Retrouvez notre article d’avril 2017 sur le sujet de l’optogénétique: http://observatoire-groupeoptic2000.fr/prospectives/veille-innovations-et-sante/loptogenetique-pour-soigner-les-maladies-neurodegeneratives-de-la-retine/
[3] Christian Wrobel, Alexander Dieter, Antoine Huet, Daniel Keppeler, Carlos J. Duque-Afonso, Christian Vogl, Gerhard Hoch, Marcus Jeschke and Tobias Moser Optogenetic stimulation of cochlear neurons activates the auditory pathway and restores auditory-driven behavior in deaf adult gerbils. Science Translational Medicine 11 Jul 2018; Vol. 10, Issue 449