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Stimuler le cerveau par l’optogénétique pour retrouver la vision

L’Institut de la Vision dirige un projet d’envergure pour stimuler le cerveau de patients dont le nerf optique a été dégradé suite à différentes pathologies. L’idée, faire des neurones du cortex visuel des photorécepteurs grâce à une interface cerveau-machine, afin de recréer des images directement dans le cerveau.

Image d'un cerveau

©NosUA

Pourrait-on se passer de l’œil pour voir ? L’idée est loin d’être anecdotique pour des patients atteints de traumatismes oculaires, d’affections rétiniennes telles que le glaucome ou la rétinopathie diabétique, ou de neuropathies optiques. Chez ces patients, les cellules ganglionnaires de la rétine, qui intègrent les informations visuelles depuis les photorécepteurs de la rétine et les transmettent par le nerf optique aux centres visuels supérieurs, dégénèrent. Or, sans information visuelle venant de l’extérieur, la cécité est inéluctable.

Des chercheurs d’un large consortium international, comprenant entre autres l’Institut de la Vision (Inserm, CNRS, Sorbonne Université), l’université de Stanford, le CEA et diverses entreprises telles que GenSightBiologics, Chronocam et Inscopix, ont monté le projet CorticalSight, en partie financé par l’agence du département de la défense des États-Unis chargée de la recherche et du développement de nouvelles technologies (Defense Advanced ResearchProjects Agency ou DARPA). CorticalSight est un projet couplant l’acquisition d’images en temps réel et l’optogénétique, soit la stimulation de neurones modifiés génétiquement pour réagir à un signal lumineux.

« La grande nouveauté du projet est sa cible : contrairement aux thérapies géniques, et à l’optogénétique sur la rétine, deux autres projets de l’Institut de la Vision, de GenSight et d’autres, ici nous ciblons des patients qui sont à un stade avancé de leurs maladies, qui n’ont plus aucun lien œil-cerveau. Leur nerf optique a complètement disparu, il est impossible d’espérer recréer la vision à partir de l’œil », explique le docteur Serge Picaud, qui mène les recherches sur la partie optogénétique du projet au sein de l’Institut de la Vision. Dans cette optique, il existe des essais d’implants cérébraux visant à stimuler électriquement les neurones pour obtenir une image mentale. « Le problème de cette approche est que les images recréées sont très rudimentaires et les électrodes implantées sujettes à l’engainement et aux rejets. Sans parler des risques de dommages aux tissus et d’infections », complète le spécialiste.

Une caméra et une algue

De fait, les chercheurs du projet CorticalSight misent sur une autre approche, déjà développée par des équipes de l’Institut de la Vision et par GenSight sur la rétine, l’optogénétique, mais cette fois-ci, directement sur des cellules neuronales cérébrales. Le système combinera plusieurs dispositifs : une caméra haute résolution pour la capture intelligente d’images de l’environnement via des lunettes, couplée à un boitier externe qui codera les informations visuelles afin qu’elles soient transformées en signal lumineux par une matrice LED. « Les impulsions lumineuses seront envoyées à des réseaux de neurones bien précis dans le cerveau, à une profondeur de plusieurs centaines de micromètres. Ceux-ci auront été préalablement génétiquement modifiés pour exprimer une protéine d’algue, une opsine, leur permettant de réagir comme des photorécepteurs face à un signal lumineux. Le couplage des deux dispositifs permettra donc d’activer directement les neurones du cortex visuel et de laisser le cerveau recréer une image mentale de l’environnement suite à cette stimulation. La résolution espérée dépasse largement celle obtenue avec des implants cérébraux, puisqu’elle devrait être cellulaire », détaille le Dr. Picaud.

Schéma du dispositif CorticalSight

©Les Échos/Inserm

Dans les faits, la technologie pourrait s’inspirer de celle développée par GenSight, actuellement entrée en phase I-II des essais cliniques. « C’est d’ailleurs toute la force de notre partenariat avec GenSight, ils ont une vraie expérience de transfert clinique » ajoute le docteur. D’où également les partenariats avec Chronocam, chargé de développer une caméra encore plus sensible que celle utilisée dans le projet rétinien de GenSight et avec le CEA, spécialiste des LED et de l’encapsulation de dispositifs embarqués sur l’homme.

Innocuité et modularité

Pour le moment, le projet aborde sa phase préparatoire. « Nous devons trouver une façon vraiment sélective d’exprimer la protéine photosensible au sein des réseaux de neurones d’intérêt dans le cortex visuel, déterminer quel est le meilleur signal et sous quelle forme l’amener, c’est-à-dire quel pattern lumineux dessiner par la matrice de LED », détaille le Dr. Picaud. Le projet implique un important travail algorithmique, et une première étape pré-clinique chez l’animal sera nécessaire pour montrer qu’il est possible de prendre optiquement le contrôle de l’activité de certaines zones du cerveau pour restaurer la vision sans que les photorécepteurs et la rétine aient été activés. Les chercheurs espèrent des essais cliniques chez l’homme d’ici quatre ans. « L’intérêt du système réside en premier lieu dans sa probable innocuité : le dispositif est beaucoup moins invasif qu’un implant, non toxique et le transgène neuronal devrait être stable. Des thérapies géniques sont d’ailleurs déjà à l’étude directement dans le cerveau pour soigner la maladie de Parkinson, ce genre de technique devrait donc se développer. En second lieu, notre projet est modulable, puisqu’il est possible d’imaginer pallier d’autres sens qui seraient endommagés, comme l’audition, la locomotion ou la parole », conclut le docteur.

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