Un nouveau prototype d’œil bionique issu de l’impression 3D
Des chercheurs de l’université du Minnesota ont réussi à imprimer en 3D des photodiodes sur une surface hémisphérique, dans l’idée de développer un œil bionique. Serge Picaud, directeur de recherche à l’Institut de la Vision, nous apporte son éclairage sur cette technique intéressante, moins avancée que les implants utilisant une caméra.
©Université du Minnesota
Le groupe de recherche du Professeur Michael McAlpine, de l’université du Minnesota, a réalisé en 2018 un tour de force technique : imprimer sur des surfaces hémisphériques de verre des photodétecteurs polymères grâce à une imprimante 3D, créant ainsi un dispositif optoélectrique, première étape vers le développement d’un œil bionique. Ces prototypes s’inscrivent dans tout un courant de recherche et développement actuel, qui entend créer ce genre de prothèses afin de rendre une perception visuelle minimale à des personnes aveugles ou souffrant de déficience visuelle avancée.
L’équipe a donc utilisé une imprimante 3D capable d’extruder une encre à base de nanoparticules d’argent sur un dôme en verre hémisphérique, dont la taille et la forme sont similaires à ceux de l’arrière d’un œil humain. Cette encre a séché rapidement sur la surface, permettant ensuite d’y imprimer un peu moins de 20 photodiodes, composées de matériaux polymères semi-conducteurs, le tout en une petite heure. Ces photodiodes convertissent la lumière en électricité. « À ce jour, le dispositif a une efficacité de 25 % dans la conversion de la lumière en électricité », a noté le Pr McAlpine. « Il reste encore un long chemin à parcourir pour imprimer de manière fiable des composés électroniques actifs ». Bien que prometteuse, la prothèse n’est pas fonctionnelle, elle a juste démontré une capacité à convertir la lumière en électricité.
D’autres dispositifs plus avancés
En réalité l’œil bionique existe déjà depuis une dizaine d’années, plusieurs entreprises travaillent même sur le sujet. C’est le cas de Second Sight, avec la prothèse Argus II, déjà implantée chez une vingtaine de patients en France par opération chirurgicale, et remboursée par la Sécurité Sociale. Elle est indiquée dans les cas de rétinite pigmentaire, une dégénérescence de la rétine qui entraîne à terme la cécité. Ce dispositif inclut des lunettes intégrant une caméra vidéo miniature, un boitier électronique et une puce qui comporte 60 électrodes qui vont directement stimuler le nerf optique. Il permet de retrouver une vision sommaire des contours, des formes et des contrastes, après une période de rééducation pour que le cerveau apprenne à interpréter les motifs lumineux créés. Une autre société, française cette fois, Pixium Vision, développe en ce moment la prothèse Prima, indiquée dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), qui couple une caméra à 378 électrodes placées en fond d’œil. « Cinq patients ont déjà été implantés, et un de ceux-ci a récupéré une acuité visuelle de 20/460. Il y a encore une bonne marge de progression, mais il est possible d’espérer pour bientôt repasser au-dessus du seuil de cécité (20/400) avec cette prothèse. À mon sens, Prima est actuellement la meilleure prothèse disponible », juge Serge Picaud, lui-même impliqué dans le projet Prima.
Prothèse versus lunettes ?
©Université du Minnesota
Différence de taille avec ces systèmes existants, l’« œil bionique » du Minnesota ne nécessiterait pas de placer une caméra sur des lunettes, puisque les photodiodes capteraient directement la lumière au niveau d’une prothèse sur l’œil. Ceci impliquerait donc de réussir à imprimer ces photodiodes sur une surface incurvée. « C’est vrai qu’essayer d’obtenir une prothèse courbe est une question qui occupe beaucoup les chercheurs depuis longtemps déjà », note le Professeur Picaud. « Cependant, on peut légitimement se demander si ce dispositif est vraiment la solution. » En effet, les photodiodes sont d’une grande taille et peu nombreuses, cela donnerait peu de pixels pour une image qui couvrirait tout l’œil et qui serait donc de mauvaise qualité.
À ce stade, il faut bien noter que le nouveau dispositif n’a pas fait l’objet de tests sur l’animal et l’homme. « Il ne s’agit pour le moment que d’un travail théorique d’un électronicien, il serait prématuré de crier à la révolution », estime le spécialiste français. « Des systèmes bien plus enthousiasmants sont en cours de développement, comme des systèmes organiques photosensibles obtenus à partir de polymères souples qui se conforment à la courbure de l’œil. Ce travail est mené en Italie actuellement sur des rongeurs et devrait bientôt être testé sur un modèle plus proche de l’homme, même s’il pose des questions de stabilité avec des soucis de perméabilité à l’eau ».
Du côté du Minnesota, le Pr. McAlpine reconnait que son expérience démontre surtout pour le moment que les semi-conducteurs imprimés en 3D pourraient rivaliser avec ceux provenant d’une micro-fabrication. À la différence de ces derniers, les photodiodes de l’équipe du Pr. McAlpine peuvent être imprimés directement sur une surface courbe. L’équipe vise à améliorer son procédé en tentant de le reproduire sur un matériau hémisphérique souple implantable dans l’œil et surtout en densifiant le réseau de photodiodes afin d’augmenter encore le taux de conversion de la lumière. Des années de recherche sont encore nécessaires avant d’espérer obtenir un œil bionique chez l’homme avec ce dispositif. Cette prouesse technique relance néanmoins un espoir pour les aveugles de retrouver une vision de fonctionnement « naturel », sans traitement vidéo.