Glaucome : un test pour détecter la mort cellulaire précoce
Le glaucome, caractérisé par une atteinte de la rétine et du nerf optique, représente la deuxième cause de cécité dans le monde. Une étude récente a montré qu’il est possible d’observer la mort cellulaire dans la rétine à un stade précoce de la maladie. Une avancée encore préliminaire que ses auteurs souhaitent voir un jour appliquée au diagnostic précoce.
Le glaucome est une maladie grave et multifactorielle de la rétine, qui touche plus de 66 millions de personnes dans le monde[1] et dont la prévalence augmente avec l’âge[2]. Elle est caractérisée par une dégénérescence des cellules ganglionnaires de la rétine et de leurs prolongements dans le nerf optique, accompagnée d’altérations du champ visuel. Plusieurs types de glaucomes ont été répertoriés :
- le glaucome par fermeture de l’angle ou « glaucome aigu », qui représente une urgence ophtalmologique,
- le glaucome à pression normale,
- les glaucomes secondaires ou congénitaux,
- le glaucome primitif à angle ouvert, le plus fréquent, d’évolution lente.
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Le glaucome primitif à angle ouvert est dû à une gêne à l’évacuation de l’humeur aqueuse vers les espaces extra-oculaires. L’atteinte reste asymptomatique jusqu’à des stades avancés, alors que les pertes visuelles sont déjà irrémédiables. La perte de vue ne peut alors pas être inversée, et plus de 6,6 millions de patients dans le monde sont atteints de cécité suite au développement d’un glaucome[3]. Dans un article publié en avril 2017 dans Brain, des équipes de l’Institut d’ophtalmologie de l’Université catholique de Louvain, de l’Imperial College et de l’University College de Londres, ont décrit les résultats d’une étude clinique de phase I d’une nouvelle approche diagnostique. Celle-ci est fondée sur la détection précoce en temps réel, de cellules ganglionnaires de la rétine uniques en état de mort cellulaire (ou « apoptose »), directement sur la rétine[4].
Repérer les cellules en apoptose grâce à un marqueur fluorescent
Les auteurs de l’étude ont injecté par intraveineuse un marqueur fluorescent de l’apoptose, l’annexine-5, pour repérer les cellules apoptotiques dans la rétine, témoins d’une atteinte précoce dans le développement du glaucome, avant l’apparition des premiers symptômes. Huit patients glaucomateux en phase d’évolution de la maladie et huit patients contrôles ont ainsi reçu des injections de ce marqueur et leur rétine a été observée de manière non invasive grâce à une technique d’observation laser microscopique pendant 13 mois. Le procédé a été nommé « DARC », pour « Detection of Apoptosing Retinal Cells ». En plus de l’intérêt d’étudier la sécurité, la tolérance et la pharmacocinétique de l’annexine-5, l’étude clinique de phase I a démontré pour la première fois qu’il est possible de visualiser en temps réel l’apoptose cellulaire in vivo directement sur la rétine chez l’homme.
Dans le détail, le comptage DARC a montré un nombre de cellules apoptotiques plus élevé chez les patients atteints de glaucome et même plus précisément chez ceux qui montrent ensuite une progression plus intense de la maladie. Pour les auteurs, cette preuve de concept suggère que le niveau d’apoptose serait prédictif de l’intensité de la maladie et donc que le test DARC pourrait potentiellement servir à la fois de test précoce pour éviter les pertes de chance dans la mise en place d’un traitement, voire de test compagnon lors de la conduite de ce traitement, afin d’en suivre l’efficacité.
Une étude préliminaire à confirmer
Dans le même numéro de la revue Brain, deux chercheurs de Munich soulignent l’importance de ce travail, notant qu’il n’était pas trivial de montrer un marquage cellulaire dans la rétine après une injection intraveineuse. Selon eux, l’étude est prometteuse pour une atteinte comme le glaucome qui entraîne une perte de l’ordre de 70 à 90 cellules par jour. Ils proposent de coupler cette approche avec l’un des examens de référence actuel pour détecter la maladie avant l’apparition des symptômes : l’observation de la rétine par tomographie par cohérence optique (OCT). L’OCT permet de visualiser de manière non invasive des coupes de macula, avec des images proches de l’aspect histologique.
Cependant, le Docteur Yves Lachkar, chef de service de l’Institut du glaucome à l’hôpital Saint Joseph à Paris, se montre plus prudent. « Il s’agit d’une étude menée à un niveau qui est encore fondamental, loin de la pratique clinique. Même si l’étude a montré une globale innocuité, des questions se posent, notamment peut-on injecter à intervalles répétés un tel produit à des malades, surtout pendant un traitement ? », tempère-t-il. L’étude reste bien entendu très préliminaire et devra se poursuivre par d’autres essais, de phase II notamment, qui devraient débuter prochainement, avant toute initiative de transfert en clinique.
Mettre l’accent sur le dépistage
« Selon moi, cette approche n’a pas encore de visée diagnostique aujourd’hui ou à court-moyen terme. Elle n’apporte pas encore de bénéfice par rapport à l’OCT qui n’est pas invasif non plus », estime le Dr. Lachkar. Le spécialiste rappelle que tout l’enjeu actuel n’est pas de détecter « hyper-précocement », plus tôt que ne pourrait le faire l’OCT, mais surtout pas « trop tard », pour éviter l’irréversibilité de la maladie. « Le vrai problème est de santé publique, il est de faire comprendre aux gens qu’il est important d’aller se faire dépister régulièrement chez son ophtalmologue. Si la maladie est diagnostiquée assez tôt, et c’est possible avec les techniques actuelles pourvu qu’on se rende en consultation, il est possible de garder la vue jusqu’à la fin de sa vie, même si on ne guérit pas d’un glaucome ». En pratique, les personnes à risque, avec des cas de glaucome dans la famille, doivent se faire tester le plus tôt possible et tous les 2 ans. Pour les autres, le dépistage est mené par l’ophtalmologue à chaque consultation pour des lunettes et une visite tous les 3 ans s’impose, même lorsqu’on n’en porte pas, à partir de 45 ans environ.
[1] Quigley HA. Number of people with glaucoma worldwide. Br J Ophthalmol, 1996; 80: 389-93.
[2] M.-A. Villain. Epidémiologie du glaucome. Journal Français d’Ophtalmologie. Vol 28, N° HS2 – juin 2005. pp. 9-12. Doi : JFO-06-2005-28-HS2-0181-5512-101019-200506342. En ligne : http://www.em-consulte.com/en/article/113120
[3] Quigley HA. Number of people with glaucoma worldwide. Br J Ophthalmol, 1996; 80: 389-93.
[4] Cordeiro MF, Normando EM, Cardoso MJ, et al. Real-time imaging of single neuronal cell apoptosis in patients with glaucoma. Brain. 2017;140(6):1757-1767. doi:10.1093/brain/awx088. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5445254/