Une bonne audition, élément clé dans la prévention des démences
Selon le rapport 2020 de la commission du Lancet, le journal médical de référence, « Prévention, interventions et soins de la démence », 40% des cas de démence pourraient être évités ou retardés [1] en agissant sur 12 facteurs de risque [2]. Parmi ces facteurs, la perte d’audition entre 45 et 65 ans représente 8% des cas. La correction de la perte auditive pourrait donc être un levier majeur de prévention des démences.
Selon le rapport 2020 de la commission du Lancet, “Prévention, interventions et soins de la démence”, 40 % des cas de démence pourraient être évités ou retardés [1] en agissant sur 12 facteurs de risques [2]. Parmi ces facteurs, la perte d’audition entre 45 et 65 ans représente 8% des cas. La correction de la perte auditive pourrait donc être un levier majeur de prévention de démences.
La presbyacousie, une diminution évolutive de l’audition liée à l’âge qui concerne 30 % des personnes de plus de 65 ans et presque la moitié des plus de 75 ans, commence à se faire ressentir dès l’âge de 50-55 ans. Ce trouble de l’audition est lié à la dégénérescence naturelle des cellules ciliées de la cochlée dans l’oreille interne, qui survient dès 30 ans. Ces cellules captent les vibrations sonores et les transforment en signal électrique transmis au cerveau par le nerf auditif.
Schéma explicatif du fonctionnement de l’oreille. Source : JNA association (Journée nationale de l’audition). https://www.nosoreilles-onytient.org/decouvrir-mon-oreille/la-coupe-de-mon-oreille.html
Elles ne sont pas renouvelables. La gêne parait d’abord légère, et pour cause la perte d’audition qui s’ensuit est très progressive, de l’ordre de 1dB par an. Les premières difficultés se font ressentir pour suivre une conversation dans un environnement bruyant. Faut-il pour autant minimiser les conséquences de cette perte d’audition ? Non, puisqu’elle se trouve associée à un risque augmenté de développer une démence. Plus important encore, le rapport 2020 de la commission du Lancet a révélé qu’une perte auditive survenant à l’âge moyen de la vie, défini entre 45 et 65 ans constitue le facteur de risque principal identifié à ce jour dans le développement d’une future démence.
Hélène Amieva est neuropsychologue, professeure de psychogérontologie et directrice d’une équipe de recherche INSERM de santé publique, épidémiologie et biostatistique de l’Université de Bordeaux. Elle rappelle que The Lancet, a publié en 2017 la première méta-analyse exhaustive de la littérature scientifique sur le lien entre perte auditive et démence. « Les experts du Lancet ont procédé à une sélection rigoureuse des études pertinentes, avec un suivi assez long des personnes, et à des calculs de part de responsabilité attribuable pour chaque facteur modifiable : niveau d’éducation, perte d’audition, hypertension, dépression, inactivité physique, etc… Ils ont confirmé que la perte d’audition est le principal facteur de risque modifiable dans les démences, avec une responsabilité dans 8 % des cas de démences. Il s’agissait de la première synthèse d’une aussi grande quantité de données de qualité, mais le résultat était attendu », insiste Hélène Amieva. Elle-même a mené des études de grande ampleur dans ce domaine, dont l’une sur plus de 25 ans et plus de 3000 personnes au sein de la cohorte PAQUID publiée en 2018 [3], qui pointe une association forte entre les problèmes d’audition et le développement de démences. La commission du Lancet a montré en 2017 qu’une perte auditive significative (plus de 25dB) multiplie le risque de démence par 2 environ. Dans sa revue de littérature actualisée en 2020, The Lancet précise que chaque tranche de perte auditive de 10dB est associée à un sur-risque d’environ 30 % [4]. Une autre étude, menée en 2019 et citée dans cette revue, montre même qu’une perte auditive légère (en dessous de 25dB) est significativement corrélée à une moins bonne cognition [5].
Un facteur de risque significatif après 20 ans de perte auditive
L’association entre perte d’audition et développement futur de démences devient significative à partir de 55 ans, âge des débuts des symptômes de la presbyacousie. La forte prévalence dans la population de cette condition explique en partie un effet plus important que celui des autres facteurs de risque identifiés. « Attention cependant, cela ne signifie pas qu’une personne qui montre des signes de presbyacousie à 55 ans va développer une démence. Il ne s’agit pas d’un facteur causal direct et le risque est dilué dans le temps : il ne devient significatif qu’au bout de 20 ans, ce que montrait notre étude », pointe Hélène Amieva. Le mécanisme entre perte de l’audition et démence n’est d’ailleurs pas établi. Plusieurs hypothèses non exclusives peuvent être avancées, la perte auditive provoquerait des pertes neurodégénératives dans le cerveau notamment dans le lobe temporal qui est le centre de l’audition, de la mémoire et des émotions. Des effets indirects peuvent aussi être avancés, car la perte d’audition conduit à plus d’isolement et moins de stimulation des personnes, qui sont aussi des facteurs de risque de développement de démences. Enfin, la perte auditive pourrait n’être que le marqueur d’un vieillissement biologique, et notamment microvasculaire, plus avancé, également facteur de risque de démences.
Les aides auditives probablement majeures dans la prévention
La synthèse du Lancet le pointe, la preuve expérimentale d’un effet protecteur des aides auditives contre les démences reste encore à établir. Cependant, les études de suivi sur des temps longs s’accumulent pour montrer qu’une part non négligeable des démences pourrait être évitée en surveillant son audition et en s’appareillant au plus tôt. « Notre étude de 2018 montre que les personnes qui présentent un trouble de l’audition ont un risque augmenté de démence, alors que ce sur-risque n’est pas présent si les personnes sont appareillées », illustre Hélène Amieva. Une étude citée dans The Lancet montre même que l’usage d’aides auditives serait le facteur le plus protecteur contre les démences [6]. Des études fondées sur des mesures par audiogramme de l’audition et non sur de simples déclarations sont encore nécessaires pour valider cet effet protecteur. Un vaste essai américain, dont les résultats sont attendus en 2022, suit ainsi plus de 800 sujets appareillés ou non. « En tout état de cause, la publication du Lancet permet déjà de prioriser les facteurs de risque. La génétique compte, mais les facteurs modifiables ne sont pas mineurs et parmi ceux-ci l’audition joue un rôle déterminant, bien mieux établi que des facteurs nouveaux mentionnés par la commission, mais qui font encore débat, comme la consommation d’alcool, les traumatismes crâniens ou la pollution de l’air », conclut la spécialiste française. La commission du Lancet encourage d’ailleurs désormais la correction de la perte auditive par des aides auditives, ainsi que la nécessaire prévention contre les traumatismes auditifs à tout âge de la vie.
[1] : G Livingstone et al., Dementia prevention, intervention and care : 2020 report of The Lancet Commission. Lancet 2020 ; 396 :413-46.
[2] : Jeunesse (moins de 40 ans) : niveau d’éducation (7%) ; Age moyen (45-65 ans) : perte auditive (8%), traumatisme crânien (3%), hypertension (2%), alcool (plus de 21 unités par semaine) (1%), obésité (1%) ; Age avancé (plus de 65 ans) : tabagisme (5%), dépression (4%), isolement social (4%), inactivité physique (2%), pollution de l’air (2%), diabète (1%).
[3] : H Amieva et al., Death, depression, disabilityand dementia associated with self-reported hearing problem : a 25-year study. J Gerontal A Biol Sci Med Sci 2018(10) : 1383-1389.
[4] : DG Loughrey et al., Association of age-related hearing loss with cognitive function, cognitive impairment, and dementia : a systematic review and meta-analysis. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg 2018 ; 144 : 155-26.
[5] : JS Golub et al., Association of subclinical hearing loss with cognitive performance. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg 2019 146 : 57-67.
[6] : A Maharani et al., Longitudinal relationship between hearing aid use and cognitive function in older americans. J Am Geriatr Soc 2018 ; 66 : 1130-36.