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Les acouphènes, la douleur invisible d’un bruit fantôme

Les acouphènes sont des bruits perçus au sein de l’oreille et parfois même au sein des deux oreilles ou dans la tête et ressentis en l’absence de stimulation sonore extérieure. Liés le plus souvent à une perte auditive, ils handicapent environ 10 % de la population.[1] À ce jour, aucune thérapie n’a démontré une efficacité parfaite. La meilleure solution pour lutter contre ces sons invalidants reste encore la prévention.

©BSIP

« Sans bruit j’n’entends qu’mon oreille. Et le silence rend plus fort mes acouphènes » confesse Angèle dans son nouveau titre « J’entends », sorti en novembre 2019. La chanteuse déclare dans Paris Match « souffrir beaucoup d’acouphènes ». S’ils touchent fréquemment les musiciens exposés à des volumes sonores trop importants sur de longues durées, les acouphènes concernent plus globalement un adulte sur dix en France, avec parfois des conséquences importantes sur leur quotidien. « Les acouphènes sont considérés comme vraiment invalidants dans 1 % des cas et empêchent les personnes qui en souffrent de se concentrer, de travailler, et sont associés à des risques de dépression », expose le Professeur Jean-Luc Puel, de l’Institut des neurosciences de Montpellier. 

Qu’est-ce qu’un acouphène ? 

Ce terme recouvre des réalités différentes. Certains acouphènes, représentant 5 % de tous les acouphènes, sont dits « objectifs »[2]. Ce sont des bruits générés par l’organisme et perçus par l’oreille de la personne qui en souffre. Ces sons apparaissent souvent comme pulsatifs et synchrones avec les battements de cœur, ils peuvent aussi ressembler à un cliquetis de montre ou à une sensation de craquement. Ils ont pour origine une anomalie des vaisseaux passant à proximité de l’oreille interne, des contractions musculaires anormales ou encore un défaut des articulations de la mâchoire. Ils sont relativement faciles à objectiver et à traiter.

Au contraire, les acouphènes « subjectifs », de loin les plus fréquents, adviennent sans aucun stimulus externe et sans cause interne facilement identifiable. Ils ressemblent à des sifflements, des grésillements ou des bourdonnements dans une ou les deux oreilles et peuvent être continus ou intermittents, transitoires ou persistants, et s’installer durablement pendant des mois, voire des années.

Une pathologie souvent associée à des troubles de l’audition

Dans environ 80 % des cas, les personnes souffrant d’acouphènes présentent des troubles de l’audition[2], même si ces derniers n’en sont pas forcément la cause. Les acouphènes peuvent également être la conséquence d’un traumatisme suite à une opération chirurgicale, d’un problème vasculaire, d’une inflammation suite à une otite moyenne ou de la prise de médicaments ototoxiques (tels que le cisplatine dans les traitements des cancers, des diurétiques ou des antipaludéens), ou voire même être liés à la présence d’un bouchon de cérumen dans le conduit auditif. « Le plus gros pourvoyeur d’acouphènes reste néanmois l’âge, avec une majorité de patients dans la tranche 50-70 ans. Le risque augmente avec l’âge et la presbyacousie, la perte auditive due au vieillissement, atteignant un pic vers 65 ans », précise le Professeur Puel.

©Klaus Vedfelt

Cependant, le risque augmente aussi avec l’exposition au bruit et la survenue de traumatismes sonores aigus, notamment chez les plus jeunes. Ainsi, selon l’étude IFOP et JNA de 2018, 56 % des 15-17 ans et 49 % des 18-24 ans disaient ressentir ou avoir déjà ressenti des acouphènes. Pour la moitié d’entre eux, il s’agissait de phénomènes transitoires, sans doute liés à un traumatisme sonore. « Nous avons mené une étude sur de jeunes DJ d’une moyenne d’âge de 26 ans, travaillant dans le milieu depuis 6 ans, 3 nuits par semaine, soit 21 heures d’exposition hebdomadaire à 100 dB : 75 % d’entre eux présentaient des acouphènes ! » s’inquiète le Professeur[3].

Une compensation cérébrale

Les lésions auditives résultant d’un traumatisme sonore dérèglent toute la mécanique du système auditif, depuis l’oreille interne jusqu’au cerveau. Après un choc sonore, les synapses, ces points de contact entre les cellules ciliées de l’oreille interne et le nerf auditif, vont augmenter leur activité spontanée, ce qui va être interprété au niveau central comme un son continu ou rythmé. Cependant, le mécanisme responsable des acouphènes est loin de se limiter à l’oreille. On observe ainsi des acouphènes après section du nerf auditif : l’acouphène peut alors se « centraliser », c’est-à-dire prendre sa source directement dans le cerveau. « Au niveau central, le cerveau essaie aussi de compenser la déficience auditive, en amplifiant les sons qui lui arrivent », décrypte le Professeur Puel. Ce fonctionnement anormal du cortex auditif, privé des informations extérieures qu’il reçoit normalement, contribue donc à créer des acouphènes, tout comme le cerveau peut aussi recréer la sensation d’un membre fantôme après une amputation.

Des implications psychologiques

Des études d’imagerie cérébrale fonctionnant par IRM ont montré un fonctionnement anormal du cortex auditif chez des patients acouphéniques, mais de manière plus étonnante, les anomalies observées ne se limitent pas à cette zone. Les zones impliquées dans les émotions, la mémoire ou la conscience sont aussi perturbées. Tous ces réseaux sont potentiellement en jeu dans les mécanismes de création et de perception des acouphènes. « En effet, si les acouphènes sévères peuvent avoir des retentissements sur l’état psychologique des patients, à l’inverse cet état psychologique joue aussi dans leur tolérabilité. Cela a été montré chez l’animal : les plus anxieux ressentent deux fois plus les acouphènes. Cela ne veut pas dire que l’anxiété crée les acouphènes mais peut les amplifier ou les rendre insupportables », illustre le Professeur Puel. « On voit ainsi des personnes ayant des acouphènes passés inaperçus longtemps après un traumatisme sonore et qui d’un coup, suite à un évènement stressant ou malheureux, vont véritablement les percevoir, en avoir davantage conscience et de manière durable ».

Prévention et consultation, deux réflexes essentiels

Le principal levier de lutte contre les acouphènes reste la prévention. Même si des pistes de traitements innovants sont explorées en recherche, en complément de techniques déjà pratiquées, elles ne peuvent malheureusement pas faire totalement disparaitre la gêne. Un des objectifs de la stratégie nationale de santé 2018-2022 vise d’ailleurs à réduire l’exposition de la population au bruit, notamment au sein des entreprises, des transports, des écoles, et surtout à prévenir les mésusages d’écoute de musique amplifiée. L’écoute fréquente et intensive de musique amplifiée avec des écouteurs concerne ¼ des jeunes de 15-19 ans[4] et peut entrainer une baisse de l’audition voire même des lésions précoces de l’oreille interne, à l’origine de certains acouphènes. Un décret paru en 2017 et applicable depuis octobre 2018 a abaissé le volume sonore autorisé en salles de concert de 105 à 102 décibels A (dBA). Pourtant, l’oreille interne peut subir des dommages bien en-deçà d’un tel volume sonore. « Au-delà de 90 dB, il faut limiter l’exposition à 2 heures, et au-delà de 100 dB à 15 minutes, ce qui est déjà prévu dans la législation du travail. Les bouchons d’oreille, tout comme un « repos cochléaire » fréquent, sont donc essentiels lors de la pratique de loisirs musicaux », rappelle le Professeur Puel. 

Immédiatement après une exposition à un bruit fort, ou à la moindre suspicion de dommages, comme des acouphènes intermittents, la consultation d’un professionnel s’impose. « Il ne faut pas attendre que le problème s’enkyste », plaide le spécialiste. Des traitements d’urgence à base de corticoïdes existent pour tenter de limiter les dommages aux cellules ciliées et donc les acouphènes, mais seulement s’ils sont administrés dans les quelques heures suivant un traumatisme sonore. En France, seul un tiers des personnes ressentant des acouphènes en a déjà parlé à un professionnel de santé[5].

 

[1] Inserm. https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/acouphenes
[2] Assurance maladie. https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/acouphenes/definition-causes-consequences-acouphenes
[3] The risks of amplified music for disc-jockeys working in night-clubs Ear and Hearing 2009 Apr;30(2):291-3. doi: 10.1097/AUD.0b013e31819769fc. http://www.college-nat-audio.fr/cdlapdf/2015-3.pdf
[4] Santé publique France. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2016/2-3/2016_2-3_3.html
[5] Enquête IFOP – JNA 2018. Les phénomènes des acouphènes et de l’hyperacousie. https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-les-phenomenes-des-acouphenes-et-de-lhyperacousie/

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