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L’alcool, un danger pour l’œil et l’oreille ?

L’ivresse et l’alcoolisme chronique entrainent des perturbations majeures de la vision, de l’audition et de l’équilibre, ainsi que des effets durables sur le système sensoriel. Tour d’horizon des effets néfastes de l’alcool sur l’œil et l’oreille à court et long terme.

alcool danger

Crédit image : Unsplash

Nous avons tous en mémoire les images du capitaine Haddock ivre et titubant, voyant rouge et voyant double. L’ivresse provoque en effet de multiples illusions optiques, la plus connue étant la diplopie (vision dédoublée). En temps normal, nos deux yeux nous renvoient chacun une image différente, que notre cerveau analyse et fusionne de manière à émettre une information cohérente. Sous l’effet de l’alcool, cette fusion n’est plus réalisée et l’on voit double ou flou. Si la diplopie est l’effet le plus connu de l’ivresse, ce n’est pas le seul ! Tout d’abord les muscles ciliaires, qui contrôlent la taille de la pupille, fonctionnent au ralenti. Résultat, l’œil s’adapte moins bien aux changements brusques de luminosité. Non seulement on est beaucoup plus facilement ébloui mais en outre, on reste plus longtemps aveuglé après une exposition à une forte lumière. D’autres petits muscles essentiels sont également perturbés, comme les muscles oculomoteurs, qui permettent à l’œil de bouger dans toutes les directions. Conséquence : le regard est moins mobile. Cette fixité du regard s’ajoute à ce que l’on nomme « l’effet tunnel », qui désigne le rétrécissement du champ visuel, sous l’effet de l’alcool. On le teste assez aisément en tendant les bras sur le côté, pouces levés. Si vous êtes à jeun, votre champ visuel est de l’ordre de 180° et quand vous bougez vos pouces tout en regardant droit devant vous, vous devinez le mouvement des doigts. Plus on est alcoolisé, et plus il faut rapprocher les pouces, et donc fermer l’angle formé par les deux bras, pour les voir se mouvoir. L’angle entre les bras indique le rétrécissement du champ visuel.

L’alcoolisation aigue, prise consécutive de plusieurs verres d’alcool provoquant un état d’ivresse, est aussi responsable de nystagmus (mouvements involontaires saccadés du globe oculaire). La perception des distances est par ailleurs altérée ; c’est une cause majeure d’accidents au volant !

Cataractes, DMLA, … et troubles neuronaux !

Mais l’alcool n’a pas uniquement des effets à court terme sur les perceptions sensorielles.
Il accélère le vieillissement des cellules, ce qui entraine diverses pathologies oculaires et notamment la baisse de la production des larmes et la sécheresse oculaire, l’augmentation du risque d’apparition d’une cataracte ou d’une DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge).

La consommation chronique d’alcool induit également des carences en vitamines de la famille B en particulier la B1 (thiamine), B9 (folate), B3 et PP (nicotinamides), B12 (cyanocobalamine) ainsi qu’en vitamine A (le fameux « rétinol » nécessaire à la bonne santé de la rétine et du cristallin).

La combinaison de l’effet toxique de l’alcool et de ces carences nutritionnelles fait le lit d’une neuropathie optique toxique et carentielle (névrite optique) qui se traduit tout d’abord par une diminution de la perception des couleurs (le rouge notamment), puis une baisse de l’acuité visuelle, qui peut évoluer, si rien n’est fait vers une cécité totale en cas d’absence de traitement. Les carences en vitamine A et B1 peuvent aussi favoriser un amincissement de la cornée.

De nombreux travaux montrent que les consommations répétées d’alcool ont un effet délétère durable sur le cerveau et la santé neuronale. Ainsi, l’alcool peut induire divers syndromes comme le syndrome de Wernicke-Korsakoff qui associe troubles sévères de la mémoire (amnésie) et troubles de la vision et de l’équilibre. Pendant longtemps on a postulé que les troubles régressaient quand le patient redevenait sobre. Une étude récente¹, publiée dans la revue médicale JAMA Psychiatry, montre que les lésions dans la matière blanche, notamment dans le corps calleux qui joue un rôle dans la synchronisation des deux hémisphères cérébraux, persistent malgré l’abstinence. Des névrites optiques (inflammations du nerf optique), apparaissent également comme un effet néfaste de la consommation répétée d’alcool et elles peuvent être associées entre-autre au syndrome de Wernicke-Korsakoff.

La cochlée, victime de l’alcool…

Et nos oreilles ? Les études sur le sujet sont moins nombreuses. Mais elles mettent en avant des effets directs et indirects des boissons alcoolisées sur les deux fonctions principales de l’oreille : l’audition et l’équilibre. L’alcool agit de multiples façons :

  • Tout d’abord sur le cortex auditif, cette zone du cerveau qui reçoit et analyse les messages reçus. Sous l’effet de l’alcool, les signaux ne sont plus décryptés correctement. Des chercheurs de l’Université d’Ulm² en Allemagne ont ainsi mesuré les potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral chez des personnes consommatrices régulières d’alcool (alcool chronique). Il s’agit d’un examen mesurant l’activité électrique des nerfs en réponse à une stimulation auditive qui permet d’observer l’oreille interne, le nerf auditif et la portion moyenne du tronc cérébral.
  • Les résultats suggèrent une altération du cortex auditif (zone du cerveau qui analyse les informations perçues par le système auditif) qui fonctionne de manière plus ralentie.
  • Ensuite sur le système auditif lui-même : une alcoolémie élevée se révèle toxique pour les cils vibratiles qui se trouvent à l’intérieur de la cochlée. Ces petits cils sont un élément clef de la transmission de l’information sonore vers le nerf auditif. Une étude anglaise³ récente a montré que les cils qui reçoivent les fréquences « conversationnelles » (celles qui permettent de comprendre le langage parlé) sont les plus altérés en cas de consommation d’alcool. Comme les cils, une fois abîmés, ne peuvent se régénérer, les dommages induits sont permanents.

Tout comme l’œil peut être touchée par une névrite optique, des lésions sont également susceptibles d’affecter les nerfs de l’oreille, en particulier ceux qui innervent le vestibule, organe de l’équilibre. Une alcoolisation chronique ou massive entraîne des troubles de l’équilibre. Dans certains cas, ces troubles sont associés à une baisse de l’audition.

La consommation d’alcool aggrave également les acouphènes chez ceux qui en sont victimes. Cet effet — heureusement temporaire — serait dû à une augmentation du flux sanguin dans les petits vaisseaux de l’oreille interne.

Enfin, des études menées en boites de nuit suggèrent que l’association alcool/bruit serait particulièrement délétère pour l’oreille. La plus récente⁴, publiée en 2018 dans le JAMA Otolaryngol Head Neck Surg par des chercheurs de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, a montré un « décalage temporaire du seuil d’audibilité » qui se traduit par une perte auditive temporaire dans les fréquences 3 à 4 Khz, chez les jeunes soumis simultanément à la musique et à l’alcool. Diverses hypothèses sont évoquées : l’alcool altérant le jugement, les personnes qui sont sous son emprise peuvent prendre sans s’en rendre compte des risques pour leurs oreilles (par exemple rester près des enceintes). Autre hypothèse, l’alcool inhiberait l’action bénéfique du réflexe stapédien : la contraction de deux muscles de l’oreille qui protège le tympan quand il est exposé à un bruit traumatique.

L’avis de l’alcoologue

« Les effets immédiats de l’alcool sur la vision, comme l’effet tunnel, la perte d’acuité visuelle, les problèmes de contraste qui altèrent la capacité à évaluer les distances, sont relativement connus. De surcroit, ces effets sensoriels sont majorés par la désinhibition induite par la consommation d’alcool. Le conducteur sous l’emprise de l’alcool se croit tout puissant alors qu’il est dangereux. Il se croit en pleine possession de ses moyens alors qu’il ne l’est pas.
Les effets de l’alcoolisme chronique sur le système sensoriel, comme la névrite optique, sont en revanche méconnus des patients. Ces déficits arrivent tardivement dans l’évolution de la maladie, mais ils sont hélas irréversibles. On peut stopper leur évolution en arrêtant de boire mais on ne retrouvera jamais sa vision initiale. » –

Dr Michel Craplet, psychiatre et addictologue, auteur de nombreux ouvrages dont « L’alcool première addiction » et « Passion alcool » chez Odile Jacob.

 

Sources :

[1] Silvia De Santis, PhD; Patrick Bachn, MD; Laurz Pérez-Cervera, MSc; et al. Microstructural White Matter Alterations in Men With Alcohol Use Disorder and Rats With Excessive Alcohol Consumption During Early Abstinence. JAMA Psychiatry. 2019;76(7):749-758. doi:10.1001/jamapsychiatry.2019.0318.

[2] Smith ES, Riechelmann H. Cumulative lifelong alcohol consumption alters auditory braistempotentials. Alcohol Clin Exp Res. 2004 Mar; 28 (3); 508-15. Doi: 10. 1097/01.alc.0000117870.11317.92.PMID: 15084909

[3] Tahwinder Upile, Fabian Sipaul, Wassem Jeries, Sandeep Singh, Seyed Ahmad Reza Nouraei, Mohammed El Maaytah, Peter Andrews, John Graham, Colin Hopper, Anthony Wright. The acute effects of alcohol on auditory thresholds. BMC Ear Nose Throat Disord. 2007; 7 :4. doi: 10.1186/1472-6815-7-4

[4] Kraaijenga VJC, van Munster JJCM, van Zanten GA. Association of Behavior with Noise-Induced Hearing Loss Among Attendees of an outdoor Music festival: A secondary Analysis of a Randomized Clinical Trial. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg. 2018; 144 (6): 490-497. doi:10.1001/jamaoto.2018.0272

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