Bien manger pour bien voir ?
Comment les chercheurs en sont-ils venus à explorer les liens entre œil et alimentation ? Tout d’abord, en identifiant parmi les composants de l’œil de précieux nutriments aux effets protecteurs (acides gras, vitamine A…), puis en démontrant que leur apport dans l’alimentation a un impact véritable sur la santé visuelle… Explications.
Peut-on combattre le vieillissement de l’œil ? Comme tous nos organes, l’œil vieillit, en particulier sous l’effet de la lumière. Divers travaux se sont penchés sur les facteurs aggravants et les facteurs protecteurs pour l’œil, et plus particulièrement pour deux de ses organes clefs, le cristallin et la rétine. Le surpoids, le diabète et le tabagisme sont autant d’ennemis de l’œil. Le tabac multiplie par plus de trois le risque de DMLA, l’obésité, par deux, et le diabète est responsable d’une altération grave de la rétine : la rétinopathie diabétique. Les maladies cardiovasculaires (hypertension artérielle (HTA), hypercholestérolémie…) sont également associées à une plus grande fréquence des troubles rétiniens.
Depuis une vingtaine d’années, les études successives démontrent qu’un certain nombre de nutriments sont essentiels au bon fonctionnement de la rétine. Lesquels et pourquoi ? Il a fallu d’abord s’interroger sur la composition de la rétine, révélée par des études biologiques.
Les études biologiques
Les études biologiques montrent que la rétine est particulièrement riche en deux pigments de la famille des caroténoïdes, la lutéine et la zéaxanthine. Deux pigments qui sont naturellement présents dans les fruits et légumes. « La lutéine a été découverte dans la rétine en 1945 », explique le Dr Béatrice de Reynal, médecin nutritionniste. « Par la suite, d’autres caroténoïdes et des flavonoïdes ont été identifiés. Les propriétés de ces pigments pour l’œil ont été mis à jour récemment ». 1er apport de ces pigments : ils sont dotés de pouvoirs antioxydants et préviennent le vieillissement de la rétine en luttant contre les radicaux libres. 2e apport : ils absorbent jusqu’à 40 % de la lumière bleue, nocive pour la rétine.
Autres composants présents dans l’alimentation et retrouvés dans les cellules photosensibles de la rétine : les phospholipides. Ces cellules comportent un dérivé de la vitamine A, mais surtout présentent une concentration très importante en DHA, un acide gras essentiel de la famille des oméga 3. Une diminution de la quantité de DHA dans la rétine altère la réponse des cellules de cette dernière aux stimuli lumineux.
Ces deux éléments (pigments et phospholipides) présents dans la rétine ne sont pas synthétisables par l’organisme, ils sont donc apportés par l’alimentation. Les chercheurs se sont donc intéressés aux liens possibles entre la consommation de ces nutriments et la santé visuelle. C’est là qu’entrent en jeu les études épidémiologiques.
Les études épidémiologiques
Elles confirment ce que la biologie suggérait : les populations ayant une alimentation riche en lutéine et zéaxanthine ont un risque nettement diminué de DMLA. Dans les années 1990, l’étude The Eye Disease Case-Control Study Group a montré que les individus ayant les taux sériques les plus importants en caroténoïdes avaient un risque de DMLA exsudative diminué de 43 %. L’étude française POLA arrive aux mêmes conclusions au début des années 2000.
D’autres études épidémiologiques constatent de leur côté une moindre fréquence des DMLA chez les populations consommant de grandes quantités de DHA. L’étude australienne The Melbourne Collaborative Cohort Study (2014), suggère que les forts consommateurs d’huile d’olive souffriraient moins de DMLA. Une autre étude australienne, The Blue Mountains Eye Study (2015), démontre quant à elle une réduction de 31 % du risque de DMLA chez les forts consommateurs de poissons. Cette étude souligne également les bénéfices du zinc.
Bien que la lutéine ne figure pas dans le cristallin, des études épidémiologiques suggèrent un lien entre ce pigment et le risque de cataracte. « Les résultats d’une étude épidémiologique portant sur 50 800 femmes ont permis d’établir un lien inverse entre un apport alimentaire élevé en caroténoïdes et en vitamine A et la prévalence de la cataracte. Les résultats de deux autres études épidémiologiques, l’une menée auprès de 36 600 hommes, l’autre auprès de 77 400 femmes, ont permis de montrer que cet effet protecteur était attribuable à la lutéine et à la zéaxanthine, et non pas aux caroténoïdes en général ou à la vitamine A. Ces deux études montrent une réduction de 20 % à 50 % du risque d’opération de la cataracte » explique le Dr Béatrice de Reynal (Mares-Perlman et al., 1995).
Peut-on alors protéger ses yeux en modifiant son alimentation ? Seules les études d’intervention, qui comparent une population chez laquelle on a augmenté les apports de ces nutriments et une population témoin, peuvent donner la réponse.
Les études d’intervention
L’étude LAST (Lutéine Antioxidant Supplementation Trial) a montré en 2004 qu’une supplémentation alimentaire en lutéine et zéaxanthine se traduisait par une augmentation de leur concentration dans la rétine. Ces modifications biologiques s’accompagnaient chez les patients traités d’une amélioration de l’acuité visuelle de près et de loin, et de la vision des contrastes.
L’étude WAFACS (Women’s Antioxidant and Folic Acid Cardiovascular Study), portant sur des femmes touchées par des pathologies cardiovasculaires, suggère de son côté un effet protecteur des vitamines du groupe B contre la DMLA (2009).
Les études AREDS (Age-Related Eye Disease Study) ont montré en 2001 l’efficacité de suppléments composés de vitamines anti-oxydantes C et E, de caroténoïdes et de zinc, tant sur la prévention de la cataracte que de la DMLA. Elles ont également mis en avant le rôle essentiel du zinc dans le fonctionnement rétinien. Ce dernier protège le nerf optique, participe au fonctionnement des cônes et des bâtonnets, et permet à la rétine de mieux mobiliser la vitamine A.
Par ailleurs, elles ont montré qu’une alimentation riche en oméga 3 pourrait réduire de 30 % le risque de DMLA. D’autres travaux estiment même que la diminution du risque pourrait atteindre 50 %, en particulier pour la forme exsudative de la DMLA. L’accroissement de la consommation d’oméga 3 se traduit également par une réduction des sécheresses oculaires.
En pratique, dans quels aliments retrouve-t-on ces nutriments ?
Lutéine et zéaxanthine ne peuvent être synthétisés ex nihilo par l’organisme. Il faut donc les trouver dans son assiette. Choux, brocolis, cresson, épinards, laitue, persil, ciboulette, navets, petits pois, maïs, haricots verts, carottes, céleris contiennent de bonnes quantités de caroténoïdes et notamment de la lutéine et de la zéaxanthine. « Les légumes verts foncé comme l’oseille ou les épinards, sont ceux qui contiennent le plus de lutéine », ajoute le Dr. De Reynal.
Ces légumes sont également riches en d’autres caroténoïdes notamment le béta carotène, précurseur de la vitamine A, essentielle au fonctionnement de la rétine. D’où la réputation des carottes, à qui on attribue le pouvoir d’améliorer la vision… Le Dr. de Reynal préconise également la consommation de foie de veau, riche en vitamine A. « La vitamine A joue un rôle important dans la vision diurne et nocturne. »
Les oméga 3 sont notamment présents dans les poissons gras (sardine, maquereau, hareng, anchois, saumon, thon, truite), les « petites salades » (roquette, pourpier, mâche), les fruits secs à coque (noix, noisettes, amandes, pignons), et dans certaines huiles végétales (colza, noix, germe de blé).
Ces huiles végétales et fruits secs oléagineux sont également une excellente source de vitamine E, une vitamine que l’on retrouve également dans de nombreux fruits et légumes (avocats, épinards, salsifis, choux, petits pois, kiwi, myrtilles, mangues, châtaignes).
La vitamine C est présente en quantité dans la majorité des fruits et légumes frais (notamment poivrons, cassis, goyave, kiwi, cresson, épinards, choux).
Les fruits de mer (coquillages et crustacés) sont une des meilleures sources de zinc. On en trouve également dans le pain complet, les légumineuses, le poisson, la viande, le jaune d’œuf, le foie…
Enfin, les polyphénols, sont présents dans les fruits rouges, en particulier la myrtille, et aussi dans le vin.
La réduction de la consommation de sucres rapides et l’activité physique agissent sur deux facteurs de risque important pour l’œil : l’obésité et le diabète. Le sport favorise également la microcirculation sanguine, qui permet aux yeux de recevoir les micronutriments dont ils ont besoin pour fonctionner.
Des myrtilles pour améliorer la vision nocturne des pilotes de la RAF
Avoir une bonne vision nocturne est essentiel pour un pilote de chasse. La myrtille, qui avait la réputation d’améliorer la vision, a été proposé aux pilotes de la Royal Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale, afin qu’ils discernent mieux les contrastes et soient protégés de l’éblouissement. La myrtille est extrêmement riche en polyphénols, les anthocyanines, qui, en association avec la vitamine C dont elle est abondamment pourvue, sont essentiels pour lutter contre la fatigue oculaire et booster l’acuité visuelle. Ces mécanismes ont été mis en évidence en 2008, dans une étude française du Pr. Goetz.