Comment fonctionne la couleur des yeux ?
L’iris, avec sa teinte, ses nuances et ses textures, rend chaque œil unique au monde. Des mécanismes physiques et génétiques complexes, et pour partie encore inconnus, sont à l’origine des spécificités de notre regard.
© Federica Giampetruzzi / EyeEm
Bleu azur ou noisette, vert émeraude ou dorée, souvent irisée, la couleur des yeux fascine et interroge. Son déterminisme génétique et sa transmission dans les populations sont des questions moins triviales qu’il n’y parait. « Quand on évoque la couleur des yeux, encore faut-il préciser de quoi on parle », estime le généticien des populations Paul Verdu, qui travaille au Museum d’Histoire Naturelle (Paris). « La couleur est un phénomène complexe. Elle est le fait de mécanismes physiques, comme le spectre chromatique de la lumière et la réflexion des différentes couleurs sur les objets. Mais il y a aussi des mécanismes biologiques et chimiques puisque nous percevons aussi les couleurs grâce aux cellules de notre œil. Si l’on va plus loin, en anthropologie, la couleur est une construction du cerveau, ce n’est pas quelque chose qui existe en soi. Nous ne pouvons d’ailleurs pas savoir si nous reconstruisons tous les couleurs de la même manière, c’est-à-dire si ce que nous appelons rouge, par exemple, est vu et interprété de la même façon par le cerveau de tout le monde ! », prévient-il.
Un phénomène optique
Une fois ces précautions posées, il est possible d’appréhender en premier lieu la couleur des yeux comme un phénomène optique. L’iris humain est la partie colorée de l’œil dont le rôle est de contrôler, en se contractant, la quantité de lumière qui pénètre dans l’œil. La couche de tissu externe de l’iris est nommée « stroma ». Elle comprend notamment des cellules appelées « mélanocytes » dans lesquelles se forme et est stocké le pigment impliqué dans la couleur des yeux : la mélanine. Celle-ci est également responsable de la couleur de la peau ou encore des cheveux. Elle existe sous deux formes : l’eumélanine, un pigment brun-noir responsable de la coloration foncée de l’œil et la phéomélanine, un pigment rouge-jaune, qui est généralement impliquée dans la couleur rousse des cheveux.
Plus il y a de mélanine dans cette couche tissulaire, plus ces pigments absorbent les longueurs d’ondes comme un corps noir, et donc plus les yeux apparaissent foncés (comme les yeux marron ou noirs). À l’inverse, moins la mélanine est concentrée dans l’iris, plus la couleur apparente est claire. Pour autant, la couleur n’est pas uniquement le fait d’un pigment, mais aussi d’un phénomène physique. Les longueurs d’onde bleues sont nettement plus réfléchies par les fibres de l’iris que les autres. Il y a donc un double effet physique et chimique. Lorsque l’iris est claire, c’est-à-dire avec peu de mélanine pour absorber les longueurs d’ondes, elle réfléchit plutôt les longueurs d’onde bleues. Cette iris claire (avec moins de mélanine) apparait donc plus souvent comme bleue. Au contraire, une iris plus foncée (avec plus de mélanine) a des fibres qui réfléchissent autant les longueurs d’ondes bleues que pour une iris claire. Cependant, la mélanine présente ici en plus grande quantité absorbe toutes les longueurs d’ondes comme un corps noir, laissant moins de longueurs d’ondes à réfléchir. Ces iris seront donc toujours plus foncées.
Contrairement à l’idée reçue, les yeux clairs ne sont pas plus sensibles à la lumière que les yeux foncés. En effet, la lumière passe par la pupille pour arriver à la rétine, elle ne traverse jamais l’iris, quelle que soit sa couleur.
Mais la structure des fibres de l’iris intervient également dans la couleur que l’on va percevoir. « La complexité tient au fait que l’iris ne présente pas que quelques couleurs tranchées, brunes, vertes ou bleues, mais une infinité de tonalités de couleurs, reflets de situations physiques intermédiaires et complexes. Et nous ne savons pas encore expliquer comment naissent ou pas les anneaux d’irisation, les textures différentes », évoque Paul Verdu.
Plus de 80 mutations génétiques impliquées
Certaines protéines ont été identifiées comme directement impliquées dans la synthèse de la mélanine (par exemple la tyrosinase TYR, les protéines mélanosomales, codées par les gènes OCA2 et MATP, et le récepteur de la mélanocortine MC1R). « Ceci a permis de mettre en évidence des gènes dont les mutations vont avoir un effet direct sur la fabrication de la mélanine et donc sur la couleur des yeux », explique Paul Verdu. « Cependant de nombreux autres gènes vont jouer un rôle indirect, sur son expression, sa concentration, sa diffusion dans les tissus ». À ce jour, plus de 80 mutations dans 15 à 20 gènes ont été corrélées avec différentes couleurs, sans pour autant que ce lien ne soit très clairement établi. « Certains de ces gènes jouent aussi un rôle dans l’immunité ou le métabolisme, on est donc très loin d’une action directe sur la couleur ».
Comme la couleur de la peau, la couleur de l’iris humain est donc loin de pouvoir s’expliquer par un seul facteur, il s’agit bien d’un déterminisme complexe. « Il faut aussi savoir que l’expression des gènes change au cours de la vie, ce qui explique que la couleur des yeux puisse évoluer avec le temps. C’est d’ailleurs ce qui est observé chez certains enfants qui naissent avec les yeux bleus, car la mélanine ne s’exprime pas encore pleinement au début de la vie. On peut voir que la couleur de leurs yeux évolue ensuite. », illustre le généticien.
Les yeux bleus ne vont pas disparaitre
©Maude Guatteri / EyeEm
Bien des couples s’interrogent sur la couleur des yeux de leur enfant à naître. La couleur des yeux est en effet un héritage de nos parents qui eux même l’ont hérité de leurs parents, et ainsi de suite jusqu’à nos ancêtres plus lointains. La couleur brune est souvent hâtivement présentée comme dominante sur la couleur bleue. Or, ce caractère provenant d’une combinaison de facteurs, il est impossible de parler d’un seul gène dominant et d’un seul gène récessif (par exemple ici le seul gène brun dominant sur le seul gène bleu), d’autant que l’on ne sait pas toujours comment les différentes mutations agissent les unes par rapport aux autres. Ainsi, s’il peut assez fréquemment survenir que deux parents aux yeux bruns donnent naissance à un enfant aux yeux bleus, l’inverse peut aussi se produire, bien que plus rarement. Ceci est le fait de l’existence de gènes dits « régulateurs », qui modulent par exemple l’expression du gène brun.
« Pour avoir les yeux bleus, il faut en quelque sorte une « compatibilité » des mutations accumulées par nos deux parents. Pour autant, même « cachées » chez des individus aux yeux bruns, ces mutations qui ne sont pas dominantes et qui participent à ce caractère « bleu » restent présentes dans le patrimoine génétique des populations et peuvent donc être transmises aux générations suivantes », selon Paul Verdu. On retrouve ainsi un taux de personnes aux yeux bleus relativement stable en Europe.
Prédire la couleur des yeux
Forts de l’évolution des connaissances du génome sur les emplacements des gènes impliqués dans la couleur des yeux, les tentatives de prédiction de ce caractère ont suscité un intérêt particulier chez les services de police. Une telle pratique pourrait s’avérer utile en cas de présence d’échantillon ADN sur des scènes de crime. Depuis quelques années, se sont ainsi développés des outils informatiques, comme HIrisPlex-S, qui tentent, à partir d’une dizaine d’éléments d’information génétique, de prédire non seulement la couleur des yeux mais aussi celle des cheveux et de la peau. Si la couleur des yeux violets albinos est assez simple à prédire, étant due à une mutation génétique bien connue et très dominante sur toutes les autres, déterminer n’importe quelle couleur d’iris à partir de ces 10 marqueurs génétiques est beaucoup plus complexes à envisager, notamment dans les nuances. « Même si les logiciels arrivent à déterminer avec une précision de près de 90 % si l’individu a les yeux bleus ou marron, les détails sont inexistants et le rendu sera artificiel. Les teintes de marron par exemple sont très variées, du noisette au brun le plus foncé. Ces logiciels permettent au mieux seulement d’exclure éventuellement un suspect » estime Paul Verdu.
Au-delà de l’ADN, et des changements de teinte dus au vieillissement, des pathologies et des traitements peuvent aussi jouer un rôle dans des modulations de couleur. C’est le cas de certaines hétérochromies, une différence de couleurs entre les deux yeux d’un individu, appelée également « yeux vairons », ou au sein du même iris. Celles-ci peuvent aussi être d’origine inflammatoire, traumatique, tumorale, neurologique ou encore toxique. Le virus de l’herpès est ainsi impliqué dans des pertes de pigmentation, alors qu’à l’inverse les prostaglandines utilisées pour traiter les glaucomes peuvent assombrir l’iris. Sans compter les techniques modernes, qui permettent à certains de réaliser leur rêve de choisir la couleur de leurs yeux : cela implique la pause d’un iris artificiel ou l’injection de pigments, via un micro-tunnel réalisé par laser, directement sur l’iris naturel. Les conséquences demeurent cependant mal connues.
À retenir :
• Il existe de nombreuses nuances de couleurs de yeux.
• Ceci est d’abord dû à un phénomène optique. L’iris est constituée de deux couches de tissus dans lesquelles on retrouve la « mélanine », responsable de la pigmentation des yeux. La quantité de mélanine va influencer le caractère plus ou moins foncé de l’iris.
• L’absorption-réflexion des longueurs d’onde par les tissus de l’iris va également jouer sur la couleur des yeux. Les longueurs d’onde bleues sont plus réfléchies et diffusées et donc plus apparentes lorsque le taux de mélanine est faible ; c’est le cas des yeux bleus.
• Il y a plus de 80 mutations génétiques impliquées dans la couleur des yeux. Mais d’autres facteurs influençant l’expression de ces gènes peuvent apparaître au cours de la vie d’un individu, expliquant parfois l’évolution de la couleur des yeux au fil du temps.
• Les yeux bleus ne vont pas disparaitre : même si les gènes « bruns » sont dominants par rapport aux gènes « bleus », d’autres gènes permettent de moduler leur expression. Ce qui fait que la couleur bleue peut parfois dominer la couleur brune.
• De nouvelles technologies permettent maintenant de prédire la couleur des yeux d’un individu à partir de l’étude de son ADN. Mais de nombreux facteurs font que cette étude reste complexe.