Des applis-compagnons pour aider les malentendants et les malvoyants dans leur vie quotidienne
Le nombre d’applications mobiles commercialisées est estimé à quelque 5 millions¹ dans le monde. Un marché en croissance permanente, largement dominé par l’univers des jeux, mais où peu à peu, la santé se fraie son chemin. Dans ce paysage, des créateurs ont développé des solutions pour aider les malentendants et les malvoyants. Petit tour d’horizon des meilleures applis en langue française.
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Du bien-être à la santé…
Les premières appli « santé » qui ont fleuri étaient en réalité davantage des applications de bien-être. Cette tendance s’est inversée au bénéfice des applis « santé ». Une étude d’IQVIA, l’expert en données de santé, reprise par la HAS² dans son « Évaluation des Applications dans le champ de la santé mobile (mHealth) » (2021), montrait déjà le retrait des applis « bien-être » -de 73 à 60 % entre 2015 et 2017- et la progression de celles dédiées à la « santé », de 27 à 40 % dans le même temps. 4 % de l’ensemble de ces applis « santé » concernaient les maladies des yeux et des oreilles.
Une étude plus récente de l’ORCHA³, leader mondial de l’évaluation des produits de santé numérique, répertorie 327 000 applications « santé » qui recouvrent environ 240 pathologies différentes.
… et de la santé au social
A côté des applis purement « santé » et tournées vers le suivi des patients atteints de maladies chroniques —comme par exemple Tilak, qui, en partenariat avec l’hôpital des Quinze-Vingts et l’Institut de la Vision, développe des jeux médicaux pour les patients souffrant de troubles visuels— une nouvelle catégorie de services, les « applis-compagnons », fait son chemin. Leur principe : aider les patients souffrant de malvoyance ou de malentendance à mener la vie la plus normale possible, les « accompagner » dans les tâches quotidiennes, faciliter leurs interactions sociales.
Conjuguer mobilité et autonomie pour les malvoyants
De toutes les applis-compagnons existantes Be my eyes est assurément la plus solidaire. Elle propose à 130 000 utilisateurs non-voyants ou malvoyants dans le monde de se connecter en direct à l’un des 2,5 millions de bénévoles susceptibles de les aider à distance. En pratique, le malvoyant est confronté à une difficulté, par exemple, chercher le quai d’où part son train ou trouver une denrée dans un rayon. Il lance un « appel » et filme l’objet ou la situation qui lui pose problème. Un bénévole parlant sa langue se connecte aussitôt, et lui décrit son environnement… L’appli est totalement gratuite, elle repose sur l’entraide et la bienveillance et permet à un handicapé visuel de gagner en autonomie. Be my eyes est disponible dans plus de 150 pays et dans 180 langues.
Se guider sans voir…
D’autres applis peuvent être très utiles aux non-voyants pour s’orienter dans leur environnement.
OOrion, fondée par une jeune startup lyonnaise, est une application mobile qui, basée sur de l’intelligence artificielle, permet aux personnes déficientes visuelles de localiser et retrouver des objets dans leur environnement. Pour cela, il suffit que la personne malvoyante ou aveugle dise à l’application ce qu’elle recherche et balaye son environnement avec la caméra de son smartphone. Quand l’objet est localisé, OOrion lui indique où est-ce qu’il se trouve et la guide vers ce dernier avec des « bips » et des vibrations. L’application permet également à ses utilisateurs de se faire décrire leur environnement en instantané, mais aussi d’obtenir une lecture instantanée des textes se trouvant autour d’eux.
NVibe est un système de GPS vibrant qui fonctionne avec des bracelets connectés. Il suffit de rentrer l’adresse de son choix dans l’application et de se laisser guider par les vibrations des deux bracelets gauche et droit. L’utilisateur piéton peut ainsi concentrer son écoute sur les dangers éventuels du trajet et rejoindre sa destination en toute sécurité. Témoignage d’utilisateurs : « Les bracelets sont discrets, simples d’utilisation et précis, ce qui rassure ! ».
Soundscape, conçue par un Responsable Produit de la société Microsoft, lui-même aveugle, propose également une sorte de GPS adapté à la cécité. Equipée d’un casque audio et de lunettes de navigation intelligentes et connectées qui analysent l’environnement, la personne est littéralement guidée à l’oreille dans ses déplacements. Compte tenu de la capacité des non-voyants à se représenter leur environnement en fonction des sons qu’ils perçoivent, le casque permet de se recréer une sorte d’image mentale des lieux et donc de s’y mouvoir avec facilité. Selon les responsables de l’association Valentin Haüy qui l’ont testée, « un simple son émis d’un côté ou de l’autre de votre oreille suffit pour s’orienter ».
Avec Aipoly Vision, également positionnée sur l’aide au déplacement en milieu urbain, le principe est différent : on scanne un objet avec le smartphone et celui-ci est capable, grâce à une Intelligence Artificielle intégrée, de le reconnaitre et d’envoyer une description qui sera lue par une assistance vocale. L’appli reconnait des objets mais aussi des véhicules, des panneaux de signalisation, des bâtiments, ce qui en fait un outil facilitant la mobilité.
L’appli MyMoveo va interagir avec l’environnement urbain, quand celui-ci est équipé de modules sonores dotés de la fonction d’activation par Bluetooth. Il s’agit de feux de signalisation indiquant au le piéton quand il peut traverser, de balises lui permettant de repérer l’entrée des lieux publics (mairie, station de métro…). Ces modules étaient jusqu’ici activables à distance par une télécommande, ils le sont désormais plus simplement avec un téléphone grâce à l’appli MyMoveo.
Enfin Moovit est destiné aux usagers des transports en commun. L’appli repère tous les trajets, les horaires, et, lorsqu’on circule en bus, train, métro, le dispositif indique vocalement la station où descendre.
Rester connecté au monde
Dans le domaine des loisirs cette fois, Darwin Reader permet de télécharger des livres numériques et de les lire en mode audio. A l’heure actuelle, ce service présente encore certaines limites : l’ouvrage doit être au format DAISY (Digital Accessible Information System) et les livres en langue française restent encore rares.
De son côté, l’application Vocale Presse est un service de journaux et de revues audio qui propose dès le jour de leur parution une large sélection de quotidiens et de magazines pour se tenir au courant de l’actualité.
Seeing AI aide à reconnaître au quotidien une multitude d’objets… comme par exemple un billet de banque – très utile quand on paye ou qu’on vous rend la monnaie ! – ou une boite de médicaments. L’appli est par ailleurs couplée à un logiciel de reconnaissance faciale pour identifier des personnes connues de l’utilisateur.
Et bien sûr de nombreuses applications qui ne sont pas destinées spécifiquement aux non-voyants peuvent se révéler très utiles pour ces derniers : les assistants vocaux tels que SIRI (sur APPLE) ou Google Assistant (sur Android) qui permettent d’énoncer une commande vocale et d’avoir automatiquement la réponse à sa question, Google Maps pour se diriger avec des consignes audio, ou encore Voice Over (sur les iPhone ou son équivalent Talk Back sur les Androids) pour lire à haute voix les mails et autres éléments textuels présents sur notre écran.
Garder une oreille sur le monde…
Moins nombreuses, les applis compagnons pour les malentendants restent néanmoins extrêmement utiles.
Si la majorité des malentendants est équipée de smartphones, passer un appel téléphonique est souvent pour eux une véritable épreuve. Roger Voice permet une retranscription immédiate de la communication téléphonique sur l’écran de l’appareil. Seule limite de ce service : il fonctionne sur abonnement. Si l’interlocuteur de l’usager n’est pas abonné lui aussi, la communication est payante.
Pour se débrouiller dans la vie de tous les jours, diverses solutions de transcription en direct existent comme Live Transcribe, appli gratuite de Google, qui convertit vos paroles en texte écrit. Très utile quand vous devez échanger avec un normo-entendant. Il suffit que la personne qui s’adresse à vous parle dans le micro et vous verrez s’afficher sur votre écran ses propos. La transcription est instantanée et de bonne qualité.
AVA est également une application de synthèse vocale qui transcrit en texte une conversation grâce au sous-titrage instantané. Ses fonctionnalités la différencient des applications concurrentes dans la mesure où elle permet de suivre une discussion de groupe. L’outil peut donc être utilisé aussi bien par des étudiants que dans le cadre de réunions professionnelles. AVA a été mise au point par trois ingénieurs : Thibault Duchemin, issu d’une famille de sourds, Skinner Cheng, sourd de naissance, et Pieter Doevendans. Aujourd’hui, selon son fondateur, plus de 250 000 personnes utilisent AVA en France. « 80.000 d’entre elles sont capables de mener une conversation, alors qu’elles en étaient incapables il y a cinq ans⁴ ».
Entendre dans le bruit…
Sound Amplifier, développé par Google, aide la personne à mieux percevoir la parole dans le bruit : grâce à des écouteurs et en lançant l’appli, le son des voix est augmenté et les bruits ambiants sont atténués.
Dans la même logique USound, favorise la communication en milieu bruyant. Cette appli, développée en Amérique du Sud par la fondation IN.T.E.G.R.A.R (Instituto para el tratamiento, Educación, Gestión y Rehabilitación Auditiva Regional) est destinée aux personnes presbyacousiques non appareillées (dans les pays du Sud le taux d’appareillage est extrêmement bas). Le téléphone est programmé sur la base d’un test auditif pour être ensuite utilisé comme une aide auditive. USound capte les sons ambiants, les ajuste en fonction des capacités auditives de la personne, puis elle restitue le son modifié dans un casque comme le ferait une aide auditive. Bien sûr la qualité n’est pas similaire à une aide auditive, mais l’outil peut rendre de grands services.
Le marché des applis compagnons est encore balbutiant mais de nombreuses pépites ont fleuri ces dernières années et nul doute que bien d’autres solutions vont venir enrichir le panorama, favorisant l’inclusion des personnes malentendantes et malvoyantes, au même titre que d’autres types de handicaps.
Sources :
[1] https://www.zdnet.fr/actualites/le-marche-des-applications-mobiles-bat-tous-les-records-39925365.htm
[2] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-06/criteres_de_qualite_du_contenu_medical_referencement_mhealth_ens_2021-06-30_10-58-28_773.pdf
[3] https://orchahealth.com/about-us/
[4] https://www.lesechos.fr/weekend/high-tech-auto/thibault-duchemin-ava-au-service-des-sourds-et-malentendants-1322651