Entretenir sa vue, un pilier du bien vieillir
Le lien n’est pas forcément évident de prime abord. Il est pourtant bien réel : négliger son capital vue peut, chez les personnes âgées, accélérer leur perte d’autonomie. Comment expliquer que certain(e)s ne prennent pas soin de leur vue ? Quelles peuvent être les conséquences ? Et comment améliorer les choses ? Eléments de réponse.
Avec les années, la peau se ride, les os se fragilisent, les muscles fondent, l’ouïe montre des signes de faiblesse… et la vue n’échappe pas non plus à ce phénomène de vieillissement, lent mais inéluctable. Faudrait-il dès lors se résigner à voir moins bien avec l’âge ? Certainement pas !
Un risque accru de démence
« Le fait de voir moins bien entraîne souvent un déclin intellectuel, pour une raison évidente : les personnes âgées ont alors moins de stimulations. Cela augmente le risque de démence. Voir ses amis, lire… C’est stimulant pour le cerveau. A l’inverse, ne pas avoir une bonne acuité visuelle peut pousser des personnes à s’isoler, ce qui sera forcément délétère », explique le Pr Jean-François Korobelnik, chef du service d’ophtalmologie du CHU de Bordeaux. En 2018, des chercheurs américains affirmaient, dans une étude menée sur 2 520 personnes âgées de 65 à 80 ans[1], qu’une vision détériorée à cet âge-là augmentait sensiblement le risque de déclin cognitif. Leur étude insistait sur le fait que c’étaient les problèmes de vision qui précédaient le déclin cognitif, et non l’inverse.
Plus de chutes
« Moins bien voir, c’est aussi augmenter le risque de chutes, car la personne verra moins bien les obstacles. » Comme elle sortira moins de chez elle, par exemple pour aller faire les courses, par peur de tomber, elle fera moins d’exercice, perdra en masse musculaire, ce qui augmentera encore son risque de chute. Chaque année en France, 2 millions de chutes chez les personnes âgées de plus de 65 ans sont responsables de 10 000 décès, et de plus de 130 000 hospitalisations, selon le ministère chargé de l’autonomie (février 2022). Ces chutes entraînent souvent une perte d’autonomie, avec un risque réel de basculer dans la dépendance. « Certains ont 4, 5, 6 dixièmes d’acuité, et pensent qu’ils n’ont pas besoin de voir plus. Or, il n’y a pas de fatalité ! Aujourd’hui, on peut bien voir, même quand on a 85 ans. » Ainsi que le souligne le cercle de réflexion « Vision d’avance », qui rassemble des personnalités expertes de la santé visuelle, « les troubles visuels et les pathologies oculaires liés à l’âge ne sont ni inexorables, ni universels. »
Conserver une bonne vue à tout âge
La cataracte est aujourd’hui la chirurgie la plus pratiquée en France : plus de 800 000 interventions par an. En 15 à 30 minutes, sous anesthésie locale grâce à des gouttes, le cristallin opacifié est remplacé par un autre, artificiel. En plus d’être extrêmement sûre, elle peut en même temps corriger les défauts optiques -astigmatisme, myopie ou hypermétropie. A tel point que certains, après l’opération, voient mieux qu’ils n’ont jamais vu. Si le glaucome ne se guérit pas, il peut être stabilisé. La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), elle, a deux formes : sèche (80% des cas) et humide, où de nombreux vaisseaux sanguins se développent autour et en arrière de la macula. On peut aujourd’hui traiter la forme humide, en injectant directement dans l’œil, sous anesthésie locale, un médicament dit anti-VEGF (vascular endothelium growth factor), qui va bloquer le développement des néo-vaisseaux.
Mieux vaut prévenir que guérir
Selon l’Insee, le nombre de seniors de plus de 75 ans doublera d’ici 2050, et les plus de 85 ans atteindront les 4 millions. Or, pour bien vieillir, continuer à lire son journal, jouer aux cartes avec ses amis, aller au cinéma, sortir faire ses courses…, il faut bien voir. Et donc respecter cette recommandation : « au moins un rendez-vous par an chez son ophtalmologiste pour vérifier sa vue, et dépister au plus tôt des maladies sournoises comme le glaucome, ou pouvoir prendre la DMLA aux premiers stades. » Car les traitements sont d’autant plus efficaces qu’ils auront été enclenchés précocement. « Encore faut-il bien prendre son traitement », insiste le Pr Korobelnik. « Un glaucome non traité, par exemple, entraîne la cécité. Pourtant, certains patients sont négligents dans l’observance de leur traitement, qui consiste à mettre des gouttes dans les yeux. Peut-être est-ce parce que le risque leur paraît lointain… »
Déserts médicaux
« La principale cause de mauvaise vision aujourd’hui chez les seniors, c’est des lunettes mal adaptées. » En l’absence de toute pathologie, la correction optique nécessaire pour bien voir évolue avec les années. Des lunettes bien adaptées un jour ne le seront peut-être plus un an plus tard. Comment expliquer que beaucoup de personnes ne consultent pas, ou trop peu ? Déjà, certaines peuvent tout simplement ne pas se rendre compte que leur vue décline. Par ailleurs, les délais pour décrocher un rendez-vous dissuadent probablement certaines personnes de consulter un ophtalmo. Le délai médian pour obtenir un rendez-vous avec son ophtalmologiste est de 80 jours, soit près de 3 mois, selon le rapport sur la filière visuelle de l’IGAS (2020).
[1] Longitudinal Associations Between Visual Impairment and Cognitive Functioning: The Salisbury Eye Evaluation Study : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29955805/