La pupille, bien plus qu’un diaphragme
En plus de la modulation de l’intensité lumineuse arrivant sur la rétine, la recherche montre que la pupille est impliquée dans de nombreux processus cognitifs, sans que sa fonction soit encore véritablement décryptée. Certains travaux suggèrent qu’elle pourrait constituer un moyen de communication insoupçonné.
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Circulaires, ovales, rectilignes, multiples, les pupilles du vivant surprennent par leur diversité et semblent adaptées aux modes de vie, diurne ou nocturne, et de prédation des différentes espèces animales. Chez l’homme, cette ouverture centrale dans l’iris présente une forme circulaire, dont le diamètre d’ouverture à l’âge adulte varie en moyenne entre 2 mm, la constriction maximale ou « myosis », et 8 mm, la dilatation maximale ou « mydriase ». Elle fonctionne comme le diaphragme d’un appareil photo, laissant passer plus ou moins de lumière vers la rétine selon la luminosité ambiante.
Cependant, les sciences cognitives et psychologiques nous apprennent, depuis les années 1960, que la pupille, connectée au cerveau par différents circuits nerveux, est également au cœur de certaines fonctions cognitives et sociales.
Pupille et vision
« Le degré d’illumination est ce qui fait le plus varier le diamètre de la pupille. Quand la luminance augmente, le diamètre se réduit sous l’effet d’un mécanisme réflexe qui fait intervenir les cônes et les bâtonnets de la rétine, avec une latence d’environ 0,2 à 0,5 seconde. La dilatation est un peu plus lente », explique le Docteur Damien Gatinel, ophtalmologue et chef de service à la Fondation Rothschild. Cependant, la variation du diamètre de la pupille à elle seule ne peut compenser totalement la variation de luminosité naturelle. « La variation de surface n’est que d’un ordre de 16, alors que la variation de lumière entre une journée ensoleillée et le clair de lune peut être de 100 000. La sensibilité de la rétine joue certainement de manière prioritaire », estime le Dr Gatinel.
Comme un diaphragme d’appareil photo, le diamètre d’ouverture de la pupille conditionne aussi la netteté de l’image. Plus la pupille est contractée et plus l’image apparaît nette sur une grande profondeur de champ. Au contraire, plus la pupille se dilate et plus la qualité optique de l’œil se dégrade, surtout en vision de près. Pour obtenir une netteté optimale, l’ouverture doit être d’environ 3 mm, ce qui correspond à la vision de jour. Certains travaux suggèrent que les variations de diamètre de la pupille seraient essentiellement destinées à optimiser l’acuité visuelle.
Le miroir des émotions
Au niveau anatomique, la taille de la pupille est sous le contrôle de deux muscles aux effets antagonistes : le sphincter pupillaire et le dilatateur pupillaire. Le sphincter pupillaire est innervé par le système nerveux parasympathique, qui implique peu de relais. Le dilatateur pupillaire est quant à lui innervé par le système nerveux sympathique, couplé à un ensemble de structures corticales et sous-corticales impliquées dans l’attention, les émotions et la charge cognitive.
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La recherche en sciences cognitive s’intéresse donc aux phénomènes de dilatation. « Le diamètre de la pupille varie de 2 à 8 mm sous l’impulsion de la lumière mais les phénomènes cognitifs entraînent eux des modulations bien plus subtiles, de l’ordre de quelques pourcents, mesurables en laboratoire », explique le Docteur Jean Laurenceau, directeur de recherche au laboratoire des systèmes perceptifs de l’Ecole Normale Supérieure. « La pupille est connectée à un circuit neuronal incroyable, en particulier au cortex pré-frontal et à l’hypothalamus, ce qui la positionne en entonnoir de multiples facteurs ».
La prise de décision, la concentration, l’attention, le stress et la fatigue jouent sur la pupille. Le rythme circadien, notre rythme biologique sur 24 heures, a aussi un lien avec la pupille. « Sa constriction est sous le contrôle d’un pigment de la rétine, la mélanopsine, qui est impliquée dans nos rythmes biologiques, et l’on observe une modulation de la taille de la pupille au cours de la journée. En état de fatigue, elle est à la fois plus petite et moins réactive. De là à dire qu’on peut mesurer l’état de fatigue par une simple mesure de la pupille, il faut être prudent, même si des constructeurs voudraient pouvoir intégrer ce paramètre, parmi d’autres, dans des détecteurs de fatigue embarqués dans des voitures ! », estime le chercheur.
La psychologie sociale a également observé depuis les années 60 une corrélation entre joie, surprise, peur, douleur et dilatation de la pupille. De même, les visages seraient jugés plus attirants avec une pupille dilatée. « Les femmes usaient même autrefois de la belladone, une plante capable de dilater la pupille, dans un but de séduction », raconte le Dr Gatinel. La pupille pourrait ainsi jouer un rôle non conscient dans différentes interactions sociales.
Des troubles pupillaires aux nouvelles applications
La pupille évolue avec l’âge. Plutôt petite à la naissance, elle atteint sa taille maximale à l’adolescence pour diminuer avec la vieillesse. Chez les octogénaires, la dilatation maximale dépasse rarement 5 mm. Chez certains sujets âgés, un « myosis sénile » est même observé, avec une réduction permanente de l’ouverture à 1,5 mm, ce qui entraîne des problèmes de netteté à cause de la diffraction.
En dehors de ces évolutions liées à l’âge, des anomalies existent. Un quart de la population présente des différences de taille entre les deux pupilles (anisocorie), sans que cela ne gêne leur vision. C’était le cas de David Bowie. L’hétérochromie apparente de ses yeux était en fait une mydriase permanente de sa pupille gauche, due à un coup reçu pendant l’enfance qui avait bloqué les muscles du myosis [1].
Des maladies ophtalmiques peuvent également perturber le fonctionnement de la pupille. Le glaucome la dilate tandis que l’uvéite la réduit. Chez les très jeunes enfants, la surveillance de la pupille est primordiale : une pupille blanche peut signaler un rétinoblastome ou une cataracte. Des substances toxiques ou médicamenteuses sont également susceptibles de modifier la pupille : l’atropine utilisée pour réaliser les fonds d’œil dilate la pupille, tout comme la cocaïne, tandis que le cannabis la resserre. Surtout, un dysfonctionnement de la pupille peut signaler des problèmes neurologiques. « Une petite pupille, associée à d’autres symptômes, peut signer un syndrome de Horner qui constitue une vraie urgence neurologique », note le Docteur Catherine Vignal, ophtalmologue à la Fondation Rothschild. L’observation du réflexe pupillaire à un stimulus lumineux donne d’ailleurs des informations sur l’état neurologique d’un patient ou sur l’efficacité d’un traitement administré. « En réanimation, la sédation entraîne un myosis que l’on suit pour évaluer l’efficacité de la molécule », illustre le Dr Vignal.
En 2013, des chercheurs de l’Inserm ont ainsi montré une corrélation entre le diamètre de la pupille, ainsi que sa contraction après stimulation lumineuse, et la douleur liée aux contractions de l’accouchement. Ces deux paramètres diminuent après administration de l’analgésie péridurale. « Il n’existe pas de seuils, il faut suivre ces paramètres au cours du temps pour chaque individu », a cependant rappelé l’un des auteurs de l’étude, Jean Guglielminotti. Cette découverte pourrait suggérer l’utilisation de la pupille comme outil d’évaluation de l’efficacité des traitements antalgiques, généralisable à des situations où les patients ne peuvent s’exprimer (en salle de réveil ou pour des patients comateux). D’autres chercheurs, du CNRS, proposent même d’utiliser le réflexe pupillaire pour communiquer avec des personnes paralysées, par observation de leur pupille devant des lettres affichées sur un écran avec des conditions lumineuses différentielles. Et si la pupille nous ouvrait une porte sur l’esprit ?