Le développement de l'audition in utero et autour de la naissance
La maturation du système auditif est plus longue et plus complexe de celle du système visuel. Si la cochlée est fonctionnelle à partir de 30 semaines de gestation, le cortex auditif, lui, ne termine sa maturation qu’au cours de la sixième année de vie.
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Le développement des organes et des facultés auditives du fœtus
Les premières ébauches du système auditif démarrent à 10 semaines de gestation, période à laquelle les cellules ciliées du fœtus débutent leur différenciation. À 18 semaines, apparaissent les premiers potentiels cochléaires. À ce stade, la cochlée commence à envoyer des sons au cerveau. Cependant, elle n’a pas encore ses caractéristiques adultes, aussi le fœtus ne perçoit-il que des sons de forte intensité (de l’ordre de 80/90 décibels).
À cette période, les premiers relais des voies auditives primaires (noyaux cochléaires) deviennent opérationnels car ils sont stimulés. Puis, vient le tour du deuxième relais (complexe olivaire supérieur, thalamus), du troisième relais (colliculus supérieur), et enfin du dernier relais (corps genouillé médian), avant le cortex auditif. Cette maturation s’étend du 4ème mois au 7ème mois de gestation.
À partir de la 35ème semaine, l’ouïe du fœtus s’affine. « L’oreille périphérique ou cochlée a terminé son développement et possède des caractéristiques adultes au 8ème mois de grossesse, explique Jean-Luc Puel, chercheur à l’Inserm. L’information auditive commence à être intégrée et traitée par le système nerveux central. À chaque relais des voies auditives, une information est traitée ». La localisation du son est traitée au niveau des noyaux cochléaires et du tronc cérébral. Au niveau du colliculus s’opère le traitement de la discrimination des sons perçus : est-ce une voix humaine ? Le cri d’un animal ? Cette discrimination s’avère essentielle pour la survie de l’espèce. Au niveau du thalamus, les sons sont associés aux émotions. Enfin, à l’étage du cortex auditif, il s’agit de percevoir et de mémoriser les sons, mais aussi de les associer aux images et d’intégrer le tout dans un contexte environnemental.
À l’abri dans le ventre de sa mère, le fœtus perçoit très tôt les sons intérieurs, comme les gargouillis et battements cardiaques maternels. La majorité des sons perçus sont graves. Idem pour les sons qui lui parviennent de l’extérieur, ces derniers étant filtrés par la paroi abdominale maternelle.
Le fœtus reconnaît parfaitement la voix de sa mère dès le 7ème mois de grossesse (son rythme cardiaque augmente lorsqu’il perçoit sa voix). Pour la psychanalyste Marie-France Castarède, le fœtus, puis le bébé « est surtout sensible à ses inflexions musicales, puisqu’il se détourne de la voix maternelle, si celle-ci s’exprime sur un ton monocorde ou criard. »[1]
L’exposition à un milieu sonore enrichi in utero
Chez la souris, la cochlée fonctionne 10 jours après la naissance. Ce qui équivaut à une oreille humaine de 4 mois et demi in utero. Le développement de la cochlée de la souris prend fin à 20 jours (7 mois in utero pour l’humain). Des études scientifiques ont montré que des souriceaux élevés dans un milieu sonore enrichi (80 décibels), dans une certaine gamme de fréquence (8 à 16 kilohertz) ont un cortex auditif plus important que les autres souriceaux. « On peut tout à fait extrapoler ces résultats à l’audition humaine », précise Jean-Luc Puel. L’exemple souvent cité est celui du génial Wolfgang Amadeus Mozart, dont la mère jouait du violoncelle durant sa grossesse. Mozart a bénéficié très tôt d’une éducation musicale poussée à l’extrême.
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En outre, écouter de la musique in utero pourrait avoir un effet apaisant : ainsi lorsqu’on fait écouter une comptine à des bébés pendant leur vie intra-utérine et qu’après leur naissance, on les expose à cette même comptine lorsqu’ils pleurent, cela les calme.
L’exposition à des mots in utero a également fait l’objet de travaux scientifiques comme cette étude[2] au cours de laquelle des bébés sont exposés à deux mots de trois syllabes (avec deux variantes) à partir de la 29ème semaine de grossesse. Dans les jours suivant leur naissance, les bébés sont de nouveau exposés à ces fameux mots, tandis qu’on leur fait passer un électroencéphalogramme. Résultats : on note une activité cérébrale accrue pour les bébés exposés à ces mots pendant leur vie intra-utérine (et pas de réaction pour les bébés du groupe témoin). D’où les conclusions des chercheurs : les bébés commenceraient déjà à apprendre le langage… in utero.
Les stimulations auditives après la naissance
Au départ, l’aire auditive est pluri-sensorielle. Elle code l’audition, mais aussi la vision, le toucher… « C’est le fait de faire entrer de l’information auditive dans le cerveau qui permet un câblage de cette zone et la création de plusieurs zones cérébrales dédiées à différentes modalités sensorielles », précise Jean-Luc Puel. Cette différenciation démarre dès que la cochlée commence à fonctionner et se poursuit jusqu’à l’âge de 6 ans, avec différentes étapes. L’âge de 2 ans constitue une étape-clé : « Le jeune enfant est capable de reconnaître des sons comme étant des paroles. Or, cette capacité est la condition sine qua non pour qu’il puisse commencer à parler, explique le chercheur. Cet âge est également celui où l’humain dispose le plus de connexions neuronales. Ainsi, un enfant exposé à la langue chinoise avant l’âge de deux ans pourra plus volontiers acquérir les subtilités de la langue à tons qu’un enfant qui apprend le chinois bien plus tard ».
Pendant toute la période de la maturation du cortex auditif, les stimulations auditives sont essentielles. D’où la nécessité d’appareiller l’enfant sourd le plus tôt possible. Plus on retarde l’appareillage, plus les zones normalement dédiées à l’audition sont occupées par d’autres modalités sensorielles, d’où les difficultés auditives des personnes appareillées à l’âge adulte.
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Les interactions entre la perception du langage et sa reproduction chez le bébé ont par ailleurs fait l’objet de diverses études. Des chercheurs de l’Université Mac Gill (2015) ont ainsi exposé des bébés à une voix de synthèse (babillage de bébés ou voix de femme adulte). Ils ont mesuré le temps d’attention des bébés. Résultats : ils prêtaient 40 % d’attention supplémentaire aux babillages par rapport à la voix de femme adulte. Lorsqu’ils écoutaient les babillages, ils bougeaient leurs lèvres et/ou souriaient. D’où la conclusion des chercheurs : les bébés semblent intéressés par des sons qu’ils pourraient eux-mêmes reproduire. Tous les parents du monde qui babillent intuitivement avec leur tout-petit le prépareraient-ils ainsi à percevoir sa propre voix ?
[1] Marie-France Castarède, « Les vocalises de la passion », éd Armand Colin, 2002.
[2] « Learning-induced neural plasticity of speech processing before birth », PNAS, 10 septembre 2013, vol 110, n°37.