Le point sur la perception des couleurs
Un champ de coquelicots rouge écarlate, un beau ciel indigo, une toile aux multiples couleurs de Monet ou de Picasso… Voir en couleurs donne, assurément, de la saveur à l’existence. Mais comment l’œil humain perçoit-il toutes ces couleurs ? Les explications du Dr Jean Leid, ophtalmologue à Pau.
© Light ZOOM Lumiere
Tout commence par la lumière. Car sans lumière, pas de couleur. Pourquoi ? Parce que la lumière est composée d’ondes électromagnétiques, qui se déplacent et « rencontrent » des objets. Certaines ondes sont alors absorbées, d’autres réfléchies. Celles qui ont été réfléchies poursuivent leur chemin et atteignent l’œil humain. Mais toutes les longueurs d’onde ne sont pas perceptibles par ce dernier.
« L’œil humain ne détecte qu’une petite partie du spectre électromagnétique, celle comprise entre 400 (la couleur bleue) et 700 nanomètres (la couleur rouge) », détaille le Dr Leid. En-dessous de 400 nanomètres, il y a les ultraviolets, les rayons X et les rayons gamma, que l’œil humain ne peut pas discerner. Au-delà de 700 nanomètres, ce sont les infrarouges, les micro-ondes et les ondes radio, tout autant indétectables pour l’œil humain. « Mais cela ne veut pas dire, parce que nous ne les voyons pas, qu’elles ne peuvent pas nous blesser. » C’est le cas des ultraviolets, par exemple, responsables numéro un du vieillissement prématuré de notre peau. « Certains animaux, eux, arrivent à percevoir d’autres longueurs d’ondes. C’est le cas des serpents, qui ont des récepteurs leur permettant de détecter les ondes infrarouges. Raison pour laquelle ils pourront « voir » un être humain, grâce aux ondes infrarouges émises par le corps de la personne, même si cette dernière se cache derrière un arbre. »
La vision, un travail d’équipe entre les yeux et le cerveau
Les rayons lumineux réfléchis par les objets que nous regardons traversent d’abord la cornée, puis l’iris, cette pupille noir d’encre qui se dilate ou se contracte pour faire entrer plus ou moins de lumière, tel le diaphragme d’un appareil photo. Les rayons lumineux poursuivent leur chemin jusqu’au cristallin, avant d’arriver, enfin, sur la rétine, qui tapisse le fond de l’œil. « Les millions de photorécepteurs qui s’y trouvent travaillent jour et nuit à transformer la lumière en influx nerveux », décrit le Dr Leid. Le nerf optique, sorte de « câble », transporte ces impulsions électriques, ces signaux, de l’arrière de l’œil vers le cerveau. C’est ce dernier qui va reconstituer l’image. « Si l’œil perçoit, c’est le cerveau qui interprète, donne du sens aux images et identifie les couleurs »
Deux types de cellules photoréceptrices
« Dans la rétine, il y a 130 à 150 millions de bâtonnets, et 6 à 7 millions de cônes. » Ces deux types de cellules sont sensibles à la lumière. Mais ce sont les cônes, et seulement eux, qui permettent de voir le monde en couleurs et dans ses moindres détails. « Ces cônes sont répartis en trois groupes, chacun réagissant à une partie spécifique du spectre lumineux. Il y a les S, pour short (ondes courtes), qui perçoivent particulièrement bien les tons bleus, les M, medium (ondes moyennes), qui captent surtout les tons verts, et les L, long (ondes longues), sensibles aux tons rouges. » Les autres couleurs sont reconstituées par le cerveau. Pourquoi un citron nous apparaît-il jaune et une fraise rouge ? « Chaque objet absorbe certaines longueurs d’onde de la lumière qui l’éclaire. Ce que l’œil humain perçoit, c’est ce que l’objet n’absorbe pas, et qu’il réfléchit donc. Du jaune pour un citron, du rouge pour une fraise, etc. », répond le Dr Leid. « Le noir est le refuge de la couleur », disait Gaston Bachelard. Le philosophe français n’avait pas tout à fait tort : les objets noirs sont ceux qui absorbent toutes les longueurs d’ondes. À l’inverse, les objets blancs réfléchissent toutes les longueurs d’onde de la lumière. Au total, combien de couleurs l’œil humain est-il capable de percevoir ? À ceux, nombreux, qui disent « plusieurs millions », Jean Leid répond que cela se situe plutôt « aux alentours de 17 000 nuances ».
Pourquoi la nuit, tous les chats sont gris
« Pour que les cônes fonctionnent correctement, ils ont besoin d’une quantité minimale de lumière. » La nuit, ils ne peuvent donc pas fonctionner correctement, ce qui explique que les couleurs s’estompent dans l’obscurité. Ce qui permet de continuer à voir, même dans des nuances de gris, ce sont les autres photorécepteurs situés sur la rétine, les bâtonnets. Eux n’ont besoin que d’une toute petite quantité de lumière pour faire leur travail.
Les dyschromatopsies, des anomalies qui affectent la perception des couleurs
Chaque être humain ne voit pas les couleurs exactement de la même manière. Mais chez certains, ces différences sont extrêmement marquées. Ce sont ceux qui souffrent de dyschromatopsies. Leurs cônes ne fonctionnent pas tous parfaitement. La plus connue de ces anomalies, c’est le daltonisme. « Elle toucherait 8% des hommes, et moins de 0,5% des femmes. » selont le Dr Jean Leid. Héréditaire, elle est liée à un défaut des cônes : un ou deux sur les trois ne fonctionnent pas bien. Les enfants atteints peuvent ne pas s’en apercevoir, et ne pas se rendre compte à eux seuls que les autres voient différemment. « Le daltonisme se détecte chez l’ophtalmologiste, à l’aide des planches d’Ishihara. » L’enfant doit alors reconnaître des chiffres « noyés » dans des images colorées. Il est important de dépister le daltonisme suffisamment tôt (entre 5 et 7 ans), pour ne pas gêner les apprentissages à l’école, où les couleurs jouent un rôle central. Présente dès la naissance, « cette anomalie ne peut pas être corrigée », mais les daltoniens apprennent à vivre avec leur différence. Par exemple en comprenant que le feu rouge est en haut, et le feu vert en bas, pour traverser en toute sécurité. Les personnes souffrant d’achromatopsie, elles, voient le monde en nuances de gris, à cause de l’absence ou du mauvais fonctionnement de leurs cônes.
Si aucun traitement n’existe aujourd’hui pour traiter cette maladie rétinienne rare, tous les espoirs sont permis pour les années à venir. Une thérapie génique réalisée par des chercheurs britanniques* (novembre 2022) a montré des résultats très encourageants. Pour les patients souffrant d’achromatopsie, voir un jour le monde en couleurs ne relève peut-être plus de la science-fiction…