Le point sur les implants cochléaires
L’arrivée des implants cochléaires a bouleversé le quotidien des personnes sourdes profondes, et notamment des enfants. Mode de fonctionnement, indications, progrès passés et évolutions futures : l’Observatoire fait le point sur ces dispositifs médicaux révolutionnaires.
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« Une de mes patientes qui a été implantée bébé est aujourd’hui à l’École Normale Supérieure » avance fièrement le Pr Jean-Pierre Bébéar, du CHU de Bordeaux. Pionnier de la pose des implants cochléaires, ce médecin ORL et chirurgien cervico-facial sait ce que représente, pour une enfant née sourde profonde, l’admission dans une grande école d’excellence. Avant l’arrivée des implants, un tel parcours scolaire aurait été impossible. Depuis maintenant quarante ans, ces dispositifs médicaux, qui permettent de transformer les sons en signaux électriques pour stimuler directement le nerf auditif, métamorphosent le quotidien des personnes sourdes.
« Quand on est atteint d’une surdité profonde bilatérale, on est complètement coupé de la société. Rendez-vous compte, offrir la capacité de communication à ces patients, ce n’est pas une évolution, c’est une révolution », raconte Jean-Pierre Bébéar car, poursuit-il, « les implants ressuscitent socialement les adultes et sauvent des enfants ».
Comment ça marche ?
Physiologiquement, la cochlée, qui se trouve dans l’oreille interne, est le siège de la transformation des vibrations sonores en message nerveux. Messages qui sont ensuite interprétés par le cerveau. Les implants cochléaires sont destinés à remplacer une cochlée défaillante, due au vieillissement ou à une maladie génétique. Ces prothèses auditives très perfectionnées sont composées d’une partie externe et d’une partie interne. Placée derrière l’oreille, la partie externe comporte un microphone qui capte les sons extérieurs et les voix qu’il transmet ensuite au processeur. Celui-ci, transforme les informations acoustiques en messages, qui sont ensuite transmises à une antenne aimantée positionnée sur le crâne. Des ondes radio sont envoyées au travers de la peau à l’implant, qui est placé chirurgicalement dans l’oreille interne. L’implant transforme les informations reçues transmises par l’antenne en signaux électriques, qui via une électrode, stimulent les fibres du nerf auditif. Les aires auditives du cerveau sont capables d’analyser le message et les décodent comme des sons.
Depuis 2009, les patients peuvent être implantés des deux côtés. Auparavant, l’implantation était uniquement unilatérale. Le bilan complet reste une étape inévitable avant une implantation.
Pour qui ?
Aujourd’hui, les indications pour la pose d’implants sont : les adultes devenus sourds des deux oreilles par vieillissement naturel (surdité bilatérale profonde) et les enfants atteints de surdité congénitale profonde ou du syndrome de Usher.
« La moyenne d’âge des enfants qui arrivent dans notre service pour une indication de pose d’implants est de seize mois, ce qui est finalement assez tard » explique le Pr Natalie Loundon qui exerce à l’hôpital Necker – Enfants Malades à Paris. « Si on veut progresser, il faudrait déjà que les enfants soient opérés plus tôt, vers 6-7 mois », poursuit-elle. Selon la spécialiste, le problème viendrait principalement de l’exploration : les tests d’audition devraient être réalisés en situation réelle, c’est-à-dire dans un environnement bruyant, et pas seulement en tonale. D’ailleurs, ceci fait l’objet d’une des prochaines recommandations de la Société Française d’ORL et de Chirurgie de la Face et du Cou (SFORL).
Dans les années qui viennent, la pose d’implants cochléaires est envisagée pour certaines surdités unilatérales, au cas par cas, pour des surdités sévères bilatérales avec perte dans les aigus (surdité dite en pente de ski) et pour certaines neuropathies auditives. Les surdités légères à moyennes sont, elles, bien compensées par des appareils auditifs.
L’implant de demain
Des progrès considérables ont déjà été accomplis : la chirurgie est devenue moins lourde avec un taux de complication inférieur à 5 %[1]. Les appareils de dernière génération, utilisés depuis 2010, sont bien plus perfectionnés, notamment grâce à une qualité du traitement du signal bien meilleure que celles des premiers appareils. « Entre le premier implant et le dernier, c’est la même différence qu’entre la Ford T et la Ferrari », explique Jean-Pierre Bébéar qui ose la comparaison automobile.
« On attend des évolutions de la partie externe. Elle deviendra moins volumineuse car moins gourmande en énergie et moins sensible à l’humidité, ce qui pose problème aux adolescents sportifs et aux enfants », explique Natalie Loundon qui poursuit « elle sera aussi hyperconnectée. Grâce à une application, le porteur pourrait être en lien avec le service après-vente du constructeur et des ajustements à distance seront possibles ».
Des recherches sont en cours pour améliorer également l’implant, rendant l’électrode moins invasive et imprégnée de corticoïdes, afin de diminuer l’inflammation. La qualité de l’interface entre l’électrode et les terminaisons nerveuses pourrait aussi simuler une synapse naturelle grâce à la délivrance locale de facteurs de croissance.
Quant à la promesse de l’implant invisible, les deux spécialistes interrogés sont plus sceptiques, les résultats sont pour le moment décevants.
[1] Sunde J1, Webb JB, Moore PC, Gluth MB, Dornhoffer JL., Cochlear implant failure, revision, and reimplantation, 2013.
En ligne : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24232064