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La lumière bleue : retour sur un débat

Dès cette année, dans le cadre de la législation européenne visant à réduire notre consommation d’énergie, les LED seront les seules ampoules autorisées en éclairage, avec certains halogènes et ampoules fluocompactes. Or, les LED émettent une forte lumière bleue, qui n’a cessé d’être controversée depuis quelques années. Le point sur ses effets sur l’œil.

Femme éclairée par une lampe

© BraunS

À l’horizon 2020, les LED, déjà très répandues dans l’éclairage public et privé, pourraient représenter jusqu’à 90 % du marché des ampoules, d’autant plus que la législation européenne les impose comme seules sources d’éclairage autorisées dès cette année dans un objectif de réduction de la consommation d’énergie, avec quelques halogènes et ampoules fluocompactes. Or, les LED blanches et bleues contiennent une proportion de lumière bleue supérieure à celle de la lumière naturelle ou d’autres types d’éclairage.

Dès 2010, un rapport de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), « Effets sanitaires de systèmes d’éclairage utilisant des diodes électroluminescentes (LED) », pointait « un risque photochimique associé à la lumière bleue », dont le « niveau dépend de la dose cumulée de lumière bleue à laquelle la personne a été exposée ». Selon l’agence, « le niveau de preuve associé à ce risque est important ». Les experts mentionnaient également que des « effets aggravants de la lumière bleue sur la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) sont fortement soupçonnés », tout en précisant qu’à ce jour, les études épidémiologiques ne permettaient pas de conclure sur ce risque. Qu’en est-il six ans plus tard ? Faut-il s’alarmer d’un potentiel risque sanitaire ou au contraire relativiser les premières données expérimentales, obtenues grâce à des modèles in vitro et animaux ? Faut-il s’inquiéter de la généralisation de l’éclairage aux LED mais aussi de l’utilisation massive des écrans, qui contiennent également des LED ?

Le risque photochimique confirmé

L’ANSES travaille en ce moment-même à un nouveau rapport qui devrait sortir dans quelques mois. Dans l’attente de la conclusion du panel d’experts, il est cependant possible dès maintenant de confirmer le risque photochimique dont le mécanisme a été précisé en laboratoire. « La lumière bleue est toxique quelle que soit son origine. Plus précisément même, dans cette lumière bleue, il y a des longueurs d’onde qui s’avèrent plus toxiques que d’autres », précise le Dr Serge Picaud, de l’Institut de la Vision à Paris. « Ainsi, dans une étude que nous avons menée sur des cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien de porc, nous avons constaté que la dégénérescence des cellules rétiniennes intervient surtout pour des longueurs d’onde entre 415 et 455 nm. Cette toxicité s’explique par l’accumulation d’un composé de la lipofuscine, le A2E, qui absorbe la lumière bleue et génère des radicaux libres. Ce phénomène est amplifié dans les LED car elles n’émettent pas autour de 480 nm, un bleu plus turquoise qui contrôle la contraction de la pupille : les cellules rétiniennes en sont d’autant plus exposées ». La chercheuse Alicia Torriglia de l’Inserm abonde également en ce sens. « Pour une même quantité de lumière, les LED à lumière bleue sont beaucoup plus énergétiques que d’autres sources. Chez des rats albinos, nous observons après une courte exposition des atteintes rétiniennes. Bien sûr ce modèle n’est pas directement transposable à l’homme mais il faut penser en termes de cumulation d’exposition », prévient-t-elle.

Une question d’utilisation

Une ampoule

© BlackJack3D

Une notion d’utilisation « normale » doit donc être définie. L’exposition dépend en effet non seulement de la longueur d’onde mais aussi de la puissance, de la distance et du temps d’exposition. « En l’état actuel des connaissances et dans des conditions normales d’utilisation, par exemple en plafonnier pour les LED, il n’y a aucun danger à l’utilisation de ce genre de source lumineuse », maintient Alain Azaïs, délégué général de l’association française de l’éclairage. Il ne s’agit pas de remettre en question en globalité les LED, sources lumineuses matures, économiques, écologiques. En tout état de cause, tous les spécialistes s’accordent pour réclamer une réglementation plus précise pour les LED, à l’instar de l’ANSES qui demandait en 2010 une adaptation de la norme européenne NF EN 62471. « Il n’y a qu’une norme européenne de protection électrique et photométrique mais rien sur la qualification de l’exposition visuelle, alors qu’il existe par exemple quatre normes pour les LED au Canada », détaille Alain Azaïs. « Résultat, n’importe qui peut faire des LED. Or les fabricants sérieux s’investissent d’eux-mêmes pour proposer des températures de couleurs plus adaptées à un usage intérieur, avec beaucoup moins de bleu et une puissance limitée. Avec cette technologie maintenant maîtrisée, il est possible d’adapter la fabrication à l’usage ».

Principe de précaution pour les écrans

Tout l’enjeu reste malgré tout d’essayer de prévoir les effets à long terme d’une exposition prolongée à la lumière bleue. « Il n’existe pas à ce jour de preuve clinique du risque associé aux LED, il n’y a pas de cas avéré chez l’homme », tempère le Dr Thierry Bury, de l’hôpital des Quinze-Vingts à Paris. « Nous ne pouvons qu’extrapoler les études in vitro et animales. Cependant, devant les fortes présomptions, le principe de précaution est envisageable, notamment vis-à-vis des jeunes générations, et plus encore vis-à-vis des écrans que de l’éclairage ». Il n’existe pas à ce jour d’étude spécifique sur les effets de la lumière bleue émise par les écrans, ordinateurs ou smartphones, cependant les spécialistes s’accordent à invoquer ce principe de précaution. « Les lunettes de réalité virtuelle, qui exposent les yeux à des LED d’un écran de smartphone à 3 cm de distance, sont à proscrire avant 15 ans et doivent être utilisées pendant 30 minutes maximum par un adulte », illustre le Pr Gilles Renard, directeur scientifique de la société française d’ophtalmologie. Si ces risques sont avérés, les enfants et adolescents, qui seront exposés pendant des décennies, « pourraient développer à terme des DMLA plus précocement que ce que l’on observe actuellement », prévient Alicia Torriglia.

Pas de paranoïa pour autant

Jeune femme travaillant sur un écran d'ordinateur

© diego_cervo

Les enfants présentent de plus un cristallin transparent, très sensible à la lumière bleue. Quant aux adolescents, ils sont particulièrement exposés par une utilisation massive des écrans lumineux, dont les effets se cumulent à l’éclairage extérieur et intérieur. « Il serait important de pouvoir savoir exactement quelles longueurs d’onde sont émises par les différents écrans utilisés », préconise le Dr Serge Picaud. En effet, certains constructeurs prétendent développer des écrans moins émetteurs de bleu. « Or supprimer totalement le bleu d’un écran, c’est illusoire, l’image en serait altérée », pointe le Pr Gilles Renard. Il existe certes des filtres anti lumière bleue pour les écrans mais ils restent peu répandus. Des lunettes anti-lumière bleue qui filtrent les longueurs d’onde toxiques sont également proposées. « Elles ont été développées pour des patients atteints de DMLA, suite à une extrapolation de travaux sur un modèle cellulaire », explique le Dr Picaud.

Pour limiter les risques, il est recommandé de limiter le temps journalier d’exposition et d’essayer d’augmenter la distance entre l’œil et l’écran, tout en gardant raison. « Il ne faut pas se focaliser à outrance que sur cette lumière bleue. Protège-t-on systématiquement les enfants de la lumière naturelle du soleil sur la plage ou à la montagne par le port de lunettes de soleil ? Les yeux des enfants sont plus sensibles à la lumière bleue certes mais aussi aux UV, dont il est primordial de les protéger », relativise le Dr Picaud.

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