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Mal des transports : les mécanismes et les nouvelles solutions

Induit par une discordance sensorielle entre la vue, le vestibule de l’oreille interne et la proprioception, le mal des transports est une gêne plus ou moins marquée qui peut être fortement invalidante. Si dans certains cas les prises en charge médicamenteuses sont sans effet, des techniques de rééducation sensorielle faisant de plus en plus appel à l’intelligence artificielle ont fait leurs preuves.

Homme qui a le mal des transports

©Marko Geber

Très rare chez les nourrissons, le mal des transports, aussi appelé cinétose, devient fréquent entre 2 et 12 ans pour s’estomper à l’adolescence dans le meilleur des cas [1]. Cependant il persiste chez certains adultes, et peut bien vite devenir un enfer, surtout si les déplacements font partie du quotidien professionnel, comme pour les chauffeurs routiers ou les marins-pêcheurs ou militaires. Si certains spécialistes avancent que les femmes, en particulier pendant leurs règles, ou encore certains groupes ethniques, comme les Asiatiques, seraient plus touchés, ceci reste à démontrer selon le Médecin en Chef Alexis, chef du service d’ORL à l’Hôpital d’Instruction des Armées Clermont-Tonnerre de Brest, qui propose une consultation de rééducation contre les « cinétoses », ouverte tant aux militaires qu’aux civils. De même, les troubles de l’équilibre et la propension aux vertiges et aux migraines pourraient ou non favoriser le mal des transports [1]. Des facteurs psychologiques peuvent compliquer la donne en induisant une certaine appréhension, la peur et le stress pouvant accentuer le mal. Pour autant il ne semble pas qu’il y ait nécessairement au départ un terrain émotif ou dépressif particulier chez les personnes souffrant de cinétose. « Nous n’avons pas observé de profil type de patients sujets au mal des transports. Nous sommes en train de mener une étude pour tenter de mettre ceci en évidence. Pour le moment, il est impossible de prédire qui va en être atteint ou non », témoigne le spécialiste.

Des symptômes d’empoisonnement

Au niveau physiologique, le mal des transports s’explique par une discordance entre les informations reçues des trois entrées sensorielles impliquées dans l’équilibre : la vue, le vestibule de l’oreille interne, et la proprioception. Cette dernière correspond à l’ensemble des informations nerveuses transmises au cerveau qui permettent la régulation de la posture et des mouvements du corps, elle contribue notamment à notre équilibre. « Par exemple, vous êtes dans un train, la vitesse est constante et vous êtes assis, mais vous regardez dehors le défilement du paysage. Vos entrées vestibulaire et proprioceptive ne vous indiquent pas de mouvement, puisqu’il n’y a pas d’accélération, mais vos yeux indiquent au cerveau un déplacement. Au contraire, dans un bateau, la proprioception et le vestibule communiquent un mouvement, qui peut être très important, alors que vos yeux, surtout si vous êtes enfermés dans la cabine, vous donnent l’illusion de l’immobilité », décrit le Médecin en Chef Alexis. Il faut d’ailleurs noter que les conflits de perception les plus importants vont se produire en mer, notamment à cause des mouvements du bas vers le haut, auxquels sont soumis les marins à cause de la houle. « Nous sommes programmés par l’évolution pour nous mouvoir horizontalement, notre vestibule code très bien cette information. En revanche, la perception de l’accélération verticale est beaucoup plus fruste et aléatoire » a expliqué son prédécesseur dans le service d’ORL de l’hôpital, le Dr Loïs Bonne, aujourd’hui retraité, lors d’une conférence à l’Océanopolis de Brest en 2018.

Au niveau du bulbe rachidien, où se trouvent intégrées les informations sensorielles nécessaires à l’équilibre, naît aussi le système parasympathique. Si celui-ci commande la respiration, la sensation de faim, de froid, de fatigue ou de stress, il est aussi à l’origine des nausées. Or les symptômes de la phase initiale du mal des transports incluent la pâleur, les sueurs, l’hypersalivation, les nausées, des signes désagréables mais salvateurs. « Au cours de l’évolution, ces signes d’alerte ont été favorisés car ils correspondent à ceux qui surviennent à la suite d’une intoxication, par exemple aux champignons. Les nausées et les vomissements constituent une porte de secours. D’ailleurs il est intéressant d’observer que des animaux qui sont incapables de rejeter un poison, comme les rats, ne subissent pas non plus le mal de mer ! Ainsi les symptômes du mal des transports sont pour nous les mêmes qu’une intoxication car notre corps lutte de la même manière pour se défaire de ce mal. », décrypte le Dr Bonne.

De la prévention à la rééducation

La plupart des sujets arrivent à surmonter le mal des transports naturellement, y compris le mal de mer. Ce processus peut prendre plusieurs jours en cas de traversée maritime, c’est ce que l’on appelle l’« amarinage ». Chez d’autres personnes cette habituation du corps ne se fait pas. Si la situation peut être réellement dangereuse, par exemple chez les marins de profession, qui sont amenés à passer des semaines en mer et risquent la déshydratation par des vomissements trop importants, le mal des transports peut être largement handicapant aussi chez le grand public. Respecter certains conseils permet de tenter de diminuer la survenue des symptômes, comme de se positionner dans le sens du déplacement, de fixer un point à l’horizon, de manger avant les déplacements mais légèrement pour ne pas surcharger l’estomac, d’éviter certaines odeurs dérangeantes…

Certaines personnes vont plus loin. Des approches non médicamenteuses existent, notamment de l’homéopathie pour prévenir ou traiter les symptômes, ou encore de l’acupuncture ou des bracelets d’acupression pour atténuer le stress. Toutes ces méthodes n’ont pas été validées scientifiquement. Des approches médicamenteuses sont aussi tentées, avec la prise d’antihistaminiques, de scopolamine en patch sur prescription médicale ou d’antiémétiques qui vont agir sur les symptômes. Tous ces médicaments peuvent néanmoins avoir des effets secondaires. Certains patients, sur prescription médicale, et souvent après avoir épuisé les autres approches, vont s’orienter vers une rééducation vestibulaire auprès d’un kinésithérapeute spécialisé. « Les patients doivent d’abord consulter un médecin, généraliste ou ORL, qui va éliminer tout autre cause, par exemple neurologique ou d’anomalies de la vue ou du vestibule. Nous pratiquons alors un bilan codifié qui permet de déterminer l’organisation sensorielle du patient, par exemple pour savoir s’il a développé une dépendance visuelle, c’est-à-dire s’il privilégie la vue en toutes circonstances au détriment des deux autres entrées sensorielles. Notre travail vise alors à une reprogrammation neurosensorielle grâce à différents outils de stimulation optocinétique (voir plus ci-après), ou plus récemment à un casque de réalité virtuelle, qui aura pour fonction de repondérer les différentes entrées sensorielles pour permettre une habituation du patient aux situations qui créent son malaise en diminuant le conflit visio-vestibulaire en cause », décrit Dominique Gerbaulet, kinésithérapeute vestibulaire.

L’importance du contrôle cortical

La stimulation optocinétique est par exemple utilisée : le patient est placé dans le noir, des points lumineux défilent devant lui et il doit rester stable tout en étant déstabilisé au niveau visuel, ce qui le force à mieux intégrer les autres informations sensorielles. De nouveaux outils intègrent l’intelligence artificielle, avec des simulateurs qui recréent les conditions de la cinétose. Dans la consultation d’ORL du Médecin en Chef Alexis, la plateforme Nausicaa, un outil unique au monde, permet même de soumettre le patient à un simulateur de réalité virtuelle, tout en le plaçant dans un fauteuil mimant les mouvements de piston du déplacement, de haut en bas. L’équipe travaille à développer l’outil pour permettre aux patients de se placer debout tout en multipliant les possibilités de mouvements dans l’espace. Le nombre de séances varie selon les patients et leurs besoins, avec une moyenne de 10 séances à raison de deux séances par semaine, mais les résultats sont très encourageants puisque sur la centaine de patients traités chaque année à Brest, 82 % voient une amélioration et 62 % s’estiment même guéris de leur cinétose. Les résultats sont en général permanents, même si certains patients reviennent pour essayer d’améliorer encore les résultats après quelques années.

« Nous avions essayé pendant un moment de mettre en place une consultation pluridisciplinaire, avec une prise en charge également psychiatrique, mais cela n’a pas montré d’intérêt probant. En revanche ce qui est fondamental, c’est d’associer à ce traitement une information comportementale et cognitive. Cela vise à expliquer au patient l’origine de son état, à le dédramatiser et à donner des clés pour mieux maitriser la situation. Par exemple, être acteur du mouvement sur un bateau, anticiper ses mouvements avec le corps ou prendre la barre, être actif, certaines personnes se sentent mieux en chantant ! Cette maitrise des fonctions supérieures et corticales est incontournable pour faire baisser les manifestations du mal des transports », conclut le Médecin en Chef Alexis.

 

[1] L’Assurance Maladie, Mal des transports : symptômes et causes, disponible sur : https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/mal-transports/symptomes-causes, consulté le 23/11/2020

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