Myopie, les solutions pour ralentir l’épidémie mondiale
La prévalence de la myopie explose dans le monde. Des mesures simples de prévention, associées à de nouvelles technologies innovantes permettent de freiner sa progression. A condition d’intervenir dès le plus jeune âge.
Première cause de déficience visuelle dans le monde et seconde cause de cécité, la myopie connait depuis quelques décennies une expansion sans précédent. Au point que les épidémiologistes prédisent qu’en 2050 un terrien sur deux sera myope, si aucune politique de prévention n’est menée !
En raison de la modification de nos modes de vie, la prévalence de la myopie augmente de façon exponentielle chez les enfants et adolescents. Les enfants sont de plus en plus myopes et de plus en plus tôt ! Une étude du Lancet publiée en 2012[1] révèle ainsi qu’en Asie, 80 à 90 % des jeunes en fin d’études sont myopes. Or, plus ce trouble démarre tôt, plus il risque de devenir sévère et donc plus il tendra à entrainer des complications à l’âge adulte (voir encadré). Il est donc nécessaire d’agir dès la prime enfance afin de stopper ou ralentir cette évolution défavorable.
Quelles solutions pour lutter contre l’épidémie de myopie ?
Agir sur les facteurs environnementaux en cause dans la myopie
Dans un œil myope les rayons lumineux ne convergent pas de façon optimale vers la rétine car l’œil est trop long. La vision de loin est donc floue.
Le Dr Damien Gatinel, chef du service de chirurgie réfractive et du segment antérieur de l’œil à la Fondation Rothschild, appelle à limiter l’impact des facteurs environnementaux identifiés comme délétères, à commencer par la surconsommation d’écrans et la sédentarité qu’elle génère. De nombreux travaux montrent en effet que l’exposition à la lumière naturelle, riche en composés protecteurs bleus et violets est protectrice. Ce pourrait être la raison pour laquelle les enfants nés en hiver —et donc exposés plus tardivement à une lumière vive et intense— sont plus myopes que les autres. Selon le Dr Gatinel, “1h30 à 2h par jour d’activités en extérieur suffiraient à faire chuter de façon majeure la fréquence de la myopie chez l’enfant”. Ce que confirme le rapport SFO 2019[2] sur « Les myopies », piloté par les Professeurs David Gaucher et Nicolas Leveziel : « Chaque heure passée dehors chaque semaine diminue de 2 % le risque de myopie ». Autre prérequis : encadrer les activités en vision de près, telles que la lecture ou les jeux sur écrans, en faisant des pauses visuelles d’au moins 20 secondes toutes les 20 minutes. Pendant ces pauses, le regard doit être porté au loin afin de reposer l’œil.
Le rôle clé de la prévention pour ralentir l’évolution de la myopie
Le Dr Gatinel recommande un examen ophtalmologique systématique chez l’enfant vers l’âge de 3 ou 4 ans, ou avant si certains signes se manifestent, par exemple un œil qui dévie (strabisme). D’autres indices peuvent alerter les parents ou les enseignants : quand un enfant voit flou, il n’est pas rare qu’il plisse les yeux pour mieux voir, « comme en photographie où l’on réduit le diaphragme pour gagner de la profondeur de champ » observe l’ophtalmologue.
La prévention secondaire, qui consiste à ralentir l’évolution de la maladie une fois que celle-ci est diagnostiquée, est également fondamentale. Pendant longtemps, on a sous-corrigé les myopes en pensant freiner la maladie. On sait aujourd’hui qu’il faut au contraire corriger le plus précisément possible et adapter cette correction de façon très régulière car si l’image projetée sur la rétine n’est pas parfaitement nette, l’œil reçoit le signal de s’allonger ce qui aggrave la myopie. Un véritable cercle vicieux ! Porter des lunettes correctrices est donc depuis longtemps un moyen à la fois de corriger la vision des enfants myopes mais également de ralentir l’aggravation du défaut réfractif.
Freiner l’évolution du trouble avec de nouveaux équipements innovants
Depuis peu, de nouveaux verres et lentilles ont été développés. Ils ne se contentent pas de corriger la vision, ils sont aussi capables de « freiner la myopie ». Lentilles et verres sont basés sur le principe de la défocalisation. En pratique de quoi s’agit-il ? Le verre ou la lentille projettent les rayons lumineux centraux exactement sur la rétine ce qui permet à l’œil d’avoir une vision centrale nette. En parallèle, les rayons périphériques, peu utiles pour la vision de précision —puisqu’ils permettent seulement d’identifier le mouvement dans les angles extrêmes de notre champ visuel— vont être déviés afin de se projeter un peu en avant de la rétine. Il semble que chez les myopes corrigés avec des verres classiques ont une défocalisation périphérique des rayons en arrière de la rétine (comme si les verres correcteurs étaient « trop forts » en périphérie). Les nouveaux verres dédiés à la myopie sont conçus pour éviter cela et donc freiner l’allongement de l’œil. Ces verres défocalisés ont des technologies différentes selon les fabricants, avec des petites facettes ou des microlentilles réparties sur tout ou partie de la surface du verre.
Un nouveau verre, efficace et discret : ESSILOR STELLESTTM
Dernier venu parmi ces innovations, le verre STELLESTTM a été lancé en juin 2021. Emilie Derigny, directrice de la Santé Visuelle chez Essilor France, détaille la double action de ce verre : « Une correction de la myopie grâce à une zone unifocale, qui donne une image parfaitement nette en vision de loin, et un ralentissement de la progression de la myopie grâce à la nouvelle technologie HALT (Highly Aspherical Lenslet Target), qui consiste en une constellation de microlentilles asphériques”.
Grâce à la zone de vision unifocale à la correction de l’enfant, les verres Stellest™ corrigent la myopie. La zone de vision unifocale focalise parfaitement la lumière sur la rétine. Cela garantit une bonne acuité et un plus grand confort pour l’enfant. Source : https://www.essilor.fr/nos-verres/stellest/decouvrir-stellest
Ces microlentilles sont réparties de façon ingénieuse sur la surface du verre afin de créer un volume de lumière non focalisée en avant de la rétine qui en suit sa forme. C’est ce volume qui permet de ralentir l’évolution de la myopie. Les microlentilles sont par ailleurs quasi invisibles. Et c’est là un des atouts de ce verre innovant. Il est non seulement efficace… mais en outre extrêmement discret.
Une étude clinique menée en Chine avec l’Université médicale de Wenzhou[3] sur ces verres ESSILOR STELLESTTM confirme la capacité du dispositif à limiter la croissance de l’œil. “Les résultats à deux ans montrent un ralentissement de la progression de la myopie de 67 % en moyenne pour les enfants qui portent leurs lunettes au moins 12 heures par jour.” indique Emilie Derigny. Par ailleurs, l’étude a mis en avant un effet “dose” : plus on porte le verre, plus l’effet est prononcé. Ainsi, il est recommandé de les porter du lever au coucher, y compris en extérieur. De plus, 90 % des enfants participant à l’essai clinique se sont adaptés au verre en moins de 3 jours et 100 % au bout d’une semaine.
Un traitement nocturne avec des lentilles rigides
Une autre approche consiste à recourir aux lentilles d’orthokératologie. Ces lentilles rigides, portées la nuit, entrainent une petite déformation transitoire de la cornée. Cette dernière persiste pendant la journée suivante et permet de voir net sans lunettes. Les lentilles d’orthokératologie sont habituellement proposées aux sujets adultes.
La forme particulière de ces lentilles remodèle l’épithélium de la cornée, en l’aplatissant légèrement au centre, et en provoquant simultanément une discrète augmentation de courbure vers les bords. « On retrouve un profil de défocalisation périphérique » note le Dr Gatinel. D’où l’idée de les utiliser également chez les enfants afin de ralentir l’évolution de leur myopie. Et cela marche ! Les lentilles peuvent être proposées dès l’âge de 8 ans chez les enfants coopérants et moyennant un bon suivi médical.
Autre approche en cours d’évaluation, les collyres
Les antimuscariniques semblent avoir une action intéressante sur la croissance de l’œil. Utilisée en collyre (gouttes versées directement sur l’œil), l’atropine est une molécule qui dilate la pupille et paralyse le cristallin (blocage de l’accommodation). Elle aurait un effet freinateur sur la myopie. Une des voies d’action serait liée au fait qu’en dilatant la pupille elle permet à une plus grande quantité de lumière de pénétrer dans l’œil. « Ces collyres ne sont pas prescrits en routine, explique le Dr Gatinel, car ils ont des effets indésirables comme la photosensibilité et la perte de la vision nette de près (en raison de la réduction de l’accommodation cristallinienne). »
En France une étude est en cours à l’hôpital Necker. L’efficacité de l’atropine semble avérée, la vitesse de progression de la myopie passant de −1,0 Dioptrie par an avant l’instauration du traitement à −0,1 Dioptrie/an après l’instauration du traitement[4].
Le point commun de toutes ces approches qu’elles soient traditionnelles (jouer en extérieur) ou innovantes (verres et lentilles défocalisés, lentilles d’orthokératologie, collyres… ) : permettre à l’œil de recevoir plus de lumière. Et la lumière fut…
[1] https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(12)60272-4/fulltext
[2] www.em-consulte.com/em/SFO/H2019/sforender/B9782294761331500113.html
[3] Etude clinique prospective, contrôlée, randomisée et à double insu sur deux ans – 104 enfants myopes répartis en deux groupes : verres unifocaux (50) et verres Stellest™ (54) – Hôpital ophtalmologique de l’Université de médecine de Wenzhou – J. Bao, A. Yang, Y. Huang, X. Li, Y. Pan, C. Ding, E. W. Lim, J. Zheng, D. P. Spiegel, Y. L. Wong, B. Drobe, F. Lu, H. Chen.
[4] Polling JR, Kok RGW, Tideman JWL, et al. Effectiveness study of atropine for progressive myopia in Europeans, Eye Lond Engl 2016; 30(7) : 998 – 1004.