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Sens et attention

Nous sommes sollicités en permanence, par des dizaines de stimuli, captés par nos différents sens. Notre cerveau ne peut porter attention à tout. Il choisit et par conséquent, renonce. Décryptage d’un processus le plus souvent inconscient.

Jeune femme qui écouteur de la musique et regarde son téléphone en marchant dans la rue

© olaser

Il suffit de se balader les écouteurs aux oreilles en pleine rue pour se rendre compte que l’on est moins attentif aux véhicules qui croisent notre chemin. On ne compte plus les accidents de la route occasionnés par un coup de téléphone passé en conduisant. « L’attention, c’est l’ensemble des mécanismes qui nous permettent de sélectionner une information parmi le flot de stimulations dans lequel nous sommes noyés », explique Stanislas Dehaene, responsable de la chaire de Psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, lors de sa conférence du 13 janvier 2015 sur l’attention et le contrôle exécutif.

Le psychologue américain Michael Posner, grand spécialiste du décryptage des mécanismes de l’attention, a défini dans les années 1970 trois systèmes attentionnels :

  1. l’alerte, qui est une modulation globale de la vigilance ;
  2. l’orientation, spatiale ou focale, qui permet de sélectionner mentalement un objet ;
  3. le contrôle exécutif, qui permet de se concentrer sur une chaîne de traitement appropriée et de résoudre des conflits entre les tâches à effectuer.

« Certains signaux sont marqués dans le cerveau comme dignes d’importance et d’autres ne le sont pas. C’est à la fois un enrichissement et une perte », estime Stanislas Dehaene.

Sélectionner et intégrer

« Les signaux extérieurs, d’autant plus s’ils déclenchent une émotion, vont toucher les circuits limbiques et paralimbiques, et notamment avoir un effet sur le noyau basal de Meynert qui va alors envoyer des projections cholinergiques vers l’ensemble du cortex », précise le chercheur. Les différents signaux sensoriels sont d’abord traités dans des aires primaires, auditives ou visuelles par exemple, puis intégrés dans les régions dites « associatives ». « Ce sont des régions pré-frontales ou pariétales, de larges réseaux d’intégration qui sont des aires encore assez mystérieuses, impliquées dans de nombreuses fonctions comme les réponses conscientes, la mémoire de travail et le contrôle cognitif » explique Sébastien Marti, chercheur au sein de l’unité de neuroimagerie cognitive Inserm 992 au CEA de Saclay. Pour autant, la décision de la priorité portée à tel ou tel signal n’est pas forcément consciente. « Bien souvent, le cerveau oriente le choix de l’information sensorielle pour éviter les erreurs dans une tâche que nous sommes en train d’accomplir, sans que nous en prenions conscience ».

Le filtre de l’attention se porte à tout moment, même si le cerveau traite en parallèle des informations sur un mode implicite dans les aires primaires. « Il suffit de voir ce que des témoins de la même scène vont rapporter : chacun garde en mémoire des informations différentes », illustre Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l’Université de Caen. Des vidéos désormais célèbres montrent que si notre attention est portée sur des passes de basket par exemple, un acteur déguisé en gorille peut investir la scène sans même que nous nous en apercevions [1]. « Il s’agit de la « cécité inattentionnelle ». Les éléments ne sont pas enregistrés car notre attention est portée ailleurs. Ce qui fait qu’en plus de ne pas tout percevoir, nous avons en plus l’illusion de l’attention. Nous pensons que nous pouvons saisir le monde extérieur mais nous avons des limites extrêmement sérieuses à nos capacités attentionnelles. », s’amuse Stanislas Dehaene.

Des signaux compétitifs

Le fonctionnement humain privilégie en général les informations d’ordre visuel, encore que cela soit variable selon les individus. « Cela dépend aussi de l’activité que nous pratiquons et de notre entraînement. Un œnologue goûtant des vins donnera la priorité à l’odorat. Mais à ce moment-là, les signaux olfactifs impliqueront aussi des régions associatives visuelles du cerveau », précise Hervé Platel.

Il est maintenant assez communément admis par les scientifiques qu’il est impossible de porter le même niveau d’attention sur deux choses en même temps. Il existe un goulot d’étranglement, qui permet normalement d’éviter la saturation du système responsable de la prise de décision. « Il est impossible de partager ses ressources entre plusieurs signaux, il y aura forcément compétition », a remarqué Sébastien Marti dans ses expérimentations. Par exemple, lors d’une conversation téléphonique en conduisant, la détection des images de la route sera ralentie. « Il existe une période réfractaire psychologique : le temps de perception, qui est normalement de 300 à 500 millisecondes, sera allongé de quelques centaines de millisecondes, donc potentiellement doublé. Le temps de perception de l’image sera retardé du temps passé à traiter le son. » Si le traitement de la première information est trop lent, il peut même y avoir perte de la seconde information sensorielle car l’aire sensorielle correspondante ne reste pas indéfiniment activée. Il s’agit alors du « clignement de l’attention ». « On voit comme cela une perte de l’alerte : l’incapacité à arrêter une tâche pourtant secondaire pour traiter une tâche prioritaire, si la tâche secondaire est répétée et routinière et si la tâche urgente survient brusquement », prévient-il.

Apprendre à faire attention

Il est possible de travailler son contrôle exécutif et d’améliorer sa sélection des informations appropriées, d’autant plus pendant l’enfance. Selon Stanislas Dehaene, « l’apprentissage du contrôle exécutif est l’un des plus importants : inhiber un comportement indésirable, rester concentré face à une distraction, résister à un conflit. Cela développe le cortex pré-frontal qui est une des structures humaines d’évolutions les plus récentes et qui mettent le plus de temps à se développer au cours de la vie ». Il existe des exercices d’entraînement mais les jeux vidéo pourraient également aider à cela. « Il y a moins de clignement attentionnel chez les joueurs de jeux vidéo, avec plus de libération de dopamine dans le striatum, une structure subcorticale. Cependant, les études ont montré que les informations ne sont pas plus traitées en parallèle mais que le temps de traitement de certaines tâches est diminué », précise Sébastien Marti.

Des mains qui effectuent plusieurs tâches en même temps

© DragonImages

Qu’en est-il du travail en musique et des adeptes du multitasking, cette propension de plus en plus développée à travailler tout en vérifiant ses mails, en consultant les réseaux sociaux et en écrivant des textos ? « Cela dépend en fait beaucoup de la personnalité de chacun. Certains vont mieux se concentrer en musique car cela leur crée un cocon attentionnel, mais il faut alors que la musique ne soit pas traitée au même niveau attentionnel que le travail. Par exemple, pas de paroles pour écrire un texte. Le côté familier aiderait également : le mieux pour se concentrer serait une musique connue et appréciée », illustre Hervé Platel. Cependant, cette pratique, tout comme le multitasking, ne représente en réalité pas une véritable double tâche, parce que le niveau d’engagement n’est pas le même pour les différentes activités ou parce qu’elles ne sont pas exactement réalisées de manière concomitante.

Pour le multitasking, les études sont d’ailleurs encore contradictoires. Alors que certaines pointent une capacité accrue à saisir le monde environnant et à passer l’information au crible plus rapidement, d’autres relient ces nouvelles pratiques numériques à une plus grande difficulté à éviter les distractions et à sélectionner les informations pertinentes. En ce domaine comme en bien d’autres, le cerveau, qui ne cesse d’ailleurs d’évoluer avec nos pratiques, est encore loin d’avoir livré toutes les clés de son fonctionnement…

 

[1] https://www.youtube.com/watch?v=vJG698U2Mvo

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