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Voir avec les oreilles, les fabuleux pouvoirs de l’écholocalisation

Voir avec les oreilles : l’écholocalisation, c’est un peu ça. Autrement dit, émettre des sons, puis écouter leur écho, pour avoir une « cartographie » précise de ce qui nous entoure. Certaines personnes maîtrisent cet art à la perfection. Explications.

L'écholocalisation, ou comment voir avec les oreilles, expliqué par Audio 2000Il s’appelle Ben Underwood. Il vit aux Etats-Unis. Il aime jouer au basket, faire du roller, ou des acrobaties sur son vélo. A priori, c’est un adolescent comme les autres. A priori seulement. Car Ben a perdu la vue à l’âge de 3 ans, à cause d’un rétinoblastome, une tumeur maligne de la rétine. Une vidéo intitulée « The boy who sees without eyes » (le garçon qui voit sans ses yeux) datant de 2007 et toujours visible sur Youtube, sur la chaîne Equivicae, présente son quotidien. C’est en faisant des petits bruits avec sa langue, comme s’il la faisait claquer, qu’il arrive -avec l’écho qui lui revient- à localiser précisément ce qui l’entoure : les murs de sa maison, le canapé, la télé, et tous les obstacles, familiers ou inconnus, de la rue.

Le chercheur Michael Supa et ses collègues étaient les premiers, en 1944, à confirmer que c’était bien l’écho des sons qu’ils émettaient qui permettaient à des aveugles d’éviter les obstacles (leur étude a été publiée dans l’American journal of psychology [1]). Mais c’est Ben, par son témoignage étonnant, qui a largement contribué à mettre sur le devant de la scène l’écholocalisation.

Leçons d’écholocalisation

Apprendre à une personne déficiente visuelle à se déplacer en toute sécurité, avec un maximum d’autonomie et d’aisance, c’est la mission (pas du tout impossible) d’un instructeur de locomotion. Grégoire Guillot est l’un d’eux. Pour apprendre à ses patients à prendre seul les transports en commun, aller faire des courses dans leur quartier, détecter des obstacles…, il utilise justement -entre autres- l’écholocalisation. Car si les aveugles de naissance développent de manière innée cette compétence, ce n’est bien sûr pas le cas quand la perte d’acuité visuelle intervient plus tard dans la vie, suite à une maladie ou à un accident. « Avant toute chose, la personne va devoir apprendre à vraiment écouter, et à comprendre, donner du sens à ce qu’elle ressent. Quand la canne produit du bruit, il faut réussir à être dans l’écoute de la résonance. » Un travail qui demande beaucoup de patience, mais qui donne de très bons résultats. « Ce n’est pas un sixième sens », insiste Grégoire Guillot. « C’est de l’audition, utilisée à son plein potentiel. On ne se contente plus d’entendre, on écoute vraiment les informations auditives qui nous parviennent. »

Echolocalisation passive…

« Mais il existe deux types d’écholocalisation », ajoute-t-il. « La première, dite passive, c’est cette capacité naturelle que nous avons de sentir une masse à côté de nous. Un mur, par exemple. On parle là d’audition spatiale. Cela signifie que la personne ne produit pas de son, mais ses oreilles captent des basses fréquences qui rebondissent sur des masses, et le cerveau va interpréter ça. » Grégoire Guillot cite en exemple un de ses jeunes patients, âgé de 8 ans. « Il ne voit pas. Ce matin, je le regardais courir dans un couloir, il ne s’est pas heurté aux murs. Les personnes ayant un déficit visuel depuis la naissance sont absolument bluffantes à ce sujet. Elles utilisent cette capacité naturellement, parfois sans que quiconque ait eu besoin de leur apprendre. J’observais la dernière fois une de mes patientes dans le métro. Elle arrive à « voir » son environnement, à aucun moment elle n’a touché un mur, alors que les couloirs ne cessaient de tourner. C’est difficile à expliquer, mais c’est comme si elle sentait une présence, devant elle, ou sur les côtés. »

… ou active

C’est quand la personne fait des sons pour qu’ils « rebondissent » sur des masses. Les obstacles réfléchissent les sons. Les échos ainsi renvoyés permettent alors de se construire mentalement une image du monde qui nous entoure, même quand on est dans l’incapacité de le voir avec ses yeux. Le son renvoyé donne une information sur la taille approximative de l’objet -un bus ne « sonne » pas pareil qu’un immeuble, par exemple. La durée entre l’émission et la réception du son renseigne aussi sur la distance entre l’émetteur et l’obstacle. « La personne va par exemple créer un claquement très sec avec sa bouche, ses doigts, ou taper le sol avec sa canne. Tous les déficients visuels utilisent l’écholocalisation, à des degrés différents. »

Ce super pouvoir vient naturellement aux personnes déficientes visuelles dès le berceau. Mais il peut absolument être appris, travaillé, maîtrisé quand la déficience visuelle arrive plus tard dans la vie. « Quand on se retrouve privé de vue, au bout d’un moment, les sons prennent le relais », rassure Grégoire Guillot. L’imagerie cérébrale a permis de prouver que chez ces personnes, les aires du cerveau habituellement dédiées à la vision étaient en quelque sorte réactivées -par les sons, et la faculté d’imaginer si précisément son environnement- lorsqu’elles utilisaient l’écholocalisation. Une nouvelle preuve de l’incroyable plasticité du cerveau, sa capacité à se modifier en fonction de nos expériences.

Les animaux, des experts

Cette faculté est partagée par certains membres du règne animal. Les chauve-souris, évidemment. Contrairement à une idée reçue, elles ne sont pas aveugles. Mais parce qu’elles se reposent le jour et sont actives la nuit, l’écholocalisation leur est précieuse. En émettant des ultrasons, et en écoutant l’écho renvoyé par ces ultrasons, ces petits mammifères noctambules peuvent s’orienter, éviter les obstacles et localiser leurs proies. Certains cétacés comme les orques ou les dauphins partagent ce don. Eux émettent des ondes acoustiques qui se propagent jusqu’à une cible, avant d’être réfléchies.

 

[1] « Facial Vision : the perception of the obstacles by the blind », The American Journal of Psychology, 1944 : https://www.jstor.org/stable/1416946?origin=crossref

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